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RAISONNÉ

DE PHYSIQUE

CAB

CABESTAN. Machine composée d'un rouleau de bois cylindrique ou un peu conique, posé verticalement entre des pièces de bois, et que l'on fait tourner par le moyen des leviers qui y sont appliqués.

Le Cabestan est une machine au moyen de laquelle on peut vaincre de très-grandes résistances avec des puissances beaucoup moindres. Aussi s'en sert-on sur les vaisseaux, pour lever les ancres ou autres fardeaux, auxquels sont amarrés les cables, que l'on fait passer par-dessus le cylindre. On s'en sert encore dans les ports pour amener les vaisseaux à terre, quand il en est besoin; et pour faire passer du bateau, sur le port, des masses extrêmement lourdes comme des blocs de marbre ou de pierre.

La manière ordinaire de se servir du Cabestan, est de faire sur le cylindre A B ( Pl. XVI, fig. 3), deux ou trois tours à la corde CD, qui tient la résistance vers D, tandis des hommes tirent, que de toutes leurs forces, la partie C de la corde, pour empêcher qu'elle ne glisse; car alors le frottement de la partie de la corde qui est roulée autour du cylindre, est si considérable, que, quoique le poids de la résistance surpasse de beaucoup la force des hommes qui tien

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nent la corde, il ne peut cependant la surmonter, ni faire glisser la partie de la corde roulée autour du cylindre. Si l'on applique ensuite des hommes aux leviers E, F, G H; et que ces hommes fassent tourner le cylindre, ils amènent la résistance; et, pendant ce temps-là, ceux qui tirent la partie C de la corde, la devident; de sorte qu'il n'en reste jamais sur le cylindre plus de tours qu'on ne lui en avoit d'abord fait faire; car un côté ne peut pas se rouler, l'autre ne se déroule.

que

Il est aisé de voir que cette machine agit comme un levier sans fin du premier ou du second genre, à bras inégaux (Voyez LEVIER); et que le bras de la résistance est beaucoup plus court que celui de la puissance. Car le bras de levier par lequel agit la résistance, est le demi-diamètre ou le rayon du суlindre et le bras de levier par lequel agit la puissance, est ce même demi-diamètre ou rayon prolongé par un des leviers en croix E, F, G, H. Plus ces leviers seront longs, plus la puissance deviendra capable de vaincre une plus grande résistance; mais il lui faudra plus de temps, parce qu'elle aura un plus long chemin à parcourir. Supposons gk le diamètre du cylindre, dont le centre est en h ( Pl. XVI, fig. 2), hg est le bras de levier par lequel agit la résistance G: Ph ou ph est le bras de levier par lequel agit la puissance Poup: si donc h g est à Ph ou ph, comme I est à 10, un effort de 100 en P ou p, pourra tenir en équilibre une résistance.de 1000 en G.

Il y a ordinairement sur les vaisseaux deux sortes de Cabestans savoir, un grand, qu'on nomme Cabestan double, et un petit, qui est le Cabestan ordinaire. Le Cabestan double est placé sur le premier pont, et s'élève jusqu'à quatre ou cinq pieds au-dessus du second pont. Il est destiné à produire les plus grands efforts, comme de lever l'ancre, etc. Le petit Cabestan est posé sur le second ou le troisième pont, entre le grand mât et le mât de misaine et il sert à hisser les mâts de hune et les grandes voiles.

Lorsque le cable auquel est attachée la résistance est trop gros pour pouvoir être roulé sur le cylindre

du Cabestan, tel que celui qui sert à lever les ancres des gros vaisseaux, on se sert d'un cordage médiocrement gros, nommé tournevire, auquel on fait faire deux ou trois tours sur l'arbre du Cabestan, et dont on joint ensuite les deux bouts ensemble, de façon qu'un côté ne puisse se rouler, sans que l'autre se dé roule. A ce tournevire, on attache, par le moyen de petites cordes, qu'on appelle garcettes, le gros cable qui tire l'ancre.

Il y a dans l'usage du Cabestan plusieurs inconvé→ niens qu'on n'a encore pu corriger, malgré toutes les peines qu'on a prises, et tous les savans qui s'en sont occupés. Si l'on se sert du tournevire, les garcettes qui y tiennent le cable attaché, sont bientôt hors d'usage: il faut les défaire pour les remettre plus loin ce qui fait perdre un temps souvent très-précieux : mais le plus grand inconvénient est que le cordage qui enveloppe et se devide sur le cylindre, descend à chaque tour, de tout son diamètre, et, par-là, arrive jusqu'au bout. Pour éviter qu'il ne se croise et qu'il ne s'embarrasse, il faut le rehausser: c'est ce qu'on appelle choquer opération qui est d'autant plus fréquente que le cordage est plus gros et le cylindre plus court. Mais, à chaque fois qu'on choque, il faut ar rêter le mouvement de la machine; prendre des bosses sur le cordage, pour empêcher que la résistance ne l'emporte; dévirer le Cabestan pour mollir la partie du cordage, qui est sur le cylindre; relever le cor dage; le roidir de nouveau; et enfin ôter les bosses, pour remettre le Cabestan en jeu. Tout cela demande beaucoup de temps et de travail.

:

C'est pour tâcher de prévenir ces inconvéniens que l'Académie des Sciences de Paris proposa, pour le sujet du prix de 1739, de trouver un Cabestan qui eût les avantages de l'ancien, sans en avoir les défauts. N'ayant pas trouvé que dans les Mémoires, qui lui furent envoyés, les conditions qu'elle avoit exigées, fussent suffisamment remplies, elle différa son jugement, et proposa le même sujet, pour l'année 1741, avec un prix de double valeur. La plupart des Mémoires qu'elle avoit reçus, lui furent renvoyés avec

des additions et des corrections; et elle en reçut de nouveaux. Parmi les uns et les autres, quatre furent couronnés, et trois furent imprimés sous le titre d'Accessit. Les quatre pièces couronnées sont, Discours sur le Cabestan, par Jean Bernoulli, le fils. Dissertation sur la meilleure construction du Cabestan, par un auteur qui est demeuré inconnu. De ergatce navalis præstabiliore usa, dissertatio, autore Joanne Poleno, Mathematico professore Patavino, Regiæ Scient. Acad. Regiæque Soc. Londinensis Socio. Recherches sur la meilleure construction

du Cabestan, par Ludot, écuyer, avocat en Parlement. Les trois pièces imprimées sous le titre d'Accessit, sont : Mémoire sur le Cabestan, par de Pointis, officier des Galères, correspondant de l'Académie des Sciences. Recueil de différentes expériences, essais et raisonnemens sur la meilleure construction du Cabestan, par rapport aux usages auxquels on l'applique dans un vaisseau, par Fenel, chanoine de Sens. Cabestan à écrevisses, et Cabestan à bras, par Delorme, de l'Académie de Lyon. Mais l'Académie n'a pas cru devoir dissimuler que, parmi les Cabestans qui lui ont été présentés, pour sauver les inconvéniens de celui qui est en usage, elle n'en a trouvé aucun qui n'eût luimême des inconvéniens, et tels qu'ils pourroient bien balancer ses avantages. Mais elle a en même temps jugé qu'outre qu'on y a proposé des Cabestans noùveaux, ingénieusement imaginés, et utiles, au moins dans certains cas, on y a donné des théories qui peuvent conduire à perfectionner les manœuvres de l'ancien Cabestan. C'est ce qui l'a engagée à couronner les quatre pièces que nous venons d'indiquer, et à publier les trois autres.

Il est pourtant vrai qu'aucune de ces pièces n'a rempli le but principal qu'on s'étoit proposé, celui de faire disparoîfre l'inconvénient de choquer, qui est, en effet, le plus grand de tous. J'ai oui dire que, pendant les travaux qu'on a faits à Cherbourg, on y avoit construit un Cabestan qui n'avoit point besoin de choquer; mais, quelqu'information que j'aie tenté de me procurer, je n'ai pas pu savoir en quoi con

sistoit son mécanisme.

Depuis ce temps-là on a présenté à l'Académie des Sciences, un Cabestan dont le cylindre étoit garni de roulettes qui, en tournant, faisoient remonter à la fois tous les tours du cordage. Mais ce moyen, dont l'idée est d'ailleurs fort ingénieuse, produit un grand frottement, qui est toujours au dépens de la force motrice. Enfin en 1793, l'an Ier. de la République française, Cardinet, ingénieur - mécanicien, présenta, au bureau de consultation, un Cabestan dont la construction est plus simple, et qui approche du but un peu plus que les précédens.

que

Ce Cabestan est composé d'un cylindre principal semblable à celui des Cabestans ordinaires, et ensuite d'un cylindre subsidiaire, qui est placé en avant du premier, c'est-à-dire, du côté où est le fardeau que l'on tire. Ce second cylindre est de même diamètre que le premier et en est séparé par des galets, dont l'axe, ainsi que celui du cylindre subsidiaire, est maintenu dans une coulisse pratiquée dans le bâti du Cabestan. La corde embrasse les deux cylindres, qui, par-là, se trouvent menés l'un par l'autre, au moyen de la pression que produit la corde. La gorge de chaque cylindre est terminée par deux bourlets, l'un inférieur et l'autre supérieur : l'inférieur est destiné à arrêter la corde lorsqu'on vire; et le supérieur à l'arrêter lorsqu'on dévire. La distance entre ces bourlets ou la longueur de la gorge est plus petite dans le cylindre subsidiaire que dans le cylindre principal, d'une quantité égale à deux fois le diamètre de la corde; et par conséquent le bourlet inférieur du cylindre principal se trouve plus bas, et le bourlet supérieur plus haut que ceux de l'autre cylindre, chacun d'une quantité égale au diamètre de la corde. C'est précisément cette construction qui fait que le Cabestan peut virer sans choquer. Car la corde venant de la masse qu'il s'agit de mouvoir, se roule d'abord sur la demi-circonférence du cylindre principal, en s'appuyant sur le bourlet inférieur de sa gorge; va de là, avec un petit degré d'obliquité, se placer sur le bourlet inférieur du cylindre subsidiaire. Tournant ensuite sur la demi-circonférence de ce cylindre, elle

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