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dit-on, l'illustre adversaire de Charlemagne (1). Cette tradition a été prise au sérieux par la plupart des historiens rémois, et l'un d'eux n'hésite pas à assigner la date de 769 à l'emprisonnement d'Ogier (2).

Le chapitre de l'Eglise métropolitaine prétendait lui-même devoir aux libéralités de notre héros la terre et la mairie de Saint-Martin, dite de Pissechien, l'un des cantons de la ville sur lequel il excerçait sa juridiction. On le voit avancer ce fait dans un procès qu'il soutint en 1701 contre un certain Vincent Favereau, serger à Reims. Malheureusement, les pièces dans lesquelles cette singulière assertion se trouvait énoncée n'existent plus, à notre connaissance, dans les archives de Reims; nous n'avons donc pu savoir quelle en était la source, et sur quelles bases on essayait de l'établir. Quoi qu'il en soit, on la retrouve encore en 1734 dans les pièces d'un procès qui s'était élevé entre l'archevêque et le chapitre au sujet du droit de stellage (3).

(1) Tarbé, Reims, p. 186. Nous ne savons où M. Tarbé a puisé ce renseignement. Pour notre part nous n'avons trouvé dans aucun document du siècle dernier la mention d'une auberge à l'enseigne d'Ogier le Danois. Mais cette enseigne existait réellement au XVIe siècle, ainsi qu'on peut le voir dans la note précédente.

(2) Galeron, Journal historique de Reims, p. 35. Voy. aussi Tarbé, 1. cit., etc.

(3) Cette Seigneurie (la Mairie de Saint-Martin).......... a passé au Chapitre dans des tems très-reculez, à titre d'acquisition faite par ce Chapitre, d'Ogier le Dannois. Cet Ogier le Dannois, suivant l'Histoire, étoit un des Pairs de Charlemagne, et par conséquent vivoit dans le huitième siècle. Ce trait d'histoire.... n'est rapporté que sur la foi des Mémoires du Chapitre; c'est le Chapitre lui-même qui a avancé ce fait dans

Quelques écrivains rémois du xvir siècle se sont faits aussi les échos de cette prétention, et lui ont attribué une valeur historique (1).

On a cru voir enfin un souvenir d'Ogier dans une chanson d'enfant encore populaire à Reims, dont M. Tarbé cite quelques couplets (Reims, p. 187):

La belle est dans la tour,

Oger!

Oger!

Oger!

La belle est dans la tour,

Grand chevalier.

Dans le poème d'Ogier, lorsque les Sarrasins ont envahi la France et rendu nécessaire l'intervention du héros, Charlemagne implacable menace de la mort quiconque osera lui parler de son adversaire. Mais trois cents fils de comtes et de barons, bravant cette défense, se réunissent autour de la tente de l'empereur, et se mettent à crier tous ensemble : « Ogier! Ogier!

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le Procès qu'il a soutenu en la Couren 1701 contre Vincent Favereau, Serger à Reims.» Mémoire adressé au Parlement, par Armand-Jules de Rohan, archevêque de Reims, contre le Chapitre de l'Eglise Métropolitaine de Reims, au sujet du droit de stellage dont celui-ci se prétendait exempt (1734), p. 5. (Voy. aussi p. 17.) Arch. de Reims, Recueil des principales pièces du procès concernant le droit de stellage, par Doury, procureur au parlement de Paris, no 9.- «Le Chapitre.... a acquis cette Mairie d'Ogier, duc de Dace, surnommé le Danois, lequel étoit parent de l'Archevêque Tilpin..... Ibid., Mémoire n° 8 (1734), p. 7. (Voy. aussi p. 1.) (1) Dallier, Mémoires pour servir à l'hist. de Reims, Bibl. de Reims, ms., t. 1, p. 181. Cet auteur place la donation d'Ogier vers l'année 817. Bidet, Mém. pour servir à l'hist. de Reims, Bibl. de Reims., ms., t. iv, ch. xi, 2 section, p. 211.

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Ogier!» Charles, en présence de cette imposante manifestation, prend le parti le plus sage et se laisse fléchir. On a pensé que le refrain de la ronde que nous venons de citer était une réminiscence de cet épisode. Mais ainsi que l'a fait observer M. G. Paris en son Histoire poétique de Charlemagne (p. 313), c'est là un point fort contestable. Cette ronde en effet n'est pas particulière à Reims; elle est répandue dans d'autres provinces, et son véritable refrain est : « Oh gai! >>> comme dans un grand nombre d'autres chansons populaires. La forme Ogier n'en est qu'une altération sans relation avec l'histoire de notre héros.

Les matériaux que nous possédons sont trop insuffisants pour nous permettre d'établir l'origine des traditions que nous venons de constater. La légende de la captivité d'Ogier dans la Porte Cérès est assez ancienne, ainsi que le prouve la leçon donnée par le manuscrit de Tours. Cette allusion rappelle-t-elle des traditions populaires antérieures, ou bien les trations sont-elles au contraire issues de fictions imaginées par des jongleurs pour donner plus d'autorité, de précision et de couleur locale à leurs récits? C'est là une question qu'il est impossible de trancher. Remarquons seulement que la légende qui nous occupe ne parait avoir été très-répandue qu'à une époque relativement récente (1). Quant à la prétendue

(1) Les versions en prose de nos vieux poèmes, écrites au xv siècle, ont beaucoup contribué à la diffusion de nos légendes épiques. Mais ici nos traditions locales n'ont rien

donation faite par Ogier au chapitre, dont il n'est fait nulle mention à notre connaissance avant le commencement du XVIIe siècle, nous ignorons, ainsi que nous l'avons déjà dit, les faits sur lesquels on prétendait l'appuyer. La mairie de Saint-Martin était voisine de la Porte Cérès; peut-être les souvenirs qui s'attachaient à cette dernière n'ont ils pas été ici sans influence.

Si toutes ces traditions n'ont aucun fondement historique (1), elles n'en sont pas moins très-dignes d'intérêt; elles nous fournissent une nouvelle preuve de la popularité des légendes épiques. Nous voyons celles-ci, en se mêlant à des faits réels et en s'attachant à des lieux déterminés, prendre aux yeux du public un caractère de vraisemblance, et s'introduire sans contestation dans l'histoire. C'est là un phénomène fréquent dont la critique doit tenir compte, en réduisant à leur juste valeur ces fables trop facilement admises par les écrivains locaux.

de commun avec le roman d'Ogier en prose; dans celui-ci en effet le souvenir de la Porte Chacre est complètement effacé. Il n'y est pas question non plus de la Porte Mars.

(1) On a prétendu que l'archevêque Wulfaire avait enfermé dans la prison de la Porte Chacre des ôtages saxons, confiés à sa garde par Charlemagne. Nous ignorons sur quoi s'appuie cette assertion. Flodoard, qui parle le premier de la remise de ces ôtages, ne dit rien du lieu de leur captivité (Hist. Rem. Eccl.,l. 2, ch. xvII). Marlot est aussi muet sur ce point. Nous croyons qu'il n'y a point là, ainsi qu'on l'a avancé, une tradition populaire, mais une conjecture de quelque écrivain récent. (Géruzez, Descr. de Reims, t. 1, p. 339; Tarbé, Reims, p. 187; Varin, Arch. adm. de Reims, t. I, p. 9; Galeron, Journ. hist. de R., p. 37.)

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