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reuse, l'activité qui l'entoure, ne tardent pas à rendre au pauvre Parisien la vigueur de l'âme en même temps que celle du corps; et, avec l'ardeur recouvrée, le goût du travail utile et le salutaire sentiment du devoir accompli, il retrouve bientôt le bonheur. Il renonce à quitter le pays auquel il doit cette métamorphose de lui-mêrne; il se fixe auprès de son ami, et demande à son tour au mariage le complément de son existence rassénérée.

Le style est en rapport avec le sujet, sans trop d'ornement; le récit se développe bien, et la lecture en est aisée et agréable.

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire,

a dit Boileau; notre poëte sait écrire, mais il ne sait pas toujours se borner; il se laisse trop volontiers aller là où son penchant l'entraîne; il fait souvent l'école buissonnière; de là des épisodes qui attardent un peu la marche du poëme. Mais ils offrent tant de charmants détails, que l'on comprend que l'auteur n'ait pas eu le courage de les retrancher, et, tout en se disant qu'il eut dû le faire, on regretterait qu'il l'eût fait.

La morale est élevée, c'est l'exaltation du devoir sous toutes ses formes; mais le sentiment qui domine, c'est l'amour de la vie de campagne; c'est une éloquente affirmation de la supériorité de la population ouvrière du village sur celle des villes.

Le poëte regrette la désertion des champs au profit des grandes cités; il répète, comme Vir

gile, qui déplorait déjà, de son temps, ce phénomène propre aux Etats avancés de civilisation :

Heureux l'homme des champs s'il savait son bonheur !

Mais il est à craindre que sa voix ne soit pas plus écoutée que celle du poëte latin; aujourd'hui, comme alors, la tendance de l'homme n'est-elle pas de chercher et de placer son bonheur justement là où il n'est pas ?

L'autre, le n°13, dont l'épigraphe est : Nescio quid majus nascitur Iliade, a pour titre : Prométhée, ou le Progrès de la science.

Le poëte cherche l'inspiration, il la demande aux sources antiques. Prométhée lui apparaît; l'audacieux ravisseur du feu du ciel s'en est fait un flambeau puissant, à la lumière duquel il surprend les secrets de la nature; c'est la science! Il en dévoile au poëte toutes les merveilles et les mondes souterrains et leurs âges, et les richesses du firmament, et la vapeur et l'électricité supprimant le temps et les distances, les isthmes percés et les mers étonnées de se rejoindre, et, comme terme de cette marche victorieuse, la civilisation et la pacification du monde. Voilà désormais les sources auxquelles la poésie devra puiser ses plus sublimes inspirations.

L'œuvre a un grand caractère; elle n'a pas le rhythme de l'ode, mais elle en a le mouvement pressé et rapide; les idées, les images se succèdent avec abondance; la pensée s'élance, elle prend l'essor, elle s'élève et plane de haut

vol. Il circule dans toute la pièce un souffle poétique qui l'anime et l'échauffe d'un bout à l'autre c'est vraiment l'œuvre d'un poëte.

Si les genres de ces deux pièces sont différents, le mérite est égal.

Votre programme ne promettait qu'un prix; fallait-il le partager? Vous avez cru que, partagé, il n'eût pas été digne du mérite des deux auteurs; vous avez décidé de le doubler.

Vous avez donc décerné à M. le colonel Chabert, de Paris, auteur de la poésie Le bon chemin, un prix de 200 fr., et pareil prix à M. Mieusset, de Besançon, auteur de Prométhée: tous deux sont lauréats de nos précédents concours.

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Nous nous étions connus à la petite classe
Tout enfants, près de moi je lui gardais sa place;
Au collége, plus tard, nous étant retrouvés,
Nous devinmes bientôt des amis éprouvés.

C'était un grand garçon, bien fait et sympathique,
Que n'étourdissait point sa noblesse authentique.
Sa mère, veuve et riche, Anne de Montmartel,
Habitait à Paris un somptueux hôtel.

Avec une tendresse en tout temps aussi vive
J'y fus reçu huit ans, reconnaissant convive;
Car mon excellent père, agriculteur fervent,
Passant des mois entiers sans me voir trop souvent,
Me rendait le secours d'un ami nécessaire.
Certes notre chagrin fut égal et sincère,
Quand, hélas! il fallut un jour nous séparer.
« Adieu, dis-je, je vais dans un bourg m'enterrer,
« Et ployer ma jeunesse à quelqu'œuvre servile,
Quand, privilégié, tu restes à la ville;

«Heureux par ta fortune, heureux par tes vingt ans !

Le monde ouvre pour toi sa porte à deux battants;

« Au milieu des plaisirs, par l'oubli sacrilége << N'offense pas l'ami d'enfance et de collége; « Ecris-moi quelquefois ; je te promets aussi

De te conter souvent ma joie ou mon souci. Dans la vie, où tous deux nous irons, tête haute Plus tard retrouvons-nous; à ton tour sois mon hôte. >> Pendant plus d'une année, à l'échange promis Sans un retard jamais nous restâmes soumis ; Puis, ses lettres, d'abord mal écrites, bizarres, Devinrent par degrés plus courtes et plus rares, Pour cesser tout à fait. Quoi! dis-je alors, déjà ! Oh! que profondément son oubli m'affligea ! Que de fois je saisis avec rage une plume, De reproches amers commençant un volume, Tant m'inspirait alors d'écrasante pitié L'ingrat, le déserteur, le traître à l'amitié, Le noble dédaigneux de l'humble prolétaire ! Mais, la raison aidant, j'eus l'orgueil de me taire Et j'imposai si bien silence à mes regrets Que quand, seul, à Paris, je vins trois ans après, J'évitai le quartier où brille sa demeure Et, mon travail fini, me rembarquai sur l'heure. Du sommet de la côte avec quels yeux ravis, Vieux toit de mon aïeul, de loin je te revis! Depuis, un dur labeur a rempli mes journées, Par les midis brûlants, les froides matinées. Aussi, quand je perdis mon vieux père, je sus Mener à bien des plans, depuis longtemps conçus. Tout près de moi vivait une honnête famille, Je plus à mes voisins et j'épousai leur fille. J'en ai deux beaux enfants; d'abord, un grand garçon, Agronome futur, qui mord à l'hameçon,

Ensuite une fillette au minois frais et rose

Qui me rit au logis quand le temps est morose,

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