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Je dirais hautement: Dieu juste doit m'absoudre. Sous le soleil ardent, les deux mains dans la poudre, « J'ai remué la terre et j'ai semé le grain;

<< Mais non ! mon argent seul a conquis ce terrain!
Et pourtant, je reviens toujours à ce doux rêve!
Le naufragé perdu sur une vaste grève,
• Ruisselant et glacé, ne voit autour de lui

Que des débris épars alors que l'éclair luit;
« Il n'entend dans les bruits de l'ouragan immense,
པ Qu'un râle déchirant qui cesse et recommence;
« Les nuages enfin se traînant noirs et lourds,
« Ont emporté la foudre et ses grondements sourds:
«Tout-à-coup, éclairant ces horribles désastres,
Resplendit le soleil, le soleil roi des astres,

« Alors, en un instant émerge l'horizon
De la profonde nuit, sa mobile prison;
Le vent enfin dompté devient la brise douce
Qui sèche l'herbe humide et réchauffe la mousse ;
« L'air s'emplit de parfums et d'harmonieux cris;
<< Miracle! où l'on n'a vu qu'horreur et que débris
Tout redevient clarté, béatitude, fète! »

<< - Bravo, Maxence! eh! mais, sans être un grand prophète, Je te réponds que si l'on t'entendait là-bas,

« L'objet de ton amour n'y résisterait pas !

« Donc, dès le point du jour, demain, je monte en selle, J'aborde la beauté dont l'oeil bleu t'ensorcelle,

« A son petit lever, et je vais droit au fait !

« J'attends de ma harangue un assez bon effet.

«Elle ne dira pas : oui, vu son trouble extrême,

« Mais, moi, je l'entendrai ce doux mot, tout de même!

« Or, ça, ferai-je ensuite au papa Duvallier,

« Vous saurez que Maxence, un joli cavalier, Aime la Rosina; que son état prospère

En fait un bon parti; marions-les, compère !

«Je connais le bonhomme, il paraîtra surpris, << Mais il sait d'un coup d'œil aux gens mettre le prix « Et répondra: voisin, demandez à Rosine,

Moi, je veux bien; bonjour! bonjour à la voisine! >> Tu vois, ce sera court, mais très substantiel!

Moins de deux mois après se carrait sous le ciel
La maison achevée et toute fraîche et blanche,
Comme une belle fille en atours du dimanche,
Et Maxence épousait la reine du pays!
Quels cris admiratifs, quels regards ébahis
Accueillirent la vierge en ses habits de fète,
Dans l'église parée aussi du bas au faîte,
Alors que du grand porche elle franchit le seuil !
Comme le vieux curé reçut avec orgueil
Son ouaille chérie! et, lorsque le saint prêtre
S'attendrit en traçant, au nom du divin Maître,
La règle du devoir, de quels pleurs bienfaisants
Se remplirent les yeux de nos bons paysans!
Salut à toi, vieillard! il faut que je publie
Ton austère vertu pour que nul ne l'oublie.
Car depuis soixante ans, sous le sacré drapeau,
Impeccable pasteur tu guides ton troupeau.
Séchant les pleurs, prèchant l'enviable concorde ;
Donnant aide à qui souffre, à tous miséricorde.
Bon père qui jamais à toi s'est confié,
Qui ne soit revenu fort et pacifié,

Gardant comme un tresor ta parole limpide!
Homme doux au vouloir calme mais intrépide,
Qui baptises nos fils et bénis nos tombeaux !
Ministre du Seigneur, tu portes des sabots
Et n'ayant pas, l'hiver, l'ample et chaude pelisse
Qui du froid rigoureux adoucit le supplice,

Tu n'as qu'un seul habit, toujours, par tous les temps,
Lequel, pour donner plus, tu fais durer vingt ans !
Vrai serviteur de Dieu, malheur au cœur de roche
Qui fuit à ton appel, murmure à ton approche!
Pauvre, dont la richesse est la haute raison!
Gardien immaculé de la sainte maison !

Que Dieu, jusqu'aux confins de l'extrême vieillesse
Conserve ton cœur sain et ton âme en liesse!
O vieillard, dont l'œil voit par-delà l'infini,
Salut au nom de tous, sois béni, sois béni!
Salut à vous aussi, cœurs droits, rudes natures,
Habitants fortunés des rustiques toitures,
Robustes travailleurs dans la plaine assemblés,
Que le soleil d'août dore comme les blés !
Quand j'entends les tribuns, tout boursoufflés d'emphase,
Qui chargent de gros mots leur indigente phrase ;
Les candidats menteurs, hôtes des noirs taudis,
Décorer du saint nom de peuple ces bandits,
Truands, mauvais garçons, pourris par la débauche,
Que la ville recèle et que l'émeute embauche;
Ces ouvriers sans cœur, fainéants et grossiers,
Dont les méfaits du greffe emplissent les dossiers,
Si flétris à vingt ans par les excès du vice,
Qu'ils sont cotés d'emblée impropres au service,
Je crie aux braves gens : « Gare à nous ! nous allons
« A l'abime à grands pas avec tous ces frelons!

Le vrai peuple, c'est vous, ô laboureurs, mes frères, Humbles dans tous les temps, néfastes ou prospères ; « C'est vous, dont la sueur engraisse les sillons; « C'est vous, qui recrutez les rudes bataillons! « C'est vous dont le travail enrichit les familles ; C'est vous, honorant Dieu, vos femmes et vos filles ; << Salut, salut encore, amis, hommes des champs, << Le poète vous aime et vous place en ses chants! »

Retournons sur nos pas, la noce fut superbe!
Durant deux jours entiers on vit danser sur l'herbe
Les jeunes du pays. Au bras de son époux,
Rosine dépensait ses souris les plus doux.

On les voyait tous deux passer de groupe en groupe,
Répondant aux vivats de la joyeuse troupe

Par de bons mots scellés de serrements de main,
Tandis que, bouffissant leurs trognes de carmin,
Deux figaros juchés sur deux énormes tonnes,
Råclaient à qui mieux mieux leurs crins-crins monotones.

Depuis ces jours heureux, où je vis exaucés
Mes souhaits les plus chers, sept ans se sont passés !
La lande au sombre aspect, à tant de soins rétive,
Comme une vieille terre est saine et productive.
Maxence tous les ans emplit ses hauts greniers,
D'un blé de premier choix qu'il vend à beaux deniers.
Il a de plus d'un tiers augmenté son domaine.
On le voit travailler six jours de la semaine.
Lui-même d'une ferme il a pris le détail,

Et déjà deux concours ont primé son bétail.

Il faut le voir montrant son treffle et son avoine !
Il est heureux! il a le teint frais d'un chanoine;
Sa femme en soins exquis, en tendresse, en beauté
Apporte son appoint à la communauté

Et lui donna déjà deux fillettes, deux perles,
Qui tout le long du jour jasent comme des merles
Et le font enrager de la belle façon ;

Il n'a plus qu'un désir, c'est d'avoir un garçon ?

PROMÉTHÉE

OU

La Poésie de la Science

Par M. Pierre MIEUSSET

PIÈCE COURONNÉE

Nescio quid majus nascitur Iliade.

Un poète chantait sous le ciel d'Ionie:
Muses, s'écriait-il, inspirez mon génie !

« Dieu d'Homère, Apollon, si puissant autrefois,
« Prête-moi ton luth d'or, ton arc et ton carquois ! >>
Il disait; et, partout, dans les doctes vallées,

Allait chercher les dieux, les nymphes exilées,

Et des poètes grecs répétait les accords;

Mais Phébus restait sourd; tous les dieux étaient morts...
Triste alors, il monta sur une haute cime,

Et, comme il contemplait les grands vaisseaux des mers
Qu'emportait la vapeur au bout de l'univers,
Un géant merveilleux, être divin, sublime,
Vint à lui, plein de gloire et le front radieux;
La flamme du génie illuminait ses yeux;
A sa stature, à sa poitrine ensanglantée,
Le barde reconnut le titan Prométhée.

PROMÉTHÉE

Mon fils, ne cherche plus les Muses dans ces bois,
Prométhée a vaincu tous les dieux d'autrefois.

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