Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

En 1535, Clément Marot, jouant à Ferrare contre la belle Madame de Pons, perdit la partie. L'enjeu du poète était la promesse d'une épître en vers; il dut s'exécuter; ce ne fut pas toutefois sans quelque regret, car l'épître à « la Nymphe de Parthenay » commence ainsi :

Ma muse est bien pour satisfaire habille
Aucuns esprits: mais trop se sent debile
Pour toy, qui as lettres et bon sçavoir
Autant ou plus que femme puisse avoir,
Avecques œil pour veoir subit les fautes
Et discerner choses basses des hautes.
Bien est-il vray que ton cueur scet user
D'une bonté de fautes excuser,

En temps et lieu louenges méritées.

Mais je sens bien que l'heure est advenue
Qu'en cest escrit de promesse tenue,
Plus de besoin de ton excuse auray

Que de bon los mériter ne sçauray.

Madame de Pons appartenait à la cour de la célèbre duchesse Renée. Dans ce brillant milieu, où les sciences, les lettres et les arts étaient tenus si en honneur, avait-elle appris à devenir un juge compétent en matière littéraire? Je ne sais; mais laissez-moi vous dire qu'avec beaucoup plus de raison, Messieurs, l'éloge décerné par Marot à Madame de Pons pourrait vous être adressé; aussi, puisqu'à mon tour le moment est venu d'acquitter ma dette, j'éprouve quelque émotion.

Avant de céder à un plus digne ce fauteuil, auquel m'ont appelé vos suffrages trop indulgents, notre règlement m'impose le périlleux devoir de prendre aujourd'hui le premier la parole. Pour accroître mon embarras, je vois autour de nous cette assemblée d'élite, fidèle à nos séances solennelles; enfin, mes prédecesseurs m'ont laissé des exemples bien difficiles à imiter.

Discours académiques émaillés de fines allusions politiques, questions d'art, d'histoire, grandes personnalités de votre cité ou des environs, tout a été traité par eux de main de maître et avec un rare bonheur.

N'ayant ni leur compétence, ni leur savoir, je cherchais un sujet plus facile, cependant digne de vous, lorsque le hasard plaça sous mes yeux cinq petits volumes assez peu connus de nos

jours, mais que le goût, la mode d'une autre époque mirent jadis fort en vogue: c'était l'édition des poésies de l'abbé de Lattaignant, par l'abbé de La Porte.

Gabriel-Charles de Lattaignant, chanoine de Notre-Dame de Reims, de 1740 à 1776, fait partie de cette pléiade d'abbés galants et beaux esprits, dont les nombreuses et faciles productions charmèrent les loisirs de nos pères. Beaucoup de ses œuvres ont été composées à Reims, d'autres furent inspirées par de précieuses et illustres amitiés nouées dans vos murs; certaines même, assez piquantes, permettent de soulever un coin du voile qui recouvre cette charmante société rémoise du XVIIIe siècle, dont plusieurs d'entre vous ont encore pu entendre les lointains échos. Parler de Lattaignant, c'est donc presque parler d'un des vôtres. Je vous prie de me le permettre pendant quelques instants.

J'ai passé ma longue jeunesse
Dans la fougue des passions,
Dans les plaisirs et la paresse,
Sans soins, sans occupations.

Tel était l'aveu de Lattaignant, quand, à 72 ans, se retirant chez les Pères de la Doctrine chrétienne, il jetait un regard sur sa vie passée; sans mélancolie, comme sans regrets, il ajoutait

encore:

J'ai fait un assez long voyage,

Si je m'en plaignois j'aurois tort:
Je n'ai guère éprouvé d'orage
Et j'ai joui d'un heureux sort.

La Providence, en effet, traita en véritable enfant gâté celui qu'on appelait à Reims le nouvel Anacreon. Sauf la régularité des traits, défaut dont il plaisantait volontiers, elle lui prodigua tous les dons. Esprit gracieux et fin, poète, dénué d'ambition, rien moins que soucieux de l'avenir, d'un commerce charmant, recherché partout et par tous, Lattaignant s'estimait vraiment heureux de vivre; aussi sa douce philosophie, peut-être trop épicurienne, son inaltérable gaîté, si franche, si communicative, en font-elles un type original curieux à étudier.

Lattaignant naquit à Paris, dans le courant de l'année 1697. Il était d'une famille de robe originaire de Picardie, se piquant de noblesse, portant d'azur à trois coqs d'or. Autour de lui, les muses avaient de nombreux adeptes et l'on aimait les plaisirs de l'esprit. Son frère ainé, conseiller de la deuxième chambre des enquêtes, vit recevoir, en 1751, à la Comédie Française, le Fat, comédie en cinq actes et en vers, tandis que Marmontel présentait sa tragédie d'Egyptus. L'heureux magistrat prétendit être joué le premier; mais le succès ne répondit pas à une telle impatience; le public, goûtant peu la pièce, l'accueillit par des sifflets.

A Mons, maison de campagne près Athis, Madame Sanson, cousine de Lattaignant, une des plus jolies personnes du temps, avait toujours bonne compagnie. Les gens de lettres ne dédaignaient point de venir grossir la cour de la dame; au premier rang, brillait Godart de Beauchamps, auteur de nombreux ouvrages dramatiques, de

« PreviousContinue »