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Je vous dois déjà tant que je ne me fais aucun scrupule de contracter une nouvelle dette envers vous, en empruntant, pour cet ouvrage, au Magasin d'éducation et à votre Morale familière, le titre de la Lecture en Famille.

E. LEGOUVÉ..

AU LECTEUR

L'art de la lecture, s'adressait aux lycées et aux écoles. La lecture en action, allait plus directement aux lettrés, aux gens du monde et aux artistes.

La lecture en famille, a en vue un troisième public.

Ce n'est pourtant pas, à proprement parler, un troisième ouvrage, puisqu'il est formé de la réunion partielle des deux autres, mais il se

propose pourtant un but particulier; c'est de faire pénétrer les principes de la diction au foyer domestique, sous la forme plus vivante de l'illustration, et d'en mêler ainsi l'emploi raisonné aux habitudes. d'intérieur.

La lecture à haute voix joue en effet un grand rôle dans la vie de famille, et elle prend un caractère différent selon l'âge et la position du lecteur. Est-ce le père qui lit? Il lit pour instruire, s'il s'adresse à ses enfants; il lit pour interesser et amuser, s'il a pour auditoire un cercle d'amis ou de parents. Est-ce la mère qui tient le volume? C'est presque toujours à titre d'institutrice. Elle lit à son fils, à sa fille, les leçons qu'ils doivent apprendre, les passages qu'ils doivent analyser, de façon à les aider dans leur tâche d'élèves, par son habileté de lectrice. Est-ce la femme qui lit à son mari? son but est de ménager des yeux affaiblis, de distraire un esprit préoccupé, d'alléger les souffrances ou les inquiétudes d'un malade. Au contraire, les lecteurs sont-ils les enfants eux-mêmes, jeunes gens et jeunes filles? La lecture à haute voix entre alors dans les réunions de famille, à peu près au même titre que la musique, elle y joue le rôle d'un art d'agrément, en même temps que d'un art utile, elle a pour objet d'exercer la voix et l'intelligence des jeunes lecteurs, de vaincre leur timidité, de les habituer à parler en public, et parfois de donner lieu à de courtes représentations théâtrales, où le plaisir même est un travail, et où le travail est un plaisir.

La lecture à haute voix, se mêle donc, sous toutes sortes d'aspects différents, à la vie de famille; l'y introduire comme un art, c'est donc répondre à un besoin, c'est ajouter une joie de plus à toutes les joies du foyer domestique.

LA LECTURE

EN FAMILLE

1

CHAPITRE I1

LA LECTURE EST-ELLE UN ART?

Rien n'est petit dans la grande affaire de l'éducation, et la question que nous allons traiter est importante quoique secondaire, par cela seul qu'il s'agit d'un progrès à réaliser dans l'enseignement. En Amérique, la lecture à haute voix compte comme un des éléments de l'instruction publique, elle est une des bases de l'enseignement primaire. En France, elle n'a pas même la valeur d'un art d'agrément; on la regarde comme une curiosité, comme un luxe, parfois même comme une prétention. Il y a quelques années, je formai le projet de combattre ce préjugé, et de contribuer, pour ma faible part, à faire entrer dans nos mœurs et dans le cadre de nos études, l'art de la lecture. La pre

1. Depuis que ce chapitre est écrit, les choses ont beaucoup changé. L'étude de la lecture à haute voix est entrée dans tous les programmes d'instruction publique; mais j'ai tenu à conserver ce point de départ, pour qu'on pût mesurer les progrès accomplis en cinq ans.

mière objection que je rencontrai, fut celle-ci : la lecture est-elle un art? Beaucoup en doutaient; quelques-uns le niaient. Quant à moi, trente ans d'étude, des expériences répétées m'ayant convaincu que c'est un art aussi difficile que réel, aussi utile que difficile, je réunis mes observations en un tout coordonné, je lui donnai l'apparence d'un ouvrage didactique, je le disposai en vue d'un cours public, puis, mon plan arrêté, j'allai le confier à un ami.

C'était vers 1868, au printemps. A une lieue de moi, demeurait un des hommes de qui on pouvait le mieux dire ce que Me de Sévigné disait de Montaigne : « Quel voisin de campagne il aurait fait! » M. Saint-Marc Girardin, c'est de lui que je parle, avait en effet, par un curieux contraste, un esprit sceptique et un cœur affectueux. Je n'ai pas connu ami plus tendre, conseiller plus sûr, partenaire de causerie plus délicieux. Liberté complète dans la conversation! franchise absolue! Son bon sens avait toujours la forme du badinage; il aimait tant la raillerie qu'elle lui plaisait même dans la bouche des autres, et même contre lui; il est vrai qu'en fait d'épigrammes il était toujours en fonds, et que si on lui en envoyait une, on était bien sûr d'en recevoir deux.

J'allai donc lui soumettre mon idée. Après m'avoir écouté attentivement et sérieusement, il me dit : « Mon ami, vous pourrez exécuter sur ce sujet des variations brillantes, des airs de bravoure qui appelleront les applaudisşements; mais une leçon sérieuse, non. La lecture n'est pas un art. C'est l'exercice naturel d'un organe; il y a des gens qui lisent bien; il y a des gens qui lisent mal; mais le talent des premiers est un don, un charme, une

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