est beau en sentant combien il est vrai. Il s'imprime de lui-même dans la mémoire, les mots portent avec eux leur intonation; et on n'a pas plus de peine à le dire qu'à l'apprendre. Voici maintenant les vers d'Agrippine. Elle rappelle à Néron, comme Auguste à Cinna, tout ce qu'elle a fait pour lui. Vous régnez! Vous savez combien votre naissance Parmi tant de beautés qui briguèrent son choix, De vous laisser au trône où je serais placée. Quel changement! On se sent dans une autre atmosphère poétique. L'élégance des mots, l'harmonie de la phrase, le nombre de la période, exigent autant d'effort de mémoire pour être appris, que d'étude de diction pour être récité. Car il ne s'agit plus de coups de pinceau rapides qu'il faut rendre par une égale vivacité d'accent; c'est un morceau étudié, caressé, et où l'art du débit doit égaler l'art du style. Je poursuis la comparaison. AUGUSTE Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène, Et te fis après lui mon plus cher confident. Ce matin même encor, mon âme irrésolue Et qu'ont porté si haut mon amour et mes soins, Même simplicité! même naturel! même grandeur ! Voyons ce que dit Agrippine : De Claude en même temps épuisant les richesses, Même élégance, même caractère de récit. Là, en effet, est un des principaux contrastes des deux scènes; chacun des actes d'Agrippine donne lieu à une narration. L'adoption de Néron par Claude, son éducation, la corruption de l'armée, les derniers moments de l'empereur, la divulgation tardive de sa mort, forment autant de petits ensembles, merveilleux de détails, dont quelques-uns même sont sublimes, comme le morceau Cependant Claudius penchait vers son déclin; mais qui, par leur perfection même, ralentissent le mouvement général de la scène. On sent le poète, on oublie la mère outragée; on admire les vers, on oublie l'action. Dans Corneille, la colère latente d'Auguste se trahit par la succession précipitée des traits; le lecteur, à chaque vers, se sent emporté vers une explosion finale et cachée. Dans Racine, on a peine, en lisant, à garder le ton d'indignation qui doit gronder sourdement sous cette longue énumération; on a peine à en relier toutes les parties, la colère s'évapore dans le parcours de ces cent vingt vers. Le parallélisme des deux scènes se poursuit dans la seconde partie. Après l'apologie, l'invective; après la glorification du bienfait, la mise en accusation de l'ingratitude : Tu veux m'assassiner, demain au Capitole, Si tout n'est renversé, ne sauraient subsister. Comme Pascal a raison de dire, dans son style hardi, qu'il y a des cas où la vraie éloquence se moque de l'éloquence! Voici un admirable morceau poétique qui passe par-dessus la tête de la poésie; les deux plus beaux vers sont peut-être les deux vers de nomenclature! ces dix noms tombent l'un après l'autre sur Cinna comme des coups de massue. Que dire donc des vers suivants : Tu te tais maintenant et gardes le silence |