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œuvre factice des législateurs, ne pouvait vivre que par le sommeil et l'anéantissement de l'homme naturel. La philosophie sut affranchir quelques âmes et créa les véritables héros de l'antiquité; mais la philosophie elle-même contribuait plus que tout le reste à relâcher les liens d'un étroit patriotisme, sans pouvoir communiquer aux nations le principe d'une vie nouvelle; elle sentait, elle proclamait son impuissance à relever le genre humain de sa dégradation. Et que fit-elle pour ses plus nobles défenseurs, que de les conduire à une mort glorieuse mais stérile? Les sociétés roulaient dans un cercle fatal. Menacées dans leur existence par tout ce qui répandait sur elles de l'éclat et de la gloire, condamnées à périr par leur prospérité même, chaque triomphe les rapprochait de leur fin.

Par quelle force le genre humain est-il sorti de cet état d'abaissement? Comment l'adoration d'un Dieu unique, réservée jusqu'alors à un seul peuple et à quelques sages, s'est-elle répandue sur toute la surface de la terre? Qui a détruit l'esclavage? Qui a brisé le sceau mystérieux, qu'on aurait dit placé sur la nature pour en ravir la connaissance à l'homme? Comment les lumières, l'aisance et la liberté ont-elles remplacé l'oppression et les ténèbres antiques?

Le Christ paraît: à la présence divine, l'huma

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nité tressaille et commence à relever la tête. Sa faiblesse lui venait de son éloignement de Dieu, source de toute vérité et de tout bien. Précipitée par sa faute de la perfection première où l'avait placée son auteur, elle avait traîné son long exil à travers les misères et les opprobres des anciennes civilisations. Mais que Dieu descende jusqu'à l'homme, incapable de se redresser jusqu'à lui aussitôt l'homme est arraché à la vie des sens qui le courbait vers la terre. Rapproché de la raison souveraine, le regard tourné vers les splendeurs de son origine, comment resterait-il encore assujetti aux créatures? La révolution religieuse, qui le réconcilie avec Dieu, porte dans son sein les autres révolutions qui doivent le rendre maître dans l'univers et libre dans la société. Comme il y a un but pour chaque homme dans le ciel, il y en a un pour l'humanité sur la terre. Alors seulement commence le progrès véritable, dont furent déshérités les âges précédents. qui ne servirent qu'à en préparer la tardive apparition. C'est comme une seconde création du genre humain, mais dont les merveilles ne pouvaient se développer qu'avec la suite des siècles.

La régénération se fait d'abord sentir dans les individus; elle s'annonce par des prodiges de charité et de dévouement. La terre, étonnée de tant d'héroïsme, avait été conquise à la foi chrétienne, les

Césars avaient abaissé devant elle la majesté de l'empire; rien, en apparence, ne manquait à son triomphe; et cependant la tâche la plus difficile peut-être restait à accomplir. L'esprit ancien vivait toujours dans les institutions, dans les mœurs publiques, dans les habitudes tout entières de là société. Point de droits naturels, point de liberté, nul essor de la science et de l'industrie. L'État restait païen; comme l'idolâtrie, il devait être détruit de fond en comble. L'invasion des Barbares semble devoir l'emporter; mais telle était la profondeur du mal, qu'il résiste à cet effroyable déluge. Une action plus sûre, plus impitoyable est nécessaire. Il faut s'emparer de l'homme au dedans et au dehors, éteindre en lui jusqu'au souvenir d'un passé funeste, le dépouiller de son cœur pour lui donner un cœur nouveau. Quelle entreprise que celle de saisir corps à corps le génie du passé, et de refaire l'homme, la société, le monde ! L'Église se met à l'œuvre. Comme inspirée par cette parole du Christ, que les vieux vases ne peuvent contenir le vin nouveau, elle détruit pour fonder, elle opprime pour affranchir; elle attaque sans relâche cette brillante mais fausse civilisation du paganisme. Les lumières de l'intelligence, les chefsd'œuvre des arts, et les enchantements de la Grèce et les grandeurs de Rome, tout disparaît. L'Église absorbe la puissance civile, et le pape les pouvoirs

de l'Église. Une théocratie formidable s'organise, non de dessein prémédité, mais par la force des choses. Le monde dompté paraît comme immobile; tout ce qui s'agite est aussitôt retranché par le fer et le feu. Certes, il faut un étrange aveuglement pour voir dans cette époque transitoire l'âge d'or du christianisme. Qui oserait la comparer aux premiers temps de l'Église pour de l'Église pour les mœurs et pour la doctrine? Le culte se fait extérieur, matériel; on le charge de grossières pratiques qui en voilent la noble et touchante simplicité. Que d'abus et de désordres, combattus plus tard par l'Église elle-même, ne s'introduisent pas dans les pèlerinages, les indulgences, le culte des reliques et des images! A la vue de la corruption générale, le vrai croyant détournerait la tête, s'il ne découvrait sous tant de maux le progrès immense qu'a fait l'oeuvre de la réparation.

En effet, pendant que la nature humaine, resserrée de toutes parts, semble comme anéantie sous l'étreinte du pouvoir sacerdotal, l'affranchissement intérieur s'opère, les âmes sont emportées de vive force au sein de Dieu, et dans ce renoncement violent aux choses de la terre, dans cette mort du vieil homme, s'accomplit la transformation qui fait éclore l'homme nouveau. Toutes les grandeurs de l'avenir sont contenues

dans ce retour intérieur à Dieu, qui rendrait à l'âme sa vigueur et sa dignité première, s'il pouvait être complet ici-bas. Mais l'esprit chrétien, quelque faible que soit d'abord son action, a du moins un théâtre où il peut se déployer sans obstacle. Dans ce monde de la théocratie et de la féodalité, je salue le berceau du monde moderne. Il est pauvre et nu comme celui du Christ; mais il faudrait y apporter aussi les symboliques présents de myrrhe, d'encens et d'or, si l'on voulait représenter en figure ses glorieuses destinées.

Qui n'admirerait ici la profondeur des conseils de la Providence, en la voyant marcher infailliblement à ses fins par des moyens qui semblent en opposition avec le but qu'elle poursuit? L'oppression, l'abstinence, les privations de l'esprit et de la chair, conduisent à l'affranchissement de la pensée, à la conquête des biens terrestres; et voilà qu'à la lueur des derniers bûchers qui s'éteignent apparaît tout à coup la liberté de conscience. Quel merveilleux et imprévu dénouement! Ainsi a été formé l'esprit nouveau, qui n'est que l'esprit chrétien: c'est là en réalité son vrai nom. Il n'est pas d'hier, cet esprit, quoique nouveau, quoique principe universel de rénovation; l'avenir lui appartient, et déjà nous touchons à son avénement définitif. Il a pour but de ses efforts la réparation

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