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de singulier, et ne retenant que ce qu'elle a de commun... Suivant ce principe, toutes les vérités, soit géométriques, soit numériques, soit métaphy siques, sont composées de deux parties, dont l'une tient lieu de matière, et l'autre tient lieu de forme. La matière de ces vérités consiste dans les substances et dans les modes, et la forme dans l'action par laquelle l'âme considère les substances et les modes d'une certaine manière..... D'où il s'ensuit que toutes les vérités numériques, géométriques et métaphysiques étant considérées formellement, ne peuvent exister que dans l'âme qui les conçoit, mais qu'étant considérées selon leur matière première, elles existent actuellement hors de l'âme (1). »

On voit donc que pour comprendre ces vérités, il faut à la fois une conception de l'esprit et un objet sensible, ou du moins extérieur, dont l'une est la forme, l'autre la matière, selon le langage de l'auteur. Il en résulte que les idées ne sont rien séparées de leurs objets, puisqu'elles ne peuvent se soutenir sans eux et dégénèrent en sensations. Aristote et Kant, qui ont précisément enseigné la même chose, glissent irrésistiblement dans le sensualisme. Ce résultat est inévitable lorsqu'on sépare les perceptions des idées en

(1) `Ibid.

l'âme et des idées en Dieu; ou, pour mieux dire, et - suivre la chute les idées de l'âme, isolées des idées de Dieu, se résolvent en conceptions, les conceptions vont chercher leur appui dans les objets sensibles, qui les transforment en sensations. Cependant Régis, qui fait l'idée de l'âme indépendante des objets extérieurs (1), aurait dû étendre l'exception à toutes les vérités métaphysiques, puisque dans l'idée de l'âme se trouvent les idées de substance, d'attribut, de cause, d'effet, enfin toutes les vérités métaphysiques. Son principe demandait qu'il assujettît seulement aux objets extérieurs les vérités géométriques et numériques.

L'idée que Régis se fait de l'étendue est singulière; il dit qu'elle n'appartient point à l'esprit, mais à l'âme, c'est-à-dire à l'esprit uni au corps, et que Dieu la lui a donnée au moment de cette union (2). Qu'est-ce qu'une idée qui ne vient point des sens et de l'imagination, et qui est étrangère à l'esprit (3)? Alors un esprit pur ne saurait avoir d'idées mathématiques. Du reste, en ruinant les idées générales mathématiques, il ne fait que suivre Descartes, qui appelle la nature corporelle l'objet de la géométrie (4), et comme pour insister,

(1) Ibid., chap. vin. (2) Ibid., chap. ix.

(3) Ibid., chap. III.

(4) T. I, p. 325.

affirme qu'elle contient généralement parlant, toutes les choses qui ressortent de la géométrie spéculative (1). Quand Descartes dit qu'il conçoit le trian · gle lors même qu'il n'en existerait aucun dans la nature, il ne rend pas pour cela cette idée indépendante de l'étendue matérielle, mais seulement de la figure d'un triangle sensible quelconque (2). Ainsi l'entend Régis : « Nous ne dirons pas avec le vulgaire des philosophes qu'il y a des idées qui n'ont point d'objet, et que telles sont les idées des choses que nous imaginons sous des formes et des figures qu'elles n'ont pas; car bien que ces idées n'aient point d'objet à l'égard des formes et des figures qu'on veut qu'elles représentent, elles en ont à l'égard des choses auxquelles l'âme attribue ces formes et ces figures. Par exemple, l'idée d'un triangle rectiligne n'a point de cause exemplaire à l'égard de la propriété qu'elle a de représenter trois côtés droits, car il ne se trouve point dans la nature trois côtés droits, tels qu'on les suppose dans un triangle géométrique ; mais elle a un véritable objet à l'égard de la propriété qu'elle a de représenter l'étendue à laquelle l'âme attribue ces trois côtés droits (3). » Donc, suivant Descartes, et Régis qui l'interprète, point de vérité mathéma

(1) Ibid., p. 335.

(2) Ibid., p. 311.

(3) Syst. de phil., liv. II, part. I, chap. x.

tique sans une étendue matérielle. « Quand l'âme, dit ce dernier, se forme l'idée d'un triangle géométrique, elle peut assurer que l'étendue existe, parce que si elle n'existait pas, elle n'en pourrait avoir l'idée, ni par conséquent supposer, comme elle fait, que l'étendue est bornée par trois côtés droits (1). » Est-ce clair? On comprend l'indignation de Malebranche contre cette brutale théorie, qui va extraire de l'étendue matérielle ces vérités que lui se plaît à contempler dans l'étendue intelligible, éternelle, subsistant en Dieu, quoique à son tour il mêle à cette contemplation sublime l'erreur de ne point admettre en nous quelque image d'une étendue pareille. En lisant les cinq premières méditations et les réponses aux objections (2), où Descartes parle si souvent des idées numériques et géométriques comme tenant à la chose qui pense en lui, et où il raisonne dans l'hypothèse qu'il n'existe point de corps, pas même le sien, se douterait-on qu'ensuite il va rejeter la source de ces idées dans les corps mêmes?

Régis termine son explication des vérités nécessaires en ajoutant : « Cette idée est bien différente de celle qu'en ont certains philosophes qui croient que nous voyons ces vérités en Dieu,

(1) Ibid.

(2) Surtout, t. II, p. 289 et 290

parce que toutes les âmes les conçoivent de la même manière. » Qui, elle est bien différente! mais en est-elle plus juste? Si Malebranche se trompe lorsqu'il enseigne que nous ne voyons ces vérités qu'en Dieu, Régis, qui prétend que nous ne les voyons qu'en nous, et qui les frustre par là de leur éternité, se trompe-t-il donc moins? II expose la même doctrine avec plus de détails dans le livre premier de l'Usage de la raison et de la foi, où il prend à partie Platon et saint Augustin (1),

SIV.

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Quatrième tendance de Descartes.

LOCKE.

pen

Le défaut d'explication que nous avons déjà plus d'une fois remarqué dans Descartes, joint à la manière dont il parle, en certains endroits, de la sée, qu'il appelle une simple faculté d'avoir des idées, joint à ce qu'il semble faire dépendre des corps toutes les idées générales, excepté celles de Dieu et de l'âme, en disant, par exemple, que l'étendue corporelle est l'objet de la géométrie, joint enfin à la manière dont il expose l'origine des

(1) Part. 11, chap. iv.

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