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STANCES

A une mere fur la couche de fa fille.

Vous voila donc grand' mere, Aminte, c'en eft

fait :

Autant que je m'y puis connoitre,

Il est affez plaifant de travailler pour l'être,
Mais facheux de l'être en effet.

C'est un trifte present que font les Destinées,
Qu'elles ne donnent pas pour rien;
Il vous en a couté vos plus belles années;
Et le plus clair de votre bien.

Cet enfant qui s'en va croître votre famille
Un jour vous vengera felon votre fouhait,
Et on lui verra faire alors à votre fille,
Ce même affront qu'elle vous fait.

Sur une maladie.

C'eft un des Sergens de la Mort,
Exploitant par tout ce bas monde,
Qui faifant dans ce lieu la ronde,
En paffant eft venu m'avertir de mon fort;'
Et qui, craignant pour moi l'affurance que donne
Une trop conftance santé,

M'a bien voulu par charité;

Signifier l'arrêt, parlant à ma perfonne:

Qui contre tout vivant doit être exécuté.

LETTRE

En renvoyant à une Dame de Largent prêté à la Baffette.

A divine Uranie en tous lieux eftimée,

Dont tout Paris eft enchanté,

Qui partage la Renomée

Par fon efprit & fà beauté:

Cette Uranie enfin de qui la complaifance

Eut

Pavillon.

Deshors

lieres.

Eut furpaffé mon efperance
Par un feul regard obligeant

Le premier jour de notre connoiffance
Ma prêté de l'argent.

Je puis en mon bonheur prendre entiere affurance:
Tout foubçon doit être bani,
Puifque notre amitié commence
Par où tant d'autres ont fini.

Brigandage permis, que l'ufage autorife,
Fier monftre, cruel enfant de l'efpoir le plus doux
Que vomit la Mer en couroux
Dans les lagunes de Venise:
Baffette, dont la face a l'air fi rigoureux,

Qui caufe le murmure & la plainte commune,
C'est toi qui d'un cœur genereux

M'as procuré ce fecours dangereux
Si j'avois été plus heureux

J'aurois eu bien moins de fortune.

Et toi, mon foible efprit, qu'un faux éclat furprend,
Pour quoi te fais tu tant de fête?

Tu vois l'argent que l'on me prête,
Sans voir le cœur que l'on me prend.
Voi, malheureux, à quoi m'engagent
Ces mortelles bontez, ce fecours inhumain.
Voi, que ces yeux la dédommagent
Des profufions de fes mains.

Je puis facilement lui rendre

De quelque argent prêté le fecourable prix;
Mais ce que fes charmes m'ont pris,
Le puis-je, helas, ou le veux-je reprendre?

REPONSE.

Songez vous à ce que vous faites,
Lors d'un air auffi doux qu'obligeant,

que

En me renvoyant mon argent,

Vous comptez votre cœur pour une de vos dettes?

Bornez votre reconnoiffance,
Tout ce que j'ai fait me paroit

D'unc

D'une fi petite importance,

Que je ne vois point d'apparence

Qu'un cœur pour un tel foin à fe donner soit prêt;
D'ailleurs je ferois conscience

De mettre mon argent à fi gros interêt.

Un fi foible fervice à rien ne vous engage,
Le rendre, est seulement ce que j'ai prétendu:
N'allez pas vous piquer de grandeur de courage,
La generofité n'eft plus du bel ufage;

Ce que je vous prêtai vous me l'avez rendu,
En ce fiecle en doit-on demander davantage?
Ah! l'on eft plus heureux que fage,

Lors que l'argent prêté n'eft pas argent perdu.
Grace à la probité qui vous eft naturelle

On ne court point ce danger avec vous:
Mais malgré ce que j'ai vu d'elle,
Malgré l'eftime mutuelle

Que la Baffette a fait naitre entre-nous,
Comme il eft des filoux de differente espece,
Et qu'en Amour prefque tout eft permis,
En vain vous vous êtes promis
D'avoir de moi tendreffe pour tendreffe.
Au feul nom d'Amour je fremis!
Et pour fuir les chagrins qui le fuivent fans ceffe
Demeurons quittes & bons amis.

Q

IDYLL É
Les Fleurs.

Ue votre éclat eft peu durable,

Souvent un jour commence & finit vos deftins,

Et le fort le plus favorable,

Ne vous laiffe briller que deux ou trois matins.
Ah! confolez vous-en Joncquilles, Tubereuses:
Vous vivez peu de jours, mais vous vivez heureuses;
Les médifans, ni les jaloux,

Ne génent point l'inocente tendreffe

Que le Printems fait naitre entre Zéphire & vous
Jamais trop de delicateffe

Ne

De Houl

lieres,

i

Ne mêle d'amertume à vos plus doux plaifirs.
Que pour d'autres que vous il pouffe des foupirs,
Que loin de vous il folâtre fans ceffe:
Vous ne reffentez point la mortelle trifteffe
Qui devore les tendres cœurs,

Lors que pleins d'une ardeur extrême
On voit l'ingrat objet qu'on aime
Manquer d'empreffement, ou s'engager ailleurs.
Pour plaire, vous n'avez feulement qu'à paroitre:
Plus heureufes nous ce n'eft
que
que le trepas
Qui vous fait perdre vos appas.

Plus heureufes que nous, vous mourez pour renaitre
Triftes reflections, inutils fouhaits,

Quand une fois nous ceffons d'être,
Aimables fleurs, c'est pour jamais!

Un redoutable inftant nous detruit fans referve:
On ne voit au delà qu'un obfcur avenir.
A peine de nos noms un leger fouvenir
Parmi les hommes fe conferve:

Nous rentrons pour toujours dans le profond repos
D'où nous a tiré la nature,

Dans cette affreufe nuit qui confond les Heros
Avec le lâche & le parjure,

Et dont les fiers deftins par de cruelles loix
Ne laiffent fortir qu'une fois.

Mais, helas! pour vouloir revivre,

La vie eft-elle un bien fi doux?

Quand nous l'aimons tant, fongeons-nous
De combien de chagrins fa perte nous délivre!
Elle n'eft qu'un amas de craintes, de douleurs,
De travaux de foucis, de peines.
Pour qui connoit les miferes humaines,
Mourir n'est pas le plus grand des malheurs.
Cependant, agreables fleurs,

Par des liens honteux attachés à la vie
Elle fait feule tous nos foins,

Et nous ne vous portons envie,

Que par où nous devons vous envier le moins.

Imitation du Paftor Fido.

Unique fujet de ma flame;
Mirtil, fi tu pouvois favoir
Ce qui fe paffe dans mon ame

Sans doute on te verroit avoir

Pour cette Amarillis, que tu nome cruelle?
Cette même pitié que tu demandes d'elle.

Quoique tous deux amans, quoique tous deux aimés
Et d'un même feu confumés,

De notre amour pourtant le malheur eft extrême
Car enfin, aimable Berger,

De quoi me fert-il que je t'aime,
Si je ne te puis foulager?

Ou de quoi me fert-il qu'un Amant fi fidele
Brule aujourd'hui pour moi d'une flame fi belle?

Deftin pour nous trop rigoureux,

Par quel ordre injufte & barbare,
Faut-il que le ciel nous fépare,

Si l'amour nous unit tous deux de mêmes nœuds?
Ou par quel etrange caprice

Faut-il que l'amour nous uniffe,

Si le ciel plus puiffant nous fépare tous deux?
Que votre bonheur eft extrême,
Cruels Lions, fauvages Ours,
Vous qui n'avez dans vos amours,
D'autres régles que l'amour même:
Que j'envie un femblable fort,
Et que nous fommes malheureuses,
Nous de qui les loix rigoureuses
Puniffent l'amour par la mort!

Si l'inftinc & la loi, par des effets contraires)
Ont également attaché,

L'un, tant de douceur au peché,
L'autre des peines fi feveres:

Sans doute, ou la nature eft imparfaite en foi,
Qui nous donne un penchant que condamne la loi
Ou la loi doit paffer pour une loi trop dure,
Qui condamne un penchant que donne la nature.

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