Page images
PDF
EPUB

gination dévoyer la froide raison. L'imagination aura son rôle à jouer, elle aussi, nous le verrons, mais elle doit tout d'abord céder le pas à sa sœur qui, sévère, impassible comme un comptable, fait l'inventaire de nos idées.

Appuyons ceci d'un exemple, pour être clair. Longtemps le feu a paru mystérieux à l'homme et souvent l'on surprend des enfants, rêveurs, les yeux perdus dans la flamme d'un feu de bois comme s'ils cherchaient un secret dans les formes brillantes et fugitives qui se jouent dans la cheminée. Assez vite, l'homme a connu les conditions nécessaires pour avoir du feu: un combustible, de l'air et un amorçage du phénomène par l'inflammation. La réserve de feu devint le feu sacré. Bien plus tard on découvrit les lois de la combustion, le rôle indispensable que joue l'oxygène et le poids de cet élément qui s'unit à un poids donné de carbone, d'hydrogène ou de soufre.

dit

On se mit à étudier systématiquement les effets de la chaleur et l'on vit la nécessité de caractériser, sous le nom de température, l'état calorifique d'un corps. Deux corps sont à la même température quand, n'agissant point chimiquement l'un sur l'autre, leur contact ne modifie pas leurs propriétés (volume, conductibilité électrique ou calorifique, indice de réfraction, etc,.) Qu'arrive-t-il quand on met en contact deux corps qui n'étaient pas à la même température? Ils prennent le même état calorifique. Voilà ce que montre l'expérience. Comment? Ici l'imagination intervient: on qu'une certaine quantité de chaleur a abandonné le corps le plus chaud pour se porter sur le corps le plus froid. Il s'agit simplement là d'une façon de parler: rien n'est passé d'un corps à l'autre mais on convient de dire que l'un a gagné de la chaleur perdue par l'autre. On compare intuitivement les deux corps à deux réservoirs où l'eau n'était pas au même niveau et qu'on a fait communiquer: de l'eau a passé de l'un dans l'autre jusqu'à ce que le niveau soit le même dans les deux réservoirs. La quantité de chaleur, c'est une conception de notre esprit. Conception avantageuse parce qu'elle simplifie singulièrement l'étude de la physique mais conception dont l'objet n'est pas réel. Nous interprétons les faits en nous servant d'un langage imaginé, conventionnel, mais qui nous rend plus accessibles les mesures et donc les nombres qui vont intervenir dans une question donnée.

Au début du 19e siècle on croyait à la réalité du calorique. On dit aujourd'hui que la chaleur est une forme de l'énergie. Il y

a progrès. Mais c'est une nouvelle image, plus subtile, qu'on a substituée, avantageusement d'ailleurs, à l'ancienne. Qu'est-ce que l'énergie? Une conception de l'esprit plus générale que le calorique mais qui, bien certainement, fera place un jour, à une autre conception qui paraîtra à nos descendants plus satisfaisante. Nous procédons dans la connaissance du monde par approximations grossières que nous affinons graduellement.

-

Mais, c'est ce que nous voulons prouver, c'est par images que procède le langage de la science. Un corps est électrisé: il est dans un état particulier; nous disons - par convention qu'il possède une certaine charge électrique. Nous faisons communiquer un corps électrisé avec le sol; nous disons par convention — qu'il a perdu son électricité. Ici encore c'est une façon de parler: nous savons seulement qu'il n'est plus dans le même état qu'auparavant. Il a pu être commode de parler d'électricité positive et d'électricité négative; conception intellectuelle provisoire des phénomènes électriques. On préfère aujourd'hui parler d'électrons Et c'est fort

bien. Mais ce n'est pas définitif.

Nous parlons de courant électrique: il ne s'agit que d'une image. Familiarisés dès notre enfance avec l'écoulement des eaux, nous reportons à un phénomène analogue les propriétés que possède un fil réunissant deux points à des potentiels différents. On l'a dit: si nous avions un sens électrique et si, par conséquent, nous connaissions l'électricité directement nous pourrions définir un fleuve par analogie avec un courant électrique: tout notre système d'images serait modifié. La science, c'est l'image du monde à travers notre nature humaine: c'est l'interprétation intellectuelle que nous en donnons.

Il serait trop facile de montrer comment s'est modifiée dans le passé la façon de concevoir la matière; comment les "éléments" des philosophes grecs ou du moyen-âge sont devenus les corps simples de la théorie atomique, comment les atomes, regardés autrefois comme insécables, apparaissent aujourd'hui comme fort complexes et en conclure que notre science d'aujourd'hui paraîtra enfantine dans trois ou quatre cents ans.

Mais remarquez bien que ce mot d'atome", inexact, a exercé une influence considérable sur les travaux effectués au dix-neuvième siècle. L'hypothèse atomique s'est montrée d'une extrême fécondité. Et elle l'a été en excitant l'imagination des savants qui ont "vu" des édifices moléculaires comme s'ils étaient réels, des archi

tectures de l'infiniment petit, qui les guidaient, leur faisaient pressentir les propriétés de nouveaux corps, leur suggéraient des méthodes de préparation et leur rendaient mille admirables services.

La science, adaptation de l'univers à notre intelligence, élaboration d'un système cohérent de relations entre les phénomènes de la nature, doit nécessairement modifier son langage à mesure qu'elle progresse. Les résultats acquis demeurent mais la façon d'en parler, la manière de les présenter est sans cesse renouvelée. Sans cesse l'imagination se saisit des résultats de l'observation et crée de nouveaux mots fondés sur de nouvelles hypothèses. Ces mots agissent à leur tour sur les esprits et suscitent des recherches à la suite desquelles leur sens se modifie; de nouvelles conceptions s'introduisent et chaque jour l'homme est davantage le maître de la création, après Dieu.

J. FLAHAULT.

Essai d'étude du capital humain de la province de Québec

INTRODUCTION - PREMIER ARTICLE

Par définition le "bilan" est un acte contenant l'énumération et l'évaluation de toutes les valeurs qui composent l'actif d'un commerçant ou d'une société, et l'état exact des dettes et des charges qui constituent le passif. Le rapprochement des deux permet d'établir la balance de l'actif et du passif, dans ce qu'on appelle le compte des profits et pertes (Nouveau Larousse illustré).

Ceux qui sont dans les affaires connaissent bien cette tenue de livres puisque tous ils font une revue annuelle de leurs finances.

Appliqué au capital humain de notre province, ce travail consisterait à rechercher l'état de nos opérations vitales. La situation dans laquelle nous nous trouvons s'établirait par l'étude de toutes les conditions qui nous sont favorables, notre actif, opposées aux entraves à notre progression normale, notre passif.

Pour nous permettre d'en tirer des conclusions qui soient en même temps des directives, notre enquête doit porter, dans le passé, sur une période suffisamment longue. On ne pourrait, en effet, se rendre compte de notre situation actuelle, on ne saurait davantage tenter de percer l'avenir sans cette analyse rétrospective.

De plus, pour établir dans l'esprit des lecteurs des convictions génératrices d'actes, nos recherches doivent être conduites avec la plus grande impartialité. Il s'agit, d'abord, de connaître les faits, tous les faits. Les statistiques ne sont rien autre chose que des faits mis en chiffres. Il faudra ensuite les "scruter", suivant le conseil que nous donne M. Antonio Perreault, c'est-à-dire les grouper en faisseaux pour en faire ressortir toute l'importance, les disséquer pour en extraire toute la vérité, les analyser pour en apprécier la véritable portée. Le langage des faits sera notre seul guide. On a dit avec raison: Rien ne peut prévaloir contre des faits. Nous nous réjouirons franchement lorsqu'ils seront en notre faveur. Quand il nous arrivera d'en trouver de défavorables, nous ne devrons pas nous contenter de refaire le geste de l'autruche. Au contraire, nous devrons les regarder bien en face et en tirer les leçons opportunes qu'ils nous suggéreront. Ajoutons que le présent travail, toutefois, n'a pas la prétention d'épuiser le sujet, ni de porter sur

le problème posé un jugement définitif. N'étant pas du métier, je suis forcé de limiter l'étude aux données statistiques élémentaires. Mais plutôt me permettra-t-on d'entretenir l'espoir que cette modeste monographie pourra servi à amorcer des échanges d'opinions, à ouvrir la voie à des communications plus complètes, plus autorisées, qui finiront par orienter une action plus assurée d'atteindre le but que nous nous proposons.

Si tel est le cas, je serai récompensé de mes efforts et satisfait du résultat obtenu.

Les questions qui intéressent notre capital humain sont les suivantes:

1° La population. Quelle est la situation numérique de la province de Québec? Son augmentation est-elle suffisante? De quoi est-elle faite? Comment se fait sa distribution sur notre vaste territoire? Comment est-elle répartie par sexes, par nationalités, par groupes d'âges, etc.?

2° La mortalité. Quel est le chiffre des pertes que nous subissons tous les ans? Notre situation se compare-t-elle avantageusement avec celle des autres provinces? Quel est le mouvement des différentes causes qui contribuent à grever le tableau de notre mortalité générale? Ces causes sont-elles toutes inévitables et doiventelles toutes inexorablement faire tous les ans les mêmes larges trouées dans nos rangs? Ou, au contraire, certaines d'entre elles peuventelles être diminuées, et dans quelles proportions?

3° La maladie. Quelle est la signification sociale de la maladie, c'est-à-dire, jusqu'à quel point entrave-t-elle la production, quelles sont les dépenses qu'elle occasionne, quelle est la somme d'énergie négative qu'elle immobilise? Quelles sont les maladies qui nous causent le plus de tort? Dans quelle proportion sont-elles évitables?

4° Le passé. Quels efforts avons-nous faits jusqu'à aujourd'hui pour protéger notre capital humain contre la maladie et contre la mort? Jusqu'à quel point ont-ils été fructueux?

5° L'avenir. De quels moyens devrons-nous disposer pour réaliser l'objectif que nous nous proposons: la conservation et la mise en complète valeur de toutes nos unités nationales?

Voilà quelques unes des questions que nous aurons l'occasion de nous poser en cours de route. Elles nous permettent déjà d'entrevoir l'ampleur de l'enquête à faire.

« PreviousContinue »