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et d'exacte raison arrivent à force d'exercice à fermer les avenues de ce monde inconsistant et à vivre dans une exacte lumière; mais les esprits moins fermes, les femmes, les jeunes filles, et en somme toute la jeunesse vivent dans ce domaine du songe beaucoup plus que dans la partie éclairée que nous appelons le réel. Or Lamartine s'est rencontré qui a trouvé le moyen d'exprimer ce monde mystérieux non pas avec des mots précis qui le trahiraient mais avec une musique harmonieuse et divinement vague qui paraît être comme la vibration même du rêve. Etonnez-vous après cela que les femmes, les jeunes filles, les âmes aimantes et rêveuses aient vu dans Lamartine leur poète, le poète qu'elles attendaient, le poète qui les comprend enfin! et qu'elles comprennent!

Des raisons analogues avaient fait le succès de Werther et de René. Mais pour ceux qui les aimaient le plus, Werther et René n'étaient pas sans amertume: la mélancolie qui se dégage de ces œuvres décevantes est une sorte de nuit opaque qui ne laisse aucun espoir de retrouver la lumière; elle brise tous les motifs d'agir, elle est la chape de plomb qui tombe sur l'être vivant et immobilise tous ses muscles. Au contraire la mélancolie de Lamartine est un crépuscule où la lumière paraît plus attendrie d'être atténuée; elle invite aux larmes, mais aux larmes qui soulagent et consolent; elle invite à prier, à croire et à espérer; elle fait à la prière, à la foi, à l'espérance, une atmosphère ouatée qui les rend plus faciles et plus douces. Au fond, le poète des méditations et on lui en sut gré et on lui en sait gré encore corrigeait la désespérance de Werther et de René qui ont quelque chose de trop absorbant et de trop définitif pour la mentalité française. En France la mélancolie désespérée n'est que le rêve d'un soir d'automne; cela se met en musique, la musique allège le cœur et à l'aube du lendemain on reprend le travail de la vie, positif et clair. Lamartine est bien le poète de la mélancolie française, de la mélancolie optimiste, si on peut ainsi dire.

Ces poèmes mélancoliques et consolants qui renouvelaient la poésie française portaient un titre significatif emprunté au vocabulaire religieux que Chateaubriand avait remis à la mode. Ce titre de Méditations que justifiait d'ailleurs l'ensemble du recueil où l'émotion religieuse tient une si grande place, suffit pour classer

Lamartine parmi les continuateurs du Génie du Christianisme; aujourd'hui même encore on l'appelle un poète chrétien. Pourrait-on savoir de quelle manière et jusqu'à quel point il est chrétien?

Je ne parle pas ici bien entendu de sa foi personnelle. On s'est appliqué de divers côtés à nous dire ce que Lamartine croyait ou ce qu'il ne croyait pas et Jean des Cognets a écrit un fort beau livre sur sa vie intérieure. Si nous en croyions Dargaud dont Des Cognets utilise le journal, Lamartine aurait été toute sa vie au point de vue religieux dans un état violent: radicalement incrédule en fait, il aurait refusé malgré les instances de Dargaud de proclamer son agnosticisme par piété pour le souvenir de sa mère qui lui avait enseigné à prier. Dargaud n'a pas compris Lamartine ou bien il se vante; Lamartine a eu des périodes de doute et peut-être des heures de négatior, il n'est jamais arrivé à une position claire et fixe, à un rationalisme définitif sans retour de mysticisme. Ce problème de la foi personnelle de Lamartine est insoluble parce que Lamartine n'a jamais su exactement ce qu'il croyait.

Mais ce qui est obscur dans son âme pourrait être clair dans son œuvre. On peut y distinguer des nappes diverses de sentiment religieux, qui se contrarient parfois mais qui finissent par se mêler dans une sorte de flot vainqueur et il est évident que ce flot va vers Dieu.

On y trouve d'abord, et c'est ce qui frappa le plus les contemporains, des souvenirs d'une enfance pieuse, des échos du cœur maternel comme cette prière du matin que les enfants répèteront toujours et qui restera attachée à son nom:

O père qu'adore mon père !

Toi qu'on ne nomme qu'à genoux,
Toi dont le nom terrible et doux ·
Fait courber le front de ma mère.. !

Mon Dieu donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux
Et la laine aux petits agneaux
Et l'onde et la rosée aux plaines..

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur
Donne moi sagesse et bonheur
Pour que ma mère soit heureuse !

Ce n'est pas peu que d'avoir exprimé pour l'éternité dans une langue si simple et si tendre ces balbutiements de l'enfance et cette prière n'a pu sortir que d'un cœur profondément chrétien.

Assurément dans les Méditations nous rencontrons des poèmes qui rendent un autre son. Dans l'Homme et surtout dans le Désespoir apparaissent des doutes, des révoltes, des négations. Faut-il voir là des états transitoires, ce qu'on pourrait appeler des tentations contre la foi ou bien peut-on y discerner les traces d'une véritable crise religieuse? Ceux qui croient à cette crise et elle reste

vraisemblable ont le tort d'en fixer avec trop de précision les étapes; peu à peu à mesure qu'il vivait, par usure, par sollicitation des sens, par réflexion philosophique, Lamartine se détachait de la foi de sa mère et du système lié de doctrines théologiques que ses maîtres lui avaient enseignées. Ce détachement l'amenait dans un état d'incertitude flottante où la négation aurait été aussi impossible que l'affirmation, un état qui le faisait souffrir et qui cependant l'enchantait. Ce qui avait vacillé en lui, c'était l'esprit religieux, tandis que le sentiment religieux restait intact et chaud comme aux premiers jours et suffisait à donner satisfaction à ses besoins religieux. Sortit-il jamais de cet état où l'incertitude intellectuelle s'alliait si bien aux élans du cœur, encore une fois nous ne le saurons jamais. Cependant à lire les Harmonies Poétiques et Religieuses, le poème de sa maturité et peut-être son chef-d'œuvre on croirait que Lamartine s'est constitué une philosophie religieuse qui a remplacé son catéchisme et sert maintenant de base aux affirmations spontanées de son cœur. Il y a là de très belles élévations où le poète arrive jusqu'à Dieu en écoutant les appels de son cœur; et ce ne sont plus seulement des effusions sentimentales; le sens intime qui en est la source n'est autre chose que cette conscience dont Rousseau avant lui avait proclamé les exigences et l'infaillibilité. Plus souvent encore Lamartine s'élève à Dieu par la contemplation de la nature; on serait tenté de dire qu'il continue ainsi Chateaubriand qui avait enseigné après Fénelon et après Bernardin de StPierre à prouver la Providence par les migrations des oiseaux ou par l'architecture de leur nid. Mais des poèmes comme l'Hymne du matin, le Chêne, l'Eternité de la Nature, l'Infini dans les cieux, ont une autre portée et la preuve esquissée par Chateaubriand est transfigurée par une méditation scientifique et poétique d'un bel élan et d'une haute portée. Et comme on sent que l'invocation qui

termine ces poèmes philosophiques est soulevée par un enthousiasme vrai qui va rejoindre les élans de la piété la plus chrétienne.

"Flottez, soleils des nuits, illuminez les sphères,
Bourdonnez sous votre herbe, insectes éphémères
Rendons gloire, là-haut et dans nos profondeurs,
Vous par votre néant et vous par vos grandeurs,
Et toi par ta pensée, homme, grandeur suprême.
Miroir qu'il a créé pour s'admirer lui-même,
Echo que dans son œuvre il a si loin jeté
Afin que son saint nom fut partout répété
Que cette humilité qui devant lui m'abaisse
Soit un sublime hommage et non une tristesse;
Et que sa volonté, trop haute pour nos yeux

Soit faite sur la terre ainsi que dans les cieux.'

Des raisons poétiques pour affirmer Dieu et monter jusqu'à Lui, Lamartine en trouve encore dans cette philosophie platonicienne dont il ne connaissait à vrai dire que les tendances mais qu'il sentait si bien accordée avec les besoins et les désirs de son âme. Il se faisait de Socrate une idée fausse et dans le poème qu'il lui a consacré il a travesti le malin sophiste en une sorte de mystique verbeux et nuageux. Mais comme il a bien compris ce qui fait la force religieuse du Phédon et que nous ne pouvons plus douter de l'immortalité de l'âme, attendu que nous en avons l'idée, le sentiment, le désir et le besoin.

Dans tous ces poèmes religieux il ne faut pas chercher les articles dispersés d'une doctrine positive, ni le visage de l'orthodoxie catholique. De tous nos écrivains Lamartine est celui qui a le plus constamment brisé la gaine qui enserre les mots, les limite, et les fixe dans leur sens; libérée de toute entrave, la langue de Lamartine, se répand sur les choses, en prend mieux le contour changeant, s'étend à plus d'objets, et s'écoule jusque dans le monde de l'inexprimable; mais si on la regarde et si on la serre de trop près il est souvent impossible d'en préciser le sens idéologique. La poésie religieuse de Lamartine n'est pas la traduction en vers de la doctrine chrétienne, c'est l'expression musicale du sentiment chrétien, c'est un art de faire sentir Dieu par la musique du vers un art enchanteur qu'aucun autre poète moderne n'a égalé.

A partir de 1830 la vie de Lamartine change de caractère, et ses historiens arrivent difficilement à en marquer la courbe et à en établir l'unité. L'évolution en est dominée par des sentiments vagues qui sont dès le premier jour impérieux et absorbants. Ces sentiments se fortifièrent dans l'âme de Lamartine, devinrent des idées tumultueuses et des con rictions, au cours de ce voyage d'Orient où il crut découvrir, à travers la méditation de la douleur, une humanité nouvelle. Il était persuadé qu'il foulait la terre qui avait été le berceau des peuples et des religions; c'était là, pensait-il, à la source des choses, qu'il entendrait les grands secrets. Les grands secrets ne lui vinrent pas du fond des âges, il les apportait de France et le romantisme les lui avait enseignés. Depu's l'origine du monde, le peuple souffre d'une injuste oppression; de siècle en siècle il a usé ses muscles à secouer les jougs mais son heure est venue, l'aube du grand jour apparaît déjà et le peuple, maître enfin du pouvoir, va dominer le monde et conduire l'humanité vers son destin. Lamartine se réjouit dans son cœur de cette révolution prochaine, mais il se demande avec angoisse si le peuple sera digne de sa nouvelle fonction, de son grand rôle; il appartient aux philosophes et aux poètes de l'y préparer et de lui faire une âme à la hauteur des événements qui vort venir. Le jour où il eut fait cette découverte, l'auteur des Méditations se crut grandi: il avait enfin trouvé un emploi de son activité et une mission aussi large que ses rêves les plus illimités.

Il s'agissait donc maintenant de former l'âme populaire par tous les moyens dont il disposait, par l'action politique, par l'éloquence, par la poésie. Sa politique fut toute d'idéalisme démocratique, de mépris pour les habiletés des monarchies bourgeoises, de confiance absolue dans la bonté du peuple. Son éloquence prestigieuse fut un don dotal de soi-même, une sorte d'effusion lyrique, un amour; et c'est pour cela qu'elle fut si étrangement prenante et qu'elle remporta la plus étonnante victoire que l'histoire ait connue, puisqu'elle suffit un jour à arrêter une Révolution. Les critiques à courte vue ne manquent pas de regretter à ce propos que Lamartine ait abandonné la poésie, sa vraie vocation, pour se jeter dans le tumulte décevant de la politique; ils ne comprennent pas que la politique et l'éloquence de Lamartine sont aussi de la poésie, des formes de cette poésie plus haute que celle des livres, qui est l'art

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