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même aspect. L'enseignement professionnel, les méthodes empruntées au voisin, le groupement mieux compris, l'entrée des nôtres dans l'arêne économique ont comme rajeuni nos valeurs.

Les faits confirment l'affirmation du sociologue. Le Plateau Laurentien a été franchi par la colonisation: il nous a donné l'énergie et la pâte de cellulose, un champ plus vaste où nous déployer. La population plus considérable a formé un marché dont nous ne nous sommes emparés qu'en partie, malheureusement. Nous avons nos industriels, nos négociants, nos financiers. Déjà on énonce les principes d'une économie nationale que la réalité a fondée. Les auteurs étrangers qui s'occupaient de nous naguère, pour louer notre survivance et lamenter notre pauvreté relative, changent de ton: ils supputent notre avenir avec moins de commisération, ils sentent que nous vivrons désormais par toutes nos forces. Et nous nous prenons à espérer avec eux.

L'historien a donc plus d'une raison d'arrêter son esprit sur les révélations de notre vie économique.

C'est d'abord qu'elle existe, cette vie, liée au sort commun: elle est telle qu'on ne peut plus la reléguer. On la retrouve partout, féconde ou malfaisante. C'est elle qui nous libère et qui nous dépeuple. Elle agit aussi sans nous, en dehors de nous; elle agira contre nous si nous n'y prenons garde. Nous nous enrichirons sans savoir vers quelles obligations la fortune nous porte, à moins que nous n'ayons donné à notre élan une direction précise et décidé de n'accepter de la richesse que sa puissance pour le bien et pour la préservation de notre race.

Eternelle chanson des bords du Saint-Laurent: durer coûte que coûte. La lutte n'est jamais achevée pour une minorité résolue à garder son caractère: conduite autrefois à la tribune, c'est sur le domaine économique qu'elle s'engage aujourd'hui. Les nôtres resteront-ils attachés au sol? Deviendrons-nous des maîtres ou resterons-nous des serviteurs? Notre territoire sera-t-il la proie des autres? Qui nourrira nos gens? Autant de questions autant d'angoisses. L'essor économique n'est pas l'unique solution. C'en est une. Il suffit.

Car les autres aussi s'enrichiront, continueront de s'enrichir; et Dieu veuille que ce ne soit pas à nos dépens, en fin de course. Des erreurs passées, inévitables peut-être, ont facilité l'emprise de l'étranger; les événements de chaque jour, dans le terre-à-terre des opérations courantes, nous font toucher des concurrences nouvel

les, surgies de toutes les origines, souvent inexplicables. Le cercle se referme sur nous, malgré nos progrès; et le cercle est résistant. Nous regardons les événements se produire, s'engrener, ravis du succès des autres, humiliés au fond de ne pas posséder les instruments ni le génie pratique dont ils disposent. Ils achètent tout, et nous ne délibérons même pas. Il serait temps, grandement temps, de nous ressaisir, d'interroger notre avoir et nos moyens, de nous compter, d'établir nos réussites pour mieux illuminer nos faillites, d'organiser nos énergies, de prêcher une doctrine qui fasse l'union par l'action, en un mot d'agir positivement au lieu d'applaudir béatement, pour éviter que le cercle à la marche sûre ne se rejoigne, soudé sur nous.

Une dernière raison nous incline à réclamer une attention plus variée et mieux avertie chez ceux qui voudront dégager les facteurs, tous les facteurs, de notre histoire: faute de les avoir distingués nous connaissons mal le passé auquel nous vouons une obéissance aveugle et frêle parce qu'elle est aveugle; et nous ignorons une large part du présent. Le milieu où se passe notre existence nous demeure fermé. Nous le savons abondant, parce qu'un cliché nous le répète; mais quel est-il au juste? Comment s'est-il formé, en quoi a-t-il guidé, conditionné nos tentatives? Mystère. Combien peuvent se vanter de bien connaître la vallée laurentienne? Et combien le Plateau Laurentien, lourde masse occupant les neuf-dixièmes de notre province? Combien nous expliqueraient le tableau déroulé depuis le Mont-Royal jusqu'aux quatre points de l'horizon et suivraient avec quelque certitude, fut-ce sans la comprendre, la ligne brisée des collines montérégiennes? Combien nous raconteraient pourquoi Montréal a grandi au point de réunir un dixième de la population du Canada? Peuple féru d'éloquence, nous conduisons avec délices des luttes politiques sur une terre inconnue. L'homme a sur le sol exécuté des travaux, construit des maisons, élevé des usines: ce faisant, il a donné une physionomie au pays. Laquelle ? Celle qui existe, la conserverons-nous? Nous ressemble-t-elle suffisamment? Les travaux qu'il a exécutés, quelle détermination, née de l'ambiance ou du temps, les provoqua? Nous n'en finirions pas d'évoquer la vie comme le livre de toutes les expériences, comme la confirmation de toutes les grandes idées. Recherchons-la plus que nous ne le faisons, pour mieux l'apprécier; et, pour elle, laissons un peu de côté les manuels, qui ont du bon mais qui sont imprimés Elle est complexe, mais sa complexité même est si pleine d'enseigne

ments. De tous ses traits nous reconstituerons le "visage du pays", selon le mot de Jean Bruhnes. Relisez son admirable Geographie humaine, qui sert d'introduction à l'Histoire de France. Rien n'est omis, la race, le milieu, les activités - jusqu'aux moindres; le peintre accumule les tons les plus divers, juxtapose les valeurs, vives ou mortes; le tableau en reçoit son relief, la figure se dessine sous un art fait d'intelligence et d'amour: elle est désormais de celles que l'on grave en soi, quoiqu'il advienne.

Edouard MONTPETIT,

Professeur à l'Université de Montréal.

LE POINT DE VUE CANADIEN-FRANÇAIS

EN MATIÈRE D'EDUCATION

Le 10 novembre 1925, devant la Canadian Education Association, réunie à la Normal School d'Ottawa, le docteur Joseph Nolin, vice-doyen de la Faculté de Chirurgie dentaire, délégué de l'Université de Montréal, prononçait le discours suivant. Après quelques mots adressés à ceux qui "connaissent le doux parler de France", le docteur Nolin s'est exprimé en anglais. Nous avons cru être agréables à nos lecteurs en publiant le texte intégral de cet intéressant et vigoureux exposé.

Monsieur le président, mesdames et messieurs,

Quand mon recteur m'invita, il y a quelques jours, à le représenter auprès de vous ce soir, ma première impulsion fut de me récuser.

L'Université de Montréal déborde de personalités marquantes, et l'écho de ses salles répercute tous les jours la chaude éloquence de nombreux professeurs, dont la voix, plus autorisée que la mienne, aurait su mieux vous charmer et vous intéresser.

Mais le protocole universitaire, comme celui des cours royales, veut qu'une invitation du recteur équivale à un ordre. Je n'avais donc qu'à m'incliner et à promettre de faire mon possible.

"Vous direz aux éducateurs des autres provinces, m'a-t-on dit, que nous désirons avec eux le progrès et la prospérité de notre cher pays. Expliquez -leur nos méthodes, montrez-leur notre passé tragique et pénible, notre présent viril et laborieux, notre avenir encore incertain mais plein de consolantes promesses. Nous n'avons, Dieu merci, rien à cacher et nous ne craignons pas les comparaisons. Bien au contraire, nous les recherchons. Elles nous permettent d'emprunter aux autres ce qui nous manque et de leur offrir le fruit de notre coûteuse expérience."

"Pour éviter toute équivoque, ajouta-t-on, on vous prie de vous servir de la langue de la majorité de vos auditeurs. Il est bon de prouver de temps à autre à nos collègues des autres provinces que si, chez nous, nous conservons religieusement notre belle langue française et si nous avons la ferme volonté d'en perpétuer

l'usage, nous ne craignons pas d'apprendre la leur, bien que, dans le Québec, aucune loi ne nous y oblige, comme aucune loi ne force la minorité anglaise de parler la nôtre."

Ceux d'entre vous, mesdames et messieurs, qui connaissez le doux parler de France voudront donc bien me pardonner de ne pas m'en servir ce soir.

THE FRENCH CANADIAN VIEW POINT ON
PUBLIC EDUCATION

Mr. Chairman, Ladies and Gentlemen,

In view of the fact that your Association is more directly concerned with public education, you no doubt expect outsiders, when invited to speak before you, to confine their remarks to educational questions of purely general interest. On the other hand, it would come as a surprise, and you might even feel slightly disappointed if a speaker, hailing from one of the French Universities of Canada, did not refer, in his address, to the French Canadian point of view on matters of education.

To grasp thoroughly this point of view and to get at the underlying causes from wich it springs, one must first endeavour to understand the actual French Canadian system of education and bear in mind that it is the outgrowth of a long, complicated and laborious process of evolution.

During the early days of French colonisation in Canada, the Royal Government of the mother-country paid fair attention to the education of the colonists. The main mission of the religious orders which were successively sent to America was "to educate younger members of the colony and more particularly the Indian children, in view of transforming the latter into good Christians ans good Frenchmen". More than three centuries ago, (1616) Brother Pacifique Duplessis was teaching reading and writing to the Indian boys and girls of Three Rivers while Father Caron was doing likewise in Tadoussac.

Although history does not mention the fact, it is quite probable that the Recollets Fathers, established in Quebec and who in 1619 were numerous enough to found a monastery, also taught school.

1 Chauveau.

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