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Toutefois, les nouvelles se précisèrent et, le 20 mars, les hostilités cessèrent. Le vœu que Riedesel avait formulé, la veille, se réalisait: "Je remercie le ciel que le jour approche où je pourrai retourner dans ma patrie, y faire donner à mes enfants une meilleure éducation et y restaurer ma santé". D'autres soucis lui faisaient désirer de quitter le Canada. Sa femme venait de subir une assez grave opération à la poitrine, à la suite de la naissance de sa dernière fille qui venait elle-même de mourir: "Ma fille aînée Augusta, écrit madame Riedesel, qui aimait beaucoup sa petite sœur, tomba malade de douleur; et ma plus jeune, América, aussi, faillit mourir de la même cause, avant même que sa sœur ne fut inhumée. Mais le médecin qui était encore avec nous, fit si bon usage de ses remèdes qu'elle nous fut conservée. Mon mari fut tellement hors de lui à la suite de toutes ces calamités, que nous ne pûmes le convaincre de venir dans la maison, avant que le docteur ne lui eût assuré que ses patientes se portaient bien. Nous inhumâmes notre bien-aimée petite morte à Sorel, et l'officier me promit qu'elle aurait un monument, avec une inscription, sur sa tombe, afin d'empêcher les habitants qui étaient d'aveugles et fanatiques catholiques, d'enlever l'enfant hérétique de la terre consacrée". En attendant le monument "quelques officiers catholiques allemands, 14 placèrent une croix avec une inscription sur la tombe de la petite Canada." Il convient de dire ici, pour expliquer la conduite des habitants catholiques de Sorel, que la soldatesque se servait "manu militari" de l'église catholique pour leurs offices et du cimetière catholique pour les inhumations et cela malgré les protestations du curé comme catholique et propriétaire.

En 1778, le colonel McKenzie, du 31e régiment, était décédé à Sorel. Le "irrévérand M. Scott", chapelain du 34e depuis 1777, et démis de ses fonctions en 1782, sur les plaintes de St-Léger, commandant du 34e, n'ayant pas de cimetière protestant "voulut forcer le curé Martel à accepter l'inhumation dans son cimetière. Il refusa. Le major Naime, commandant de la garnison, fit défoncer la porte du cimetière et enterrer le colonel." Le même conflit s'était renouvelé à l'occasion du décès de Canada Riedesel.

De plus, le général qui avait déjà reçu, en 1781, une lettre scellée de cire noire qui lui apprenait la mort de son souverain Auguste de Brunswick, en reçut une autre, le 18 mai de la présente

14 L'armée allemande comprenait des catholiques, des réformistes et des luthériens

année, où son frère lui annonçait la mort de leur père, survenue, le 5 septembre 1782, au manoir de Lauterbach, à l'âge de 77 ans. On demandait Riedesel pour le règlement de la succession.

ORDRE DE RETOUR

Ce fut donc avec un grand soulagement qu'il reçut, vers le milieu de juin, une dépêche d'Angleterre lui enjoignant de se préparer à passer les mers.

Les troupes de Brunswick encore prisonnières aux EtatsUnis ne devaient pas venir rejoindre Riedesel au Canada, comme il l'avait désiré. Le 6 juin, elles s'embarquaient déjà pour l'Allemagne.

Haldimand, sur la demande de Riedesel, envoya immédiatement des ordres pour hâter en autant que possible le départ de l'armée. Il permit aux Allemands de rester dans leurs quartiers d'hiver jusqu'au jour de l'embarquement, ce qui eut le don de leur plaire beaucoup. Le général s'occupa activement de tous les préparatifs, afin que les troupes fussent prêtes au premier moment. L'Angleterre, en effet, trouvait qu'elles lui coûtaient cher, et elle tenait à les voir profiter de la belle saison pour partir vers l'Allemagne. Les Allemands, par ailleurs, qui avaient décidé de retourner dans leur pays, ne désiraient pas languir plus longtemps au Canada.

L'armée de Brunswick n'a pas quitté toute entière le sol canadien Nous donnons une partie de la conclusion de l'ouvrage à ce sujet.

TOMBES CANADIENNES

La tombe de la petite Canada n'a pas été violée à Sorel; mais qui pourrait retrouver ses restes et même l'endroit exact où ils reposent dans le cimetière, disparu lui-même depuis près de cent ans? Quelques terrassiers de hasard remuent bien, de temps à autre, des ossements disséminés près des hangars qui avoisinent le fleuve, à l'embouchure du Richelieu, mais ces vestiges historiques n'ont pour eux aucune signification vraiment digne d'intérêt. Aux TroisRivières, nulle trace, non plus, de l'excentrique et beau lieutenantcolonel Ehrenkrook qui mourut à cet endroit, le 22 mars 1783, "et y fut inhumé avec les honneurs militaires," pendant que, par son ordre, "les officiers qui étaient venus assister à ses funérailles, se régalaient d'un plantureux dîner préparé à ses frais." Plusieurs autres compagnons d'armes de Riedesel, outre les quelques cents

qui périrent sur les champs de bataille américains ou furent faits prisonniers de guerre dans le Massachusetts et la Virginie, dorment leur dernier sommeil en terre canadienne. L'oubli de plus profond monte la garde sur leurs tertres ignorés. C'est à peine si les rares chercheurs découvrent quelques noms dans la poussière des archives du pays où ils ont vécu, souffert et se sont couchés pour la suprême fois.

DES ANCETRES

Un grand nombre ont laissé au Canada des héritiers de leur propre nom, lesquels seraient bien surpris, malgré toutes les évidences, d'apprendre que dans leurs veines coule un sang allemand.

Des 5723 Brunswickers que leur souverain envoya au Canada de 1776 à 1783, quelques centaines gisent autour de Ticonteroga, (Carillon), de Bennington et de Saratoga; 1378 autres, encore prisonniers de guerre au moment de la paix s'établirent, pour une poignée, dans le pays de leur martyre ou reprirent, pour la plupart, le chemin de leur patrie, en juin 1783; un certain nombre se trouvaient en Nouvelle-Ecosse. Des 3000 environ, encore au pays, à l'heure du départ, en août 1783, 1880 s'embarquèrent avec leur général. Plus de 1200 autres, avec l'encouragement de leur souverain et de leurs officiers, demeurèrent au Canada avec quelques centaines de soldats de Hanau et de Anhalt-Zerbst. Une grande partie d'entre eux y avaient déjà femme et enfants. Nous n'avons qu'à consulter les registres de certaines de nos paroisses, de 1776 à 1785, pour y trouver en abondance les actes de mariage d'un "soldat de Brunswick" ou d'un "Allemand en garnison en ce lieu", avec nos Canadiennes aux si jolis yeux doux, qui avaient su les séduire.

LEURS DESCENDANTS

Parcourez ces mêmes paroisses aujourd'hui et vous rencontrerez les mêmes noms qui apparaissaient sur la liste du sieur Godecka, paie-matre général des Brunswickers, décédé à Sorel, le jour de Noël 1782.

Plasse, Aussant (Aussem), Matte, Koenig, Globensky, Blumhart, Bender, Pratte, Piuze, Kimber, Trestler, Glackmeyer, Besner, Arnoldi, Klein, Eberts, Heynemand, Grothé et nombre d'outres, autant de noms dont les ans ont quelquefois trahi l'ortho

graphe, mais qui n'en ont pas moins gardé leur marque l'origine. 15 Plusieurs de ces noms nous sont très familiers et quelques-uns même ont une réputation nationale. Bien plus, certains d'entre eux ont leur écho jusqu'à la rive du Pacifique comme celui de Pincier, dignement porté par le Très Révérend Adam Urias de Pincier, évêque anglican de New-Westminster, en Colombie-Anglaise.

LE SOUVENIR

16

En 1787, Dorchester, le Carleton d'hier, eut un souvenir pour ses Allemands de 1776, en baptisant quelques nouveaux districts loyalistes des noms de Luneburg, Nassau, Mecklenburg et Hesse. On en retrouve encore quelques-uns dans nos provinces de l'Atlantique. Une de ces provinces même porte le nom le plus retentissant peut-être de l'Allemagne, avec celui de la Prusse, le nom que portait justement l'armée du noble général Von Riedesel: le NouveauBrunswick.

Ainsi passe la gloire du monde. Quelques noms sur une carte et dont le géographe lui-même ne comprend pas la signification profonde, lourde de toute une épopée; des fils qui ne connaissent point leurs pères et ne savent pas quel sang coule dans leurs veines; quelques vieilles masures qui achèvent de rejoindre celles qui sont déjà disparues; les reliques des champs de bataille aujourd'hui somnolents, inutile ferraille rongée par la rouilles; des tombes effacées...

Georges MONARQUE, avocat,

15 Voir Une colonie allemande de St-Gilles (Hist. de la Seigneurie de Lauzon Edmond Roy.)

16 Aussi Madame Goodwin (Mary Elisabeth de Pincier), née, comme son frère, à Burritts Rapids, Ontario, et garde-malade à Canton, Ohio, et Chs de Pincier, dentiste à Montréal. Leur ancêtre Théodor de Pincier, fils du duc de Brunswick, arriva au Canada, en 1776, avec le régiment de Riedesel, dont il était lieutenant du Génie. Il retourna en Allemagne, en 1783, et revint au Canada l'année suivante, après avoir obtenu sa décharge. Il s'établit à Sorel où il épousa Marguerite de Bellefeuille dont il eut plusieurs enfants. Il arpenta presque tout le district qu'il avait parcouru en soldat. On trouve de ses procès-verbaux un peu partout dans nos archives. Il a laissé des lettres des plus intéressantes. Très intime avec le seigneur Cuthbert, de Berthier, il le tenait au courant de sa vie désœuvrée de prince raté. Il finit par se donner la mort, en 1824.

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REVUE DES LIVRES

- Revue mensuelle publiée à Narbonne.-6, rue EdmondAbonnement: 60 fr. ou 25 fr.

Septimanie fut d'abord le nom donné au territoire de Béziers où les Romains avaient établi une colonie de vétérans de la Septième légion, puis s'étendit à tout le sud de la Gaule, où se trouvaient Sept villes principales. Septimanie, la revue fondée en 1923 à Narbonne, que nous présentons au public, est l'organe littéraire de cette région. M. Paul Duplessis de Pouzilhac en est le rédacteur en chef, et M. Paul Castela, le secrétaire-général. Les fondateurs ont voulu créer une revue élégante et d'allure très moderne. Ils y ont réussi: format, papier, illustration abondante et "sur bois", lui donnent un caractère original. Nous avons sous les yeux "Le Cenotaphe des Pierres Mortes", par le rédacteur, dont les illustrations dessinées par M. Auguste Rouquet et Mme Jane Rouquet sont d'une inspiration toute contemporaine, tandis que "Bele Aélis" de M. Paul Castela, illustrée par lui-même, est une reconstitution du moyen-âge, le style aussi bien que l'estampe. M. Castela apporte à cette évocation un talent très fin d'écrivain et d'artiste, comme on peut s'en convaincre par d'autres pièces de lui: "Perdigon l'enchanteur" et le "Marquis au court nez," etc. La Revue publie quelque fois des morceaux en dialecte provençal. La liste de ses collaborateurs est des mieux composées.

LE BOUCLIER CANADIEN-FRANCAIS, par M. L.-J. Dalbis - chez Déom, à Montréal. - Prix:

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M. Dalbis, avant de partir pour ses vacances, nous a laissé un livre, d'une lecture attachante, et donc tous les Canadiens français lui seront reconnaissants. Le Bouclier canadien-français, tel fut d'abord le titre d'une conférence que l'auteur a répétée un peu partout en Europe, afin de nous faire mieux connaître, et où il expose le fait merveilleux de la survivance de la race française en Amérique. Dans le volume que nous analysons, cette conférence est suivie d'une étude plus considérable encore, la plus fouillée et la plus sympathique que nous connaissions, sur le livre désormais célèbre de Louis Hémon: Maria Chapdelaine. On y retrouve, - et c'est un vif plaisir l'auteur tout entier: son goût de précision scientifique, son esprit pétillant, son imagination et son cœur. Nulle part nous n'avons vu, mieux dégagé, et mis en lumière, le symbolisme de l'œuvre. Nous n'entrerons pas dans les détails, mais nous voulons signaler les chapitres où M. Dalbis prend la défense du roman de Louis Hémon, ceux sur les prototypes de personnages du livre, sur les abus de la publicité et du cinéma, enfin le parallèle ingénieux entre Colette Baudoche de Barrès et Maria Chapdelaine. Le Bouclier est écrit avec l'entrain et l'abondance que tous reconnaissent au professcur de biologie de notre Université, et surtout avec la connaissance profonde et sympathique qu'il a acquise de notre peuple, au cours de ses cinq années de séjour au milieu de nous. Il n'est pas possible de lui reprocher la moindre peccadille, et il faut le remercier sans arrière-pensée de son œuvre si juste de pensée et si généreuse de sentiment.

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