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En 1835, un complot diplomatique permet à l'Autriche d'annexer Cracovie, reconnue officiellement république indépendante. Des réfugiés polonais sont attirés dans la ville et sommés de se retirer. Déclarant que les mesures prises n'étaient pas suffisantes, la Prusse, la Russie et l'Autriche occupèrent militairement Cracovie qui, en définitive, fut incorporée à la monarchie des Habsbourgs. Les Polonais emprisonnés sont élargis; les paysans acquièrent la propriété du sol. Mais, peu après, les agents autrichiens excitent les Ruthènes contre les Polonais Appelé au pouvoir, un Polonais, le comte Agénor Goluchowski élabore le "Diplôme d'octobre" 1860 qui donne aux territoires polonais un commencement d'autonomie. L'année suivante, le ministre allemand Schmerling rétablit le système centraliste.

Après Sadowa, l'Autriche est expulsée par la Prusse de la Confédération germanique. Le dualisme austro-hongrois est constitué: l'organisation de la Galicie est fixée par les Lois Fondamentales de décembre 1867. Le polonais et le ruthène sont introduits dans les écoles primaires. Inspirée par des patriotes comme Adam Potocki, la Diète de Galicie vote une résolution demandant qu'un chancelier spécial, indépendant de Vienne, et reponsable devant le parlement local soit placé à la tête de la province. Le cabinet autrichien repousse la résolution qui est représentée régulièrement jusqu'en 1872. En 1869, les députés polonais abandonnent tous, en manière de protestation, le Parlement de Vienne. Cette attitude leur valut l'introduction du polonais dans les services intérieurs administratifs et judiciaires et le remplacement des bureaucrates allemands par des fonctionnaires polonais. En avril 1870, Adam Potocki est premier ministre de la monarchie; en 1871, un "ministère pour la Galicie" est institué à Vienne, avec des membres qui doivent toujours être de nationalité polonaise. Le polonais redevient la langue de l'enseignement supérieur.

L'évolution libérale de l'Autriche est momentanément arrêtée, après la loi électorale de 1873, par les ministres hongrois et allemands. Le mauvais vouloir de l'administration gêne le développement économique de la Galicie, refuse le creusement de canaux, empêche l'utilisation des forces hydrauliques, multiplie les obstacles au commerce et à l'industrie, réserve toutes les faveurs aux entrepreneurs germano-autrichiens. Les immeubles des villes sont lourdement imposés.

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Après la réforme électorale de 1907, les Polonais envoient plus de cent députés au Reichsrat. Mais ces députés sont ordinairement gouvernementaux et subissent la malsaine ambiance de Vienne. Accablés de titres, de décorations et d'honneurs, certains Polonais influents prennent leur égoisme pour du véritable patriotisme et, finalement, perdent de vue la cause nationale. Il en est de même des savants et des professeurs qui, en matière d'histoire polonaise notamment, adoptent le point de vue germanique et professent que les Polonais sont responsables "du naufrage de leur existence indépendante". Malgré ces défections politiques et morales, la Pologne autrichienne demeure néanmoins un centre de résistance intellectuelle. Les deux Universités de Cracovie et de Lwow groupent les Polonais des trois tronçons et contribuent à les fortifier dans leur lutte contre les Russes et contre les Prussiens.

La signature de la loi constitutionnelle par Alexandre 1er, permettait aux Polonais de Russie d'envisager sans de trop graves appréhensions le fonctionnement d'un régime qui promettait d'être généreux. Leurs espoirs furent vite trompés. Le grand duc Constantin, chargé de l'administration du royaume, dilapida le trésor. Dès 1819, la censure limita la liberté de la presse. La Diète polonaise était convoquée irrégulièrement, les députés d'opposition empêchés d'y siéger et les débats tenus secrets. L'Université de Varsovie fut réputée un foyer de révolution. Les écoles furent soustraites à son autorité et rattachées aux universités de Pétersbourg et de Moscou. Des étudiants et des hommes de lettres furent arrêtés, déportés ou incorporés dans l'armée russe parce qu'ils avaient entretenu des "rêveries criminelles touchant leur déraisonnable nationalité". Un jour, on ne trouva pas de chaînes assez petites pour les pieds d'un enfant de onze ans coupable "de haute trahison".

En 1830, le gouvernement veut envoyer les Polonais se battre contre les Belges révoltés. Les polonais s'insurgent au nom des traités et refusent de servir contre leurs anciens compagnons d'armes. C'est le signal de la terreur rouge. En 1832, le royaume de Pologne perd son autonomie et "forme une partie inséparable de l'empire russe."(1) L'état de guerre est proclamé. Les tribunaux

1 Statut organique de 1832.

confisquent pour les distribuer aux Russes les 10% de la propriété privée polonaise, condamnent les prévénus polonais à la pendaison ou au banissement perpétuel avec confiscation de leurs biens. Le 21 novembre 1831, 5,000 familles nobles de Podolie sont transportées au Caucase. Tous les enfants de 7 à 16 ans, "vagabonds, orphelins et pauvres" sont râflés et envoyés comme enfants de troupes aux extrémités asiatiques. La branka ou conscription générale est officiellement annoncée. C'est une déportation en masse qui se prépare. De nouveau, les Polonais s'insurgent. La répression est rapide, effrayante. Le tsar Alexandre II proclame: "Il n'y a que la terreur pour gouverner la Pologne." Son chancelier Gorchakow renchérit: "Nous ferons de la Pologne un monceau de cendres et de ruines. Le gouvernement de mon auguste maître est venu à se convaincre qu'il n'y a qu'une politique à suivre envers les Polonais, la politique d'extermination."

A la tête du royaume est placé un général gouverneur à qui on reconnaît entre autres pouvoirs celui de condamner à mort sur jugement sommaire. En 1865, un oukase interdit aux Polonais de Lithuanie et de Ruthénie d'acquérir des biens fonciers, d'en donner ou d'en transmettre par testament. Les Russes, acquéreurs de terres, étaient exonérés d'impôts tandis que les Polonais propriétaires payaient une taxe écrasante. Le tsar voulait que les deux tiers de la superficie des propriétés polonaises fussent, par le jeu des lois restrictives, arrachés à leurs possesseurs.

La réforme agraire de 1864 confère aux paysans la propriété du sol qu'ils cultivent, ruine la petite noblesse rurale et entraîne des difficultés entre fermiers et propriétaires. Environ 1905, les colons allemands, encouragés par la Russie, envahissent les villes, y déversent le flot de leurs ingénieurs et de leurs capitaux. Ils jouissent, en matière d'association et d'enseignement, de privilèges refusés aux Polonais.

Après la guerre russo-japonaise et les émeutes de Russie qui aboutirent à la convocation de la première Douma, les églises et les monuments publics de la Pologne russe se transforment en prisons et en charniers. Le pays n'est plus qu'une vaste chambre de tortures. Les prisonniers, nourris avec des harengs salés, sont empêchés de boire et de dormir Les jeunes filles de famille sont entassées avec les prostituées En juin 1904, deux escadrons, complètement ivres, s'amusent à piétiner les corps des détenus politiques, à crever des yeux, à frapper à coups de crosse et de trique des malheureux sus

pendus au plafond. Le 29 janvier 1905, la police lâche dans Varsovie des bandits et des malfaiteurs libérés avec l'ordre de massacrer et de piller la population On coupe des oreilles, on inflige le knout, on sabre, on fusille, on exile. En 1908, on compte mille exilés en un mois. On expédie les Polonais en Sibérie et au sud du Turkestan, dans le pays de Narienya où toute la population est syphililitique. On n'épargne ni les femmes, ni les enfants, ni les infirmes. Des fillettes inoffensives ont les mains coupées. Un sourd-muet est tué parce qu'il refuse de répondre. En 1908, 60% des condamnés n'avaient pas atteint 21 ans. La police cambriole, fouille les poches et les porte-monnaie. Les cannes à pommeau d'argent sont confisquées et les parapluies prohibés. Les inculpés, les témoins même sont martyrisés. Les geôliers se distraient à leur écraser les doigts avec des casse-ncisettes, à leur arracher les dents, à leur poser sur la poitrine une planchette sur laquelle ils frappent, à petits coups secs et répétés, jusqu'à ce que le poumon se détache du thorax. Les bourreaux, pour prolonger le supplice des condamnés, pendent, dépendent et rependent.

La misère des villes est effroyable et infecte. Pas d'assistance publique, pas d'assistance médicale, pas d'asiles de nuit, pas d'hôpitaux car les Polonais sont exclus de ceux qui existent. Les pauvres se serrent dans des caves et des taudis que vident les épidémies. Souvent, dans un coin du galetas où loge une famille, un fou rugit, enchaîné. Un dixième seulement des aliénés polonais est interné. La charité privée n'arrive pas à soulager les familles des ouvriers emprisonnés, tués, déportés. Le vcl, la prostitution, le suicide, sont les conséquences normales du régime férocement paternel de Nicolas II.

Les Russes attaquent avec une aveugle frénésie la langue polonaise et la religion catholique. Les Universités de Varsovie et de Wilno sont fermées. En 1832, les écoles tombent de 394 à 92. Le russe est proclamé langue de l'enseignement et des services publics. Les tribunaux appliquent les lois russes. Les juges ignorent la langue des accusés et des témoins. Les fonctionnaires polonais sont, partout, remplacés par des Russes qui, d'après le rapport (1897) du général-gouverneur russe, Imérétinsky, sont grossiers, paresseux, bornés et voient dans chaque Polonais un vaincu, un ennemi de l'État et de leur personne. Des chefs de police soutiennent et dirigent des bandes de voleurs. Mieroslawski affirme "que l'on voit tous les jours un officier ou un fonctionnaire russe, même

des plus élevés, ramasser la compagne de sa vie dans les classes réprouvées de la société polonaise." Dostoiewsky a raconté maints incidents de ce genre.

Le polonais est défendu, en 1866, (2) dans les réunions publiques les églises, les cafés, les magasins. Les bibliothèques sont expurgées de tous les livres polonais quand elles ne sont pas supprimées. Un oukase décréta l'organisation d'une "police universitaire" chargée de surveiller, en tous lieux, les élèves et de détruire toutes les grammaires où étaient cités des vers sur "le saint amour de la patrie". Défense, sous peine de bagne, d'imprimer des ouvrages polonais. Les porteurs de livres polonais sont incarcérés. La censure prohibe "la case de l'oncle Tom", "Robinson Crusoé" et "Les voyages de Gulliver". Dans les journaux, l'adjectif polonais est remplacé par l'adjectif local. L'enseignement clandestin du polonais est puni d'une amende et de la prison. En 1900, le nombre des écoles est deux fois et demie inférieur à ce qu'il était en 1828. En 1910, la proportion des illettrés atteint 80%. Sur 22 millions de roubles affectés aux écoles primaires de Russie, la Pologne en reçoit moins de 500,000 dont un tiers pour les écoles orthodoxes.

La langue polonaise est combattue parce qu'elle est un instrument de propagande catholique. Un manifeste des popes donne à la population orthodoxe ces conseils: "Crache, éternue, Russe, sur cette Pologne crevée et puante... Le polonais, le juif, le chien, leur religion est la même, disaient nos ancêtres". La sainte Russie proclame "la loi martiale contre la prière". Les biens des églises catholique et uniate sont confisqués et distribués aux orthodoxes. Les sermons sont soumis à la censure, le recrutement et le remplacement des prêtres entravés. En 1864, un décret sécularise presque tous les ordres et supprime plus de 100 monastères d'hommes. La dynamite fait sauter les églises. Vers 1908, après l'Edit de Tolérance, on refuse d'inscrire comme catholiques sur les passeports les orthodoxes convertis; on condamne à l'amende et à la prison les curés qui baptisent l'enfant d'une polonaise et d'un officier et ceux qui recueillent des fonds destinés à la réparation des églises. Les fidèles reçoivent l'ordre d'abjurer leur foi. Les opposants sont fouettés, lardés de coups de baïonnettes, égorgés, déportés. Quelques-uns sont enfermés dans des citernes remplies de la fumée du bois vert; d'autres traînés en justice. Les Basiliennes de Minsk

2 Ordonnance de Kaufman.

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