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TESTIMONIUM

AD SENECE LIBRUM

DE TRANQUILLITATE ANIMI.

Qu'est-ce que la tranquillité de l'ame? Comment la perdonsnous? Comment pouvons-nous la recouvrer?

Ce traité est adressé à Sérénus, capitaine des gardes de Néron, ami de Sénèque, qui se reprocha dans la suite l'excessive douleur que sa mort lui causa. Pline nous apprend que Sérénus périt avec tous ses convives empoisonnés par des champignons.

On présume que cet ouvrage est un des premiers écrits de Sénèque ; qu'il le composa peu de temps après son retour de la Corse; qu'il ne jouissait pas encore d'une grande opulence, et qu'il était mal affermi dans la philosophie, bien qu'il eût adressé à Marcia et à Helvia des consolations qui ne sont pas d'un stoïcien néophyte, et qu'il eût donné des leçons publiques de Zé

nonisme.

Il se montre ici flottant entre l'obscurité de la retraite et l'éclat des fonctions publiques. La fortune l'éblouit, le désir d'une grande réputation le tourmente, il le sent, il s'en accuse: il se relègue dans la classe de ceux qui oscillent entre le vice et la vertu, et qui ne sont ni assez corrompus pour être comptés parmi les méchans, ni assez vertueux pour être comptés parmi les bons. On est charmé de la franchise avec laquelle il dévoile le fond de son cœur. Il dit : « J'ai des vices qui m'attaquent à >> force ouverte ; j'en ai qui épient le moment de me surprendre, espèces d'ennemis avec lesquels on ne peut ni se tenir en ar» mes, comme dans les temps de guerre, ni jouir de la sécurité,

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» comme pendant la paix. Je suis économe, simple dans mon vêtement, frugal; cependant le spectacle du faste et de l'opu»lence m'en impose; je m'en sépare, sinon corrompu, du » moins triste; je doute si le palais d'où je sors n'est pas le do» micile du bonheur. Je ne suis pas dans les horreurs de la tempête, mais j'ai le mal de mer; je ne suis pas malade, » mais je ne me porte pas bien. »

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Le stoïcien était valétudinaire toute sa vie; sa philosophie trop forte était une espèce de profession religieuse qu'on n'embrassait que par enthousiasme, où l'on faisait vou d'apathie, et sous laquelle on restait de chair, avec quelque zèle qu'on travaillât à se pétrifier. Sénèque se désespère d'être un homme.

Mais d'où lui venait sa perplexité? Son ame avait-elle été brisée par la longueur et la dureté de son exil? L'horreur des antres de la Corse avait-elle embelli à ses yeux les palais des grands? la solitude dans laquelle il avait passé huit années, donné de nouveaux charmes à la société? et les rochers arides et déserts aiguisé les attraits de la capitale? ou le rôle d'Hercule, au sortir de la forêt de Némée, entre le chemin qui conduit à la gloire et celui qui mène au plaisir, nous serait-il commun à tous? Je n'en doute pas. Entre tant de pygmées, pas un qui n'ait éprouvé l'agonie d'Hercule, et qui ne se soit trouvé al bivio. Quelque parti que prenne Sénèque, ce ne sera point l'adulation de lui-même qui le perdra.

Ce traité offre d'excellentes réflexions sur l'emploi de son temps et de son talent; sur l'essai de ses forces; sur la vanité des richesses, lorsqu'on voit un affranchi de Pompée plus opulent que son maître ; sur la résignation aux peines de son état et aux traverses de la vie ; et cette morale est toujours relevée par des

anecdotes intéressantes.

Caligula dit, par forme de conversation, à Canus Julius : « A propos, j'ai donné l'ordre de votre supplice..... » Julius lui répond : « Je vous rends grâces, prince très-excellent. »

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Il jouait aux échecs, lorsque le centurion arriva. « Au moins,

dit-il à son adversaire, n'allez pas, après ma mort, vous vanter » de m'avoir gagné..... » et à ses amis : «< Ce grand problême de

» l'immortalité des ames, dont vous avez tant disputé, dans un » moment il sera résolu

pour moi.

Le philosophe qui l'accompagnait au lieu du supplice, lui ayant demandé, au moment où la hache était levée sur son cou, à quoi il pensait : « J'épie, lui répondit-il, à cet instant si court » de la mort, si mon ame apercevra sa sortie du corps..... » On n'a jamais philosophé si long-temps.

Depuis le siècle de Néron jusqu'à nos jours, les sectateurs de la doctrine d'Épicure n'ont cessé de nous montrer un des leurs, appelant la mollesse et les plaisirs à ses derniers instans, et allant à la mort avec la même nonchalance qu'il aurait continué de vivre. Certes, je n'ai garde de blâmer la manière facile dont le voluptueux Pétrone mourut; mais je trouve autant de fermeté, autant d'indifférence et plus de dignité dans la mort de Canus Julius. Était-il possible de porter le mépris ou pour la vie, ou pour l'empereur, ou pour l'un et l'autre, au delà de ce qu'il en a mis dans sa réponse à Caligula? A-t-on jamais exprimé ce mépris d'une manière plus simple et plus fine? Pétrone est à table; il se fait lire des vers en mourant. Julius, en attendant le centurion, s'amuse à jouer aux échecs. Quoi de plus tranquille et même de plus gai que ses discours à son adversaire et à ses amis?

Pour un disciple d'Épicure qui sait accepter la mort quand elle vient, Zénon peut en citer nombre des siens qui n'ont pas hésité d'aller au devant d'elle.

Mais, à parler vrai des uns et des autres, chacun d'eux se soumit à la nécessité selon ses principes et son caractère.

Si vous lisez le traité de Sénèque, combien cet extrait vous paraîtra court et pauvre ! Il y montre une grande connaissance du cœur de l'homme et des différens états de la société. Ici, il peint l'ambitieux qui se résout à des actions malhonnêtes, et qui s'afflige de s'être déshonoré sans fruit, lorsque le succès n'a pas répondu à ses viles et sourdes intrigues. Là, c'est le même personnage qui s'enfonce dans la retraite où l'envie dont il est dévoré, fait des voeux pour la chute de ses rivaux. Il semble qu'il ait vécu parmi nous, qu'il ait interrogé, et qu'il ait en

tendu répondre un de nos oisifs excédé de fatigue et d'ennui. -Quel est votre projet du jour? — Ma foi, je n'en sais rien, je sortirai, je verrai du monde, et je deviendrai ce qu'on voudra.

C'est, je crois, dans le même traité qu'il dit de Diogène : « que celui qui doute de son bonheur, peut aussi douter de » la félicité des dieux, qui n'ont ni argent, ni propriété..... ni besoins.

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L. ANNEI SENECE

DE CONSTANTIA

SAPIENTIS,

SIVE

QUOD IN SAPIENTEM NON CADIT INJURIA,

AD ANNÆUM SERENUM.

LIBER UNUS.

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