Avec un zèle catholique, Du juste soin de vous tromper; Car vous êtes un hérétique. On a agité ici la queftion: Si votre Majefté fe ferait facrer et oindre ou non ; je ne vois pas qu'elle ait befoin de quelques gouttes d'huile pour être respectable et chère à fes peuples. Je révère fort les faintes ampoules, fur-tout lorsqu'elles ont été apportées du ciel, et pour des gens tels que Clovis ; et je fais bon gré à Samuel d'avoir verfé de l'huile d'olive fur la tête de Saül, puifque les oliviers étaient fort communs dans leur pays. Mais, Seigneur, après tout, quand vous ne feriez point Vous n'en feriez pas moins mon héros et mon maître; Puifque votre Majefté qui s'eft faite homme, con- Je demanderai encore une autre grâce à votre Majefté, c'eft, quand elle aura fait quelque nouvel 1740. établissement, qu'elle aura fait fleurir quelqu'un des 1740. beaux arts, de daigner m'en inftruire, car ce fera m'apprendre les nouvelles obligations que je lui aurai; il y a un mot dans la lettre de votre Majesté qui m'a tranfporté ; elle me fait espérer une vifion béatifique cette année. Je ne fuis pas le feul qui foupire après ce bonheur. La reine de Saba voudrait prendre des mefures pour voir Salomon dans fa gloire. J'ai fait part à M. de Keyferling d'un petit projet fur cela; mais j'ai bien peur qu'il n'échoue. J'efpère dans fix ou fept femaines, fi les libraires hollandais ne me trompent point, envoyer à votre Majefté le meilleur livre et le plus utile qu'on ait jamais fait, un livre digne de vous et de votre règne. Je fuis avec la plus tendre reconnaissance, avec profond refpect, cela va fans dire, avec des fentimens que je ne peux exprimer, Sire, de votre Majefté, &c. LETTRE I I I. DURO I. A Charlotembourg, le 12 juin. NoN, ce n'eft plus du mont Remus, Douce et ftudieufe retraite D'où mes vers vous font parvenus, Que je date ces vers confus; Car dans ce moment le poëte Et le prince font confondus. Déformais mon peuple que j'aime Quand ce Dieu fera satisfait, Je volerai, plus prompt qu'un trait, Vous voyez, mon cher ami, que le changement du fort ne m'a pas tout-à-fait guéri de la métromanie, et que peut-être je n'en guérirai jamais. J'eftime trop l'art d'Horace et de Voltaire pour y renoncer; et je fuis du sentiment que chaque chofe de la vie a son temps. J'avais commencé une épître fur les abus de la mode et de la coutume, lors même que la coutume de la primogéniture m'obligeait de monter fur le trône et de quitter mon épître pour quelque temps. J'aurais volontiers changé mon épître en fatire contre cette même mode, fi je ne favais que la fatire doit être bannie de la bouche des princes. Enfin, mon cher Voltaire, je flotte entre vingt occupations, et je ne déplore que la brièveté des jours, qui me paraissent trop courts de 24 heures. Je vous avoue que la vie d'un homme qui n'existe que pour réfléchir et pour lui - même, me semble 1740. infiniment préférable à la vie d'un homme dont 1740. l'unique occupation doit être de faire le bonheur des autres. Vos vers font charmans (1). Je n'en dirai rien, car ils font trop flatteurs. Mon cher Voltaire, ne vous refusez pas plus longtemps à l'empreffement que j'ai de vous voir. Faites en ma faveur tout ce que vous croyez que votre humanité comporte. J'irai à la fin d'augufte à Véfel, et peut-être plus loin. Promettez-moi de me joindre, car je ne saurais vivre heureux ni mourir tranquille fans vous avoir embraffé. Adieu. FÉDÉRIC. Mille complimens à la Marquife. Je travaille des deux mains; d'un côté à l'armée, de l'autre au peuple et aux beaux arts. LETTRE I V. DURO I. A Charlotembourg, le 24 juin. MON CHER AMI, CELUI qui vous rendra cette lettre de ma part, eft l'homme de ma dernière épître. Il vous rendra du vin de Hongrie à la place de vos vers immortels, et ma mauvaise profe au lieu de votre admirable (1) Voyez l'épître XLIX au roi de Pruffe, vol. d'Epitres, page 107. philofophie. Je fuis accablé et furchargé d'affaires ; mais dès que j'aurai quelques momens de loifir, vous recevrez de moi les mêmes tributs que par le paffé, et aux mêmes conditions. Je fuis à la veille d'un enterrement, d'une augmentation de beaucoup de voyages et de foins auxquels mon devoir m'engage. Je vous demande excuse fi ma lettre, et celle que vous avez reçue il y a trois semaines, fe reffentent de quelque pefanteur : ce grand travail finira et alors mon efprit pourra reprendre fon élasticité naturelle. C'eft en tremblant que ma mufe me dicte ce dernier vers; et je fais trop que l'amitié doit céder à l'amour. Adieu, mon cher Voltaire, aimez-moi toujours un peu. Dès que je pourrai faire des odes et des épîtres, vous en aurez les gants. Mais il faut avoir beaucoup de patience avec moi, et me donner le temps de me traîner lentement dans la carrière où je viens d'entrer. Ne m'oubliez pas, et foyez sûr qu'après le foin de mon pays, je n'ai rien de plus à cœur que de vous convaincre de l'eftime avec laquelle je fuis, votre très-fidèle ami, 1740. |