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"plaira, enfermé dans ma chambre en préfence 1740. ,, de ma famille et de mes garçons. ››

J'acceptai fon offre cordiale, j'allai chez lui, et je corrigeai en effet quelques feuilles qu'il reprenait à mefure, et qu'il lifait pour voir fi je ne le trompais point. Lui ayant infpiré par-là un peu moins de défiance, j'ai retourné aujourd'hui dans la même prifon où il m'a enfermé de même, et ayant obtenu fix chapitres à la fois pour les confronter, je les ai raturés de façon et j'ai écrit dans les interlignes de fi horribles galimatias et des coq-à-l'âne fi ridicules que cela ne reffemble plus à un ouvrage. Cela s'appelle faire fauter son vaisseau en l'air pour n'être point pris par l'ennemi. J'étais au défefpoir de facrifier un fi bel ouvrage ; mais enfin j'obéissais au roi que j'idolâtre, et je vous réponds que j'y allais de bon cœur, Qui eft étonné à préfent et confondu? c'est mon vilain. J'efpère demain faire avec lui un marché honnête, et le forcer à me rendre le tout, manufcrit et imprimé; et je continuerai à rendre compte à votre Majefté.

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LETTRE IX.

DU ROI.

A Charlotembourg, le 29 juillet.

MON CHER AMI,

DES voyageurs qui reviennent des bords du

Frichhaf ont lu vos charmans ouvrages qui leur ont paru un restaurant admirable, et dont ils avaient grand befoin pour les rappeler à la vie. Je ne dis rien de vos vers que je louerais beaucoup fi je n'en étais le fujet; mais un peu moins de louanges, et il n'y aurait rien de plus beau au monde.

Mon large ambassadeur, à panse rebondie,
Harangue le roi très-chrétien,

Et gens qu'il ne vit de fa vie;
Il en gagnera l'étifie,

En très-bon rhétoricien.

Fleuri nous affublait d'un bavard de fa clique,
Mutilé de trois doigts, courtois en matelot;
Je me tais fur Camas, je connais fa pratique,
Et l'on verra s'il eft manchot.

Les lettres de Camas ne font remplies que de Bruxelles il ne tarit point fur ce fujet, et à juger par ses relations, il femble qu'il il femble qu'il ait été envoyé à

Voltaire, et non à Louis,

1740.

Je vous envoie les feuls vers que j'aie eu le temps $740. de faire depuis long-temps. Algarotti les a fait naître; le fujet eft la jouiffance. L'italien fuppofait que nous autres habitans du Nord ne pouvions pas fentir auffi vivement que les voifins du lac de la Guarde. J'ai fenti et j'ai exprimé ce que j'ai pu pour lui montrer jufqu'où notre organisation pouvait nous procurer du fentiment. C'eft à vous de juger fi j'ai bien peint ou non. Souvenez-vous au moins qu'il y a des inftans auffi difficiles à représenter que l'est le foleil dans fa plus grande fplendeur; les couleurs font trop pâles pour les peindre; et il faut que l'imagination du lecteur fupplée au défaut de l'art,

Je vous fuis très-obligé des peines que vous voulez bien vous donner touchant l'impreffion de l'AntiMachiavel. L'ouvrage n'était pas encore digne d'être publié ; il faut mâcher et remâcher un ouvrage de cette nature, afin qu'il ne paraiffe pas d'une manière incongrue aux yeux du public toujours enclin à la fatire. Je me prépare à partir sous peu de jours pour le pays de Clèves. C'est là que

J'entendrai donc les fons de la lyre d'Orphée ;
Je verrai ces favantes mains

Qui, par des ouvrages divins,

Aux cieux des immortels placent votre trophée.

J'admirerai ces yeux fi clairs et fi perçans
Que les fecrets de la nature,

Cachés dans une nuit obfcure,

N'ont pu fe dérober à leurs regards puiffans.

Je baiferai cent fois cette bouche éloquente
Dans le férieux et le badin,

Dont la voix folâtre et touchante

Va du cothurne au brodequin,

Toujours enchantereffe et toujours plus charmante.

Enfin je me fais une véritable joie de voir l'homme du monde entier que j'aime et que j'eftime le plus. Pardonnez mes lapfus calami et mes autres fautes. Je ne fuis pas encore dans une affiette tranquille; il me faut expédier mon voyage, après quoi j'espère trouver du temps pour moi.

Adieu, charmant, divin Voltaire; n'oubliez pas les pauvres mortels de Berlin qui vont faire diligence pour joindre dans peu les dieux de Cirey. Vale. FÉDÉRIC.

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SIRE,

VOTRE

OTRE humanité ne recevra point cette pofte de mes paquets énormes. Un petit accident d'ivrogne arrivé dans l'imprimerie a retardé l'achèvement de l'ouvrage que je fais faire. Ce fera pour le premier ordinaire ; cependant, ce fripon de Vanduren débite fa marchandise, et en a déjà trop vendu.

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1740.

Parmi ce tribut légitime

D'amour, de refpect et d'eftime
Que vous donne le genre humain,
Le très-fade cousin-germain (1)
Du très-prolixe Télémaque,
Très-dévotement vous attaque,
Et prétend vous miner fous main.
Ce bon papiste vous condamne,
Et vous et le Machiavel,

A rôtir avec Uriel,

Ainfi

que tout auteur profane.

Il fera damné comme un chien,

Dit-il, cet auteur qu'on renomme;

Ce n'eft qu'un fage, un honnête homme,

Je veux un fripon bon chrétien,
Et qui foit ferviteur de Rome.
Ainfi parle ce bon bigot,
Pilier boiteux de fon Eglife;
Comme ignorant je le méprise,

Mais je le crains comme dévot.

Lui et le jefuite la Ville (2) qui lui fert de secrétaire commencent pourtant à raccourcir la prolixité de leurs phrases infolentes en faveur du prélat liégeois. Ils parlaient fur cela avec trop d'indécence. La dernière lettre de votre Majefté a fait par-tout un effet

(1) Le marquis de Fénélon, alors ambaffadeur en Hollande. Il était fort dévot, d'ailleurs affez aimable et bon officier. Voyez l'Eloge des officiers morts dans la guerre de 1741 : Mélanges littéraires, tome I.

(2) Depuis premier commis des affaires étrangères. Il quitta les jéfuites tandis que Lavaur, secrétaire du marquis de Fénélon lui cédait fa place pour prendre l'habit de faint Ignace. C'eft ce même Lavaur qui a joué depuis un rôle fi fingulier dans l'affaire du comte de Lalli.

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