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MON fort eft changé, et j'ai affisté aux derniers

momens d'un roi, à fon agonie, à fa mort. En par- 1740. venant à la royauté, je n'avais pas befoin affurément de cette leçon pour être dégoûté de la vanité des grandeurs humaines.

J'avais projetté un petit ouvrage de métaphysique, il s'eft changé en un ouvrage de politique. Je croyais joûter avec l'aimable Voltaire, et il me faut efcrimer avec Machiavel (1). Enfin, mon cher Voltaire, nous ne sommes point maîtres de notre fort. Le tourbillon (1) On voit par la lettre suivante que le roi défigne ici le cardinal de Fleuri.

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des événemens nous entraîne; et il faut fe laiffer 1740. entraîner. Ne voyez en moi, je vous prie, qu'un citoyen zélé, un philosophe un peu sceptique, mais un ami véritablement fidèle. Pour Dieu, ne m'écrivez qu'en homme, et méprifez avec moi les titres, les noms, et tout l'éclat extérieur.

Jufqu'à préfent il me refte à peine le temps de me reconnaître ; j'ai des occupations infinies je m'en donne encore de furplus; mais malgré tout ce travail, il me refte toujours du temps affez pour admirer vos ouvrages et pour puiser chez vous des inftructions et des délaffemens.

Affurez la Marquise de mon eftime. Je l'admire autant que fes vaftes connaissances et la rare capacité de fon efprit le méritent.

Adieu, mon cher Voltaire, fi je vis je vous verrai, et même dès cette année. Aimez-moi toujours, et foyez toujours fincère avec votre ami

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Si votre fort eft changé, votre belle ame ne l'est

pas; mais la mienne l'eft. J'étais un peu mifanthrope, et les injuftices des hommes m'affligeaient trop. Je me livre à présent à la joie avec tout le monde.

Grâce au ciel, votre Majefté a déjà rempli prefque toutes mes prédictions. Vous êtes déjà aimé, et dans 1740. vos Etats et dans l'Europe. Un résident de l'empereur difait dans la dernière guerre au cardinal de Fleuri: Monseigneur, les Français font bien aimables, mais ils font tous Turcs. L'envoyé de votre Majefté peut dire à présent, les Français font tous Pruffiens.

Le marquis d'Argenfon, confeiller d'Etat du roi de France, ami de M. de Valori, et homme d'un vrai mérite avec qui je me fuis entretenu fouvent à Paris de votre majefté, m'écrit du 13 que M. de Valori s'exprime avec lui dans ces propres mots : Il commence fon règne comme il y a apparence qu'il le continuera; par-tout des traits de bonté de cœur ; juftice qu'il rend au défunt; tendresse pour fes fujets. Je ne fais mention de cet extrait à votre Majefté que parce que je fuis sûr que cela a été écrit d'abondance de cœur et qu'il m'eft revenu de même. Je ne connais point M. de Valori, et votre Majefté fait que je ne devais pas compter fur ses bonnes grâces; cependant puisqu'il pense comme moi et qu'il vous rend tant de justice, je fuis bien aife de la lui rendre.

me

Le miniftre qui gouverne le pays où je fuis, difait : Nous verrons s'il renverra tout d'un coup les géans inutiles qui ont fait tant crier; et moi je lui répondis il ne fera rien précipitamment. Il ne montrera point un deffein marqué de condamner les fautes qu'a pu faire fon prédéceffeur, il fe contentera de les réparer avec le temps. Daignez donc avouer, grand Roi, que j'ai bien deviné.

Votre Majefté m'ordonne de fonger en lui écrivant moins au roi qu'à l'homme. C'est un ordre bien

1740.

felon mon cœur. Je ne fais comment m'y prendre avec un roi, mais je suis bien à mon aise avec un homme véritable, avec un homme qui a dans sa tête et dans fon cœur l'amour du genre humain.

Il y a une chose que je n'oferais jamais demander au roi, mais que j'oferais prendre la liberté de demander à l'homme; c'eft fi le feu roi a du moins connu et aimé tout le mérite de mon adorable prince avant de mourir. Je fais que les qualités du feu roi étaient fi différentes des vôtres qu'il fe pourrait bien faire qu'il n'eût pas fenti tous vos différens mérites; mais enfin, s'il s'eft attendri, s'il a agi avec confiance, s'il a juftifié les fentimens admirables que vous avez daigné me témoigner pour lui dans vos lettres, je ferai un peu content. Un mot de votre adorable main me ferait entendre tout cela.

Le roi me demandera peut-être pourquoi je fais ces queftions à l'homme, il me dira que je fuis bien curieux et bien hardi ; favez-vous ce que je répondrai à Sa Majefté: je lui dirai: Sire, c'eft que j'aime l'homme de tout mon cœur.

Votre Majefté ou votre humanité me fait l'honneur de me mander qu'elle eft obligée à préfent de donner la préférence à la politique fur la métaphyfique, et qu'elle s'efcrime avec notre bon cardinal.

Vous paraissez en défiance
De ce faint au ciel attaché,

Qui, par efprit de pénitence,

Quitta fon petit évêché

Pour être humblement roi de France :

Je pense qu'il va s'occuper,

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