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que les riches. Les dames, persuadées qu'elles ne devaient point s'astreindre aux règles ordinaires de la bienséance dans une affaire où elles étaient personnellement et si vivement intéressées, se répandaient dans les rues, et assiégeaient tous les passages qui conduisaient à la place publique, priant tous ceux qui descendaient pour s'y rendre, de vouloir bien, dans un temps où la république rentrait dans son premier état de prospérité, et où la fortune des particuliers augmentait de jour en jour, permettre aux dames de reprendre aussi leurs anciens ornements. Elles allèrent jusqu'à s'adresser aux consuls, aux préteurs et aux autres magistrats, pour les conjurer de leur être favorables.

consul Caton en

faveur de la Liv. lib. 34,

loi Oppia.

cap. 2-4.

M. Porcius Caton, l'un des consuls, inexorable et Discours da sourd à toutes leurs prières, parla ainsi en faveur de la loi dont on proposait la cassation. « Si chacun « de nous, messieurs, avait su conserver son autorité << dans sa maison et se faire rendre par sa femme l'oabéissance qui lui est due, nous serions moins em<«<barrassés aujourd'hui à les contenir toutes dans le « devoir. Mais, parce que nous nous sommes laissé << donner la loi chez nous, ce sexe impérieux veut nous l'imposer jusque dans la place publique; et, après <«< nous avoir vaincus chacun en particulier, elles espè<< rent nous dompter tous ensemble et de compagnie. << Ignorons-nous qu'il n'y a rien de plus dangereux que << de permettre aux dames de tenir des assemblées par<< ticulières et de former entre elles des brigues et des << cabales? Qu'est donc devenue cette ancienne modestie << et retenue qui régnait parmi le sexe? Pour moi, je << vous avoue que ce n'a pas été sans rougir que j'ai passé à travers cette foule de femmes pour arriver

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dans la place publique. Si je n'avais pas été arrêté le respect que j'ai pour chacune en particulier plus que pour toutes en général, et que je n'eusse « pas voulu leur épargner la honte de se voir apostrophées par un consul, je leur aurais assurément << adressé la parole: N'avez-vous point de honte, mesdames, leur aurais-je dit, de courir ainsi de rue en << rue, d'assiéger les chemins et les passages, d'adresser « vos prières et de faire la cour à des hommes qui ne << sont point vos maris? Cette grace même dont il s'agit, « ne pouviez-vous pas la demander à vos maris dans le <«< secret de vos maisons? Êtes-vous donc plus libérales « de caresses en publiè qu'en particulier, et envers des étrangers qu'à l'égard de ceux à qui seuls vous devez <«< et votre amour et les marques qui le témoignent? « Mais, pour mieux dire, vous seriez-vous seulement << informées chez vous de ce qui se passe ici, et quelles « sont les lois que l'on casse ou que l'on établit, si Vous << vous étiez renfermées dans les bornes que la pudeur << prescrit à votre sexe? Nos ancêtres n'ont pas permis « aux femmes de traiter aucune affaire, même particulière, sans être autorisées, et les ont toujours tenues <«< sous le pouvoir de leurs pères, de leurs frères, ou << de leurs maris. Et bientôt, si les dieux n'y mettent <«< ordre, nous les verrons prendre part au gouverne«ment de l'état.

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« Ne croyez pas, messieurs, que leur unique but « soit de recouvrer les avantages que la loi Oppia leur « a retranchés. Elles aspirent à une liberté, ou, pour

parler plus juste, à une licence sans bornes. Vous sa<< vez par combien de lois, comme par autant de freins, « nos ancêtres les ont soumises à leurs maris, et com

<<< bien nous avons de peine encore, malgré tous ces « liens, à les retenir dans le devoir et dans l'obéissance. « Si elles viennent à bout de rompre ces liens les uns «< après les autres, il ne vous sera plus possible de les << supporter. Dès qu'elles vous seront devenues égales, «< elles se croiront en droit de vous dominer.

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« Mais, dira-t-on, tout ce qu'elles demandent, c'est « que l'on ne leur impose point une nouvelle servitude; «< ce n'est point à la justice qu'elles prétendent se soustraire, mais à un esclavage qu'on leur impose injus<«< tement. Non, messieurs, elles ne bornent point là << leurs prétentions: en vous forçant d'abroger une loi << dont vous avez reconnu l'utilité par l'expérience de << tant d'années, elles veulent donner atteinte à toutes « les autres. Il n'en est point qui soit également com« mode pour tous '; et tout ce que l'on se propose quand <«< on en établit quelqu'une, c'est qu'elle soit utile au plus grand nombre des citoyens et à la république en général. Si ceux à qui une loi déplaira ont la liberté « de la faire abolir, à quoi servira que le peuple fasse << des règlements pour être cassés par ceux contre qui «< ils auront été faits?

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<< Mais, après tout, quel est donc l'important objet

qui alarme si fort aujourd'hui les dames, et qui les <«< fait courir dans les places tout éperdues, et se mêler << presque dans les assemblées du peuple romain? Vien<< nent-elles demander qu'on rachète leurs pères, leurs <«< maris, leurs enfants ou leurs frères, devenus prison<< niers d'Annibal? Graces aux dieux, la république est « à couvert de ces calamités, et nous espérons qu'elle

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Nulla lex satis commoda omnibus est: id modò quæritur, si majori parti, et in summam prodest. »>

Tome XVIII. Hist. Rom.

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«<le sera toujours. Mais cependant, quand le cas est arrivé, vous avez été sourds à de pareilles prières, quelque légitimes qu'elles fussent. Si ce n'est pas la << tendresse pour leurs proches, c'est peut-être un motif << de religion qui les assemble, pour aller recevoir la << mère des dieux tout fraîchement arrivée de Pessinonte << en Phrygie? Car enfin je souhaiterais qu'elles pussent << donner quelque raison spécieuse de leur soulèvement. Écoutons-les parler elles-mêmes, messieurs. Nous << demandons, disent-elles, qu'il nous soit libre de pa<< raître à vos yeux tout éclatantes d'or et de pourpre ; « de passer par la ville, jours de fête et autres, portées <«< sur nos chars, comme triomphantes, et foulant aux pieds la loi qui gênait notre orgueil; enfin qu'on ne <«< mette plus de bornes à nos dépenses ni à notre luxe. « Voilà, à proprement parler, à quoi tendent leurs requêtes.

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« Je me suis souvent plaint devant vous', messieurs, « du luxe des femmes et de celui des hommes, autant

<< des magistrats que des particuliers. Vous m'avez sou<< vent entendu dire que la république était attaquée de « deux maladies contraires, l'avarice et le luxe, deux «< fléaux qui ont renversé les plus grands empires. L'état << devient plus florissant de jour en jour; il fait conti<< nuellement de nouveaux progrès; il a déja étendu sa

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Sæpè me querentem de feminarum, sæpè de virorum, nec de privatorum modò, sed etiam magistratuum sumptibus audistis; diversisque duobus vitiis, avaritiâ et luxurià, civitatem laborare: quæ pestes omnia magna imperia everterunt. Hæc ego, quò melior lætiorque in

dies fortuna reipublicæ est, imperiumque crescit, et jam in Græciam Asiamque transcendimus, omnibus libidinum illecebris repletas, et regias etiam attrectamus gazas; eò plus horreo, ne illæ magis res nos ceperint, quàm nos illas. »

<domination dans la Grèce et dans l'Asie, contrées « opulentes et remplies de tous les attraits qui peuvent réveiller les passions; nous avons déja porté nos «mains jusque sur les trésors des rois : mais c'est pré«cisément cette opulence qui m'alarme et me fait trem«bler pour la république. Je crains que les dépouilles « des vaincus ne nous soient funestes, et que, de ravis«seurs de tant de richesses, nous n'en devenions les « esclaves. Croyez-moi, messieurs, Marcellus, en ap«portant dans cette ville les précieuses statues de Syra«cuse, y a introduit de dangereux ennemis. Je n'en« tends plus que gens qui admirent les ornements de « Corinthe et d'Athènes, et qui se moquent des statues « de terre de nos dieux, placées sur le frontispice des temples de Rome. Pour moi, je préfère ces dieux tels «qu'ils sont à ceux des nations étrangères; car ils nous «ont été jusqu'ici favorables, et j'espère qu'ils le seront toujours tant que nous les laisserons dans leurs pla«ces, et que nous ne penserons point à leur en sub«stituer d'autres.

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« Du temps de nos pères, le roi Pyrrhus chargea Cinéas, son ambassadeur à Rome, d'offrir des présents « non-seulement aux hommes, mais aux dames aussi, "pour les engager dans ses intérêts. La loi Oppia «n'était point encore établie contre le luxe et la cupi<< dité des femmes; cependant aucune d'elles n'accepta «<les dons qu'on leur présentait. Quelle raison peut-on apporter d'un si généreux refus? La même qu'avaient eue nos ancêtres de ne point faire de loi sur cette matière, c'est qu'il n'y avait point de luxe que l'on « fût obligé de réprimer. Comme les maladies doivent «être connues avant qu'on cherche les remèdes qui y

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