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députa Pythagore vers Quintius pour ménager un accommodement. Le proconsul refusa d'abord de l'écouter, et lui ordonna de sortir du camp. Mais le suppliant, s'étant jeté à ses genoux, et remettant le sort de Nabis à la discrétion des Romains, obtint enfin pour son maître la trève aux mêmes conditions qui lui avaient auparavant été prescrites. L'argent fut compté sur-le-champ, et les ôtages remis entre les mains de Quintius.

Pendant tous ces mouvements, les Argiens, qui, sur les nouvelles qu'ils recevaient l'une sur l'autre, comptaient déja Lacédémone prise, se rétablirent eux-mêmes en liberté et chassèrent leur garnison. Quintius, après avoir accordé la paix à Nabis, et pris congé d'Eumène, des Rhodiens, et de son frère, qui retournèrent à leurs flottes, se rendit à Argos, qu'il trouva dans des transports de joie incroyables. La célébration des jeux néméens, qui n'avait pu se faire au temps marqué à cause du trouble des guerres, avait été différée jusqu'à l'arrivée du général romain et de son armée. Ce fut lui, comme nous l'avons déja rapporté, qui en fit les honneurs, et qui y distribua les prix ; ou plutôt ce fut lui qui fut le spectacle. Les Argiens surtout ne pouvaient lever les yeux de dessus celui qui avait entrepris cette guerre exprès pour eux, qui les avait délivrés d'une dure et honteuse servitude, et qui venait de les faire rentrer dans leur ancienne liberté, dont ils goûtaient toute la douceur avec un sentiment d'autant plus vif qu'ils en avaient été long-temps privés.

Les Achéens voyaient avec un sensible plaisir la ville d'Argos réunie à leur ligue et rétablie dans tous ses priviléges. Mais un tyran maintenu au milieu de la

Tome XVIII. Hist. Rom.

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cap. 40.

avec Nabis. Grèce, et la servitude qui s'était comme retranchée Liv. lib. 34, dans Lacédémone, d'où elle était toujours en état de se faire craindre, laissaient dans les esprits une inquiétude qui troublait la joie commune.

Quintius pendant

de la Grèce.

Pour les Étoliens, on peut dire que la paix accordée à Nabis était leur triomphe. Depuis ce honteux et indigne traité, car ils l'appelaient ainsi, ils décriaient partout les Romains. Ils faisaient remarquer que dans la guerre contre Philippe on n'avait mis bas les armes et cessé de poursuivre à toute outrance ce prince qu'après l'avoir obligé de sortir de toutes les villes de la Grèce qu'ici l'usurpateur était conservé dans la possession tranquille de Sparte, pendant que le roi légitime (ils entendaient Agésipolis), qui avait servi sous le proconsul, et tant d'illustres citoyens de Sparte, étaient condamnés à passer le reste de leur vie dans un triste exil en un mot, que le peuple romain s'était rendu le protecteur et le satellite du tyran.

Les Étoliens, dans ces plaintes, qui n'étaient point sans fondement, bornaient leurs vues aux seuls avantages de la liberté: mais dans les grandes affaires il faut tout envisager, et se contenter de ce que l'on peut exécuter avec succès, sans vouloir tout embrasser à la fois. C'était la disposition de Quintius, comme luimême le fera observer dans la suite.

Quintius retourna d'Argos à Élatée, d'où il était l'hiver règle parti pour cette guerre contre Sparte. Nous avons rales affaires conté d'avance, dans le livre précédent, qu'il employa Liv. lib. 34, tout l'hiver à rendre la justice aux peuples, à réconcilier entre elles les villes, à apaiser les inimitiés entre pag. 375. les premiers citoyens, et à rétablir partout le bon ordre; ce qui était le véritable fruit de la paix, la plus glo

cap. 48.

Plut.

in Quint.

rieuse occupation du vainqueur, et une preuve certaine que la guerre n'avait été entreprise que par des motifs justes et raisonnables.

Au commencement du printemps, Quintius se rendit à Corinthe, où il avait convoqué une assemblée

Beau

discours de Quintius dans

l'assemblée

des alliés à

Corinthe.

cap. 48-50.

générale des députés de toutes les villes. Là il leur représenta comment Rome s'était prêtée avec joie et empressement aux prières de la Grèce qui avait imploré Liv. lib. 34. son secours, et avait fait avec elle une alliance dont il espérait que l'on n'aurait pas lieu de se repentir. Il parcourut en peu de mots les actions et les entreprises des généraux romains qui l'avaient précédé, et rapporta les siennes avec une modestie qui en relevait le mérite. Il fut écouté avec un applaudissement général, excepté lorsqu'il vint à parler de Nabis, où l'assemblée, par un murmure modeste, fit sentir sa surprise et sa douleur de ce que le libérateur de la Grèce avait laissé dans le sein d'une ville aussi illustre que Sparte un tyran non-seulement insupportable à sa patrie, mais redoutable à toutes les autres villes.

Quintius, qui n'ignorait pas la disposition des esprits à son égard sur ce sujet, crut devoir rendre compte de sa conduite en peu de mots. Il avoua «qu'il n'au<< rait point fallu entendre à aucune condition de paix « avec le tyran, si cela avait pu se faire sans risquer la « perte entière de Sparte: mais il observa que, comme « il était à craindre que la ruine de Nabis n'entraînât « celle d'une ville si considérable, il avait paru plus *sage de laisser le tyran affaibli et hors d'état de nuire, «que de hasarder de voir peut-être la ville périr par des a remèdes trop violents, et par les efforts mêmes que « l'on ferait pour la sauver ».

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Il ajouta à ce qu'il avait dit du passé « qu'il se pre parait à partir pour l'Italie et à y faire retourne << toute l'armée : qu'avant dix jours ils entendraient dire. qu'on aurait retiré les garnisons de Démétriade et « de Chalcis; et qu'il allait, à leurs yeux, rendre aux <<< Achéens la citadelle de Corinthe: qu'on verrait par <«< là lesquels étaient plus dignes de foi des Romains <«< ou des Étoliens; et si ces derniers avaient eu rai«< son de répandre partout que l'on ne pouvait plus «<mal faire que de confier sa liberté au peuple ro<«< main, et que l'on n'avait fait que changer de joug << en recevant les Romains pour maîtres au lieu des << Macédoniens; mais que l'on savait que les Étoliens « ne se piquaient pas de discrétion et de sagesse, ni << dans leurs discours, ni dans leurs actions: que, « pour ce qui regardait les autres peuples, il leur <«< recommandait de juger de leurs amis par les ac«<tions, et non par les paroles; et de bien discerner à qui ils devaient se fier, et contre qui ils devaient se << tenir en garde. Il les exhorta à user modérément de la liberté, en leur représentant que, retenue dans de << justes bornes, elle était salutaire aux particuliers aussi<< bien qu'aux villes; que, sans ce tempérament, elle << devenait à charge aux autres, et pernicieuse à ceux « qui en abusaient que les principaux des villes, que << les différents ordres qui les composent, que les villes « elles-mêmes, en général, s'appliquassent avec soin à << garder mutuellement une parfaite union; que, tant

«

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qu'elles demeureraient unies, ni roi, ni tyran, ne << pourraient rien contre elles : que la discorde et la sé<< dition ouvraient la porte à tous les dangers et à tous « les maux, parce que le parti qui se sent le plus faible

prau-dedans cherche de l'appui au-dehors, et aime r mieux appeler l'étranger à son secours que de céder die à ses concitoyens ».

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Il termina son discours en les conjurant avec bonté et tendresse « d'entretenir et de conserver par leur sage conduite la liberté dont ils étaient redevables à des aa armes étrangères, et de faire connaître au peuple ro« main qu'en les rendant libres il n'avait pas mal placé a sa protection et ses bienfaits ».

romains répandus dans la Grèce sout rendus à

Ces avis furent reçus comme les avis d'un père. Tous, en l'entendant parler ainsi, pleuraient de joie, et Quintius lui-même ne put retenir ses larmes. Un doux murmure marquait les sentiments de toute l'assemblée. Ils se regardaient les uns les autres attendris et pleins de reconnaissance, et ils s'exhortaient à graver profondément dans leur mémoire et dans leur cœur des conseils qu'ils devaient respecter comme des oracles. Ensuite Quintius, ayant fait faire silence, les pria Les esclaves de s'informer exactement de ce qui pouvait rester dans la Grèce de citoyens romains esclaves, et de les lui envoyer en Thessalie dans l'espace de deux mois. Il leur représenta qu'il ne serait pas honnête pour eux-mêmes Liv. lib. 34, de laisser en esclavage ceux à qui ils devaient leur liberté. Tous se récrièrent avec applaudissement, et regardèrent comme un nouveau bienfait de Quintius l'attention qu'il avait eue de les avertir d'un devoir si juste et si indispensable. Le nombre de ces esclaves était fort grand. Ils avaient été pris par Annibal dans la guerre punique; et, comme les Romains n'avaient pas voulu les racheter, il les avait vendus. Il en coûta à l'Achaïe seule cent talents, c'est-à-dire cent mille écus, pour rembourser aux maîtres le prix des esclaves,

Quintius.

cap. 48-50.

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