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et spirituelles et de leurs attributs, il est négatif dans tout ce qui touche à l'idée de la création et aux développements de cette idée fondamentale. Sur les rapports de l'âme et du corps, ou plus généralement de l'esprit et de la matière, ou plus généralement encore de Dieu et de la création, trois questions qui au fond n'en sont qu'une, sa philosophie et celle de son école est hypothétique et négative.

A chaque pas que fait Descartes dans la philosophie, il met aux prises deux principes, la raison et la foi, la matière et l'esprit, et, par sa théorie sur la création, la mécanique et la dynamique. C'est là seulement, dans la question des rapports, qu'il prend le parti étroit et négatif. Descartes a séparé les deux termes; il a solidement démontré, profondément étudié chacun d'eux, et, après avoir excellé dans cette œuvre de séparation, il a échoué quand il a fallu combler l'intervalle.

la susceptibilité du clergé, précautions que Bossuet déclare excessives, ses livres furent mis à l'index; il est vrai que ce fut avec la formule donec corrigantur. Les jésuites excitèrent la Sorbonne contre Descartes, et l'on demanda la proscription de sa philosophie, d'abord au parlement, qui refusa d'intervenir; ensuite au conseil du roi, qui la proscrivit en effet. L'ordre de l'Oratoire, d'abord favorable aux idées nouvelles, fut obligé d'y renoncer; et l'attachement du P. Lami au cartésianisme lui valut dans cet ordre les mêmes persécutions qu'eut à souffrir dans la Compagnie de Jésus le P. André comme malebranchiste. La meilleure édition des œuvres de Descartes est celle qu'a donnée M. Cousin en 11 volumes in-8°. Les principaux ouvrages de Descartes sont : le Discours de la Méthode, les Méditations, les Réponses aux Objections, le Traité des passions de l'âme, les Principes, les Règles pour la direction de l'esprit, la Recherche de la vérité par les lumières naturelles, une quantité considérable de lettres, divers traités de géométrie, etc. Le volume que nous publions pour la seconde fois renferme tout ce qui est nécessaire pour donner une connaissance complète de la philosophie de Descartes; et le succès de la première édition, enlevée en moins de deux ans à trois mille exemplaires, prouve suffisamment que le cartésianisme est aujourd'hui aussi vivant et aussi puissant que jamais.

INDÉPENDANCE DE LA PHILOSOPHIE.

Le commencement de la philosophie pour Descartes, c'est le doute; cela seul est toute sa méthode. C'est la proclamation du droit de libre examen. L'avenir de la philosophic était attaché à ce principe. Faire une revue exacte de toutes les idées qui se sont introduites dans l'esprit sans examen et sans contrôle ; rapporter les diverses notions de l'esprit aux facultés qui nous les ont données; discuter la légitimité de ccs facultés, et ne l'admettre que sur des raisons invincibles; en général, prendre pour criterium de la vérité la clarté et l'évidence des conceptions, n'est-ce pas rejeter en principe toute autorité, pour ne conserver que celle de la raison, ou, ce qui revient au même, subordonner toute autre autorité à celle-là 1?

Lorsque Descartes se résout à douter de toutes ses idées jusqu'à ce qu'il les ait rapportées à leur source, et de toutes ses facultés jusqu'à ce qu'il ait éprouvé s'il existe des raisons invincibles d'y ajouter foi, il consomme la ruine de l'ancienne philosophic; et lorsqu'après avoir ainsi tout ébranlé il s'arrête devant l'autorité de la conscience, et déclare qu'il s'y soumet par nécessité, qu'il ne peut plus feindre que cette faculté le trompe, qu'elle échappe à tous les motifs de scepticisme que l'histoire et l'imagination lui peuvent fournir, alors il établit le fondement de la spéculation moderne. Je pense, donc je suis; dans ce principe, qui résiste seul au doute méthodique, Descartes place tout ensemble la pro

1 « Il faut chercher sur l'objet de notre étude, non pas ce qu'en ont pensé les autres ni ce que nous soupçonnons nous-mêmes, mais ce que nous pouvons voir clairement et avec évidence ou déduire d'une manière certaine. C'est le seul moyen d'arriver à la science. »

(Règle pour la direction de l'esprit.)

scription de toute autorité étrangère, et un acte de fói à l'autorité de la raison. Cette autorité reconnue donne lieu aux trois formules suivantes : « Ne rien admettre pour vrai qui ne soit clairement et distinctement conçu comme vrai. Ne retenir une conclusion quand on a oublié les prémisses, c'est-à-dire quand on se souvient qu'on l'a trouvée évidente sans apercevoir actuellement son évidence, que si d'abord on a prouvé que nos facultés naturelles, appliquées à leur objet propre et dans la juste mesure de leur extension, ne peuvent nous tromper. Admettre la distinction réelle entre deux substances sur cet unique fondement qu'elles peuvent être conçues exister séparément l'une de l'autre. »

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RAPPORTS DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA FOI.

La philosophie, d'abord servante, puis auxiliaire de la foi, devient ainsi sa rivale; et la question de savoir des deux principes lequel doit céder dans un conflit naît tout aussitôt, ou du moins acquiert une nouvelle importance. Bayle, Leibniz, Malebranche, tous les philosophes du dixseptième siècle, ont étudié cette question capitale; ils ne l'ont pas fait, ils n'ont pas pu le faire avec assez d'indépendance et d'impartialité. La religion et la philosophie ne diffèrent pas seulement, comme on l'a cru, par leur origine; et c'est une pensée plus brillante que juste de ne voir dans la révélation qu'une anticipation de la Providence sur les découvertes à venir de l'esprit humain. D'autres différences naissent entre la religion et la philosophie, de la différence même de leur origine : la révélation, qui prononce au nom de Dieu sur le sort de l'humanité, n'a d'autre borne que nos besoins et la volonté de Dieu; la philosophie, qui s'adresse à la raison, a nécessairement pour limites les limites mêmes de notre intelligence. Leur but est le même, car elles viennent l'une et

l'autre pour élever l'homme jusqu'à Dieu; mais la philosophie agite des problèmes que la religion dédaigne, et la religion nous révèle des vérités que la philosophie n'atteint pas. La révélation, qui n'omet rien de ce qui regarde notre destinée morale, exclut toute spéculation d'une importance purement scientifique; la philosophie, qui ne peut embrasser que ce qui est susceptible de démonstration, renonce à des questions importantes, pour lesquelles les méthodes lui manquent, et, poursuivant ses recherches dans une autre direction, ne nous apprend pas seulement à quitter la terre, mais à la connaître. La foi ne donne que le nécessaire; elle ne révèle que le fait; elle livre le comment à nos disputes; elle détruit l'inquiétude, et non la curiosité; elle annonce la solution et laisse subsister le problème. Intelligible pour tous, universelle, elle ne dédaigne aucune intelligence, et fait balbutier ses dogmes aux petits enfants, tandis que la philosophie s'adresse à des esprits cultivés seulement. L'une a pour base psychologique le besoin de se soumettre, et l'autre le besoin de juger par soi-même, de voir par ses propres yeux, de ne relever que de soi. La philosophie est, par essence, l'esprit d'examen et de liberté ; et la religion, l'esprit d'abnégation, de renonciation, d'obéissance. Il y a des esprits qui se jettent dans la foi, en haine de la raison, par mépris ou par désespoir; d'autres l'embrassent par fatigue, et pour y trouver le repos après les orages de la liberté. D'autres enfin se trompent sur la nature de la religion et sur celle de la philosophie; ils croient qu'on peut avoir la foi sans accepter le dogme sur tous les points avec une confiance implicite, ou qu'on mérite encore le nom de philosophe quand on reconnaît une autre autorité que celle de la raison. Egale erreur des deux côtés : la religion et la philosophie reposent

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chacune sur un principe absolu, et par conséquent leur séparation est éternelle.

Toute confusion entre la religion et la philosophie ne peut donc qu'égarer les esprits. Il ne s'ensuit pas qu'elles doivent se combattre; loin de là, car si une religion est vraie, elle est nécessairement d'accord sur tous les points avec une philosophie bien faite. Si la foi vient de Dieu, c'est aussi de lui que vient la raison; il ne peut pas nous avoir formés pour croire naturellement et invinciblement ce qu'il nous ordonnerait ensuite par ses prophètes de rejeter et de détester. La philosophie, en définitive, ne peut nuire à une religion véritable, quoiqu'une école particulière puisse être opposée à la religion.

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Pour soutenir l'identité de la religion et de la philosophie, il faudrait être étranger à toute psychologie, et ne tenir aucun compte de la diversité de penchants et de sentiments qui se rencontre parmi les hommes. Cette opinion suppose en outre que ceux qui l'admettent ne croient à la vérité d'aucune religion, s'ils pensent que toute religion est une philosophie incomplète, ou qu'ils ne reconnaissent pas l'autorité de la raison, s'ils pensent que toute spéculation philosophique ne doit être qu'un commentaire de la parole révélée. L'homme a le droit et il sent le besoin de chercher la vérité par luimême, et il n'en résulte pas que Dieu n'ait pu la lui révéler directement sur les points qui concernent le salut. Par conséquent l'existence, la légitimité et l'indépendance de la philosophie sont incontestables : la foi en demeure séparée par son origine et par sa nature; et tout ce que l'on peut affirmer, c'est qu'une religion vraie et une philosophie bien faite ne peuvent manquer d'être d'accord.

Mais il y a de plus entre la religion et la philosophie cette

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