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tion du monde est tout à fait hors de propos; car j'ai prouvé que Dieu existe avant que d'examiner s'il y avait un monde créé par lui, et de cela seul que Dieu, c'est-à-dire un être souverainement puissant, existe, il suit que, s'il y a un monde, il doit avoir été créé par lui.

OBJECTION SIXIÈME.

Sur la troisième Méditation.

<< Mais il y en a d'autres (à savoir d'autres pensées) qui con>> tiennent de plus d'autres formes par exemple, lorsque je » veux, que je crains, que j'affirme, que je nie, je conçois bien à » la vérité toujours quelque chose comme le sujet de l'action de » mon esprit, mais j'ajoute aussi quelque autre chose par cette » action à l'idée que j'ai de cette chose-là; et de ce genre de pen» sées, les unes sont appelées volontés ou affections, et les autres >> jugements.

>>

Lorsque quelqu'un veut ou craint, il a bien à la vérité l'image de la chose qu'il craint et de l'action qu'il veut; mais qu'est-ce que celui qui veut ou qui craint embrasse de plus par sa pensée, cela n'est pas ici expliqué. Et quoique, à le bien prendre, la crainte soit une pensée, je ne vois pas comment elle peut être autre que la pensée ou l'idée de la chose que l'on craint. Car qu'est-ce autre chose que la crainte d'un lion qui s'avance vers nous, sinon l'idée de ce lion, et l'effet, qu'une telle idée engendre dans le cœur, par lequel celui qui craint est porté à ce mouvement animal que nous appelons fuite? Maintenant ce mouvement de fuite n'est pas une pensée; et partant il reste que dans la crainte il n'y a point d'autre pensée que celle qui consiste en la ressemblance de la chose que l'on craint : le même se peut dire aussi de la volonté.

De plus l'affirmation et la négation ne se font point sans parole et sans noms, d'où vient que les bêtes ne peuvent rien affirmer ni nier, non pas même par la pensée, et partant ne peuvent aussi faire aucun jugement; et néanmoins la pensée peut être semblable dans un homme et dans une bête. Car, quand nous affirmons qu'un homme court, nous n'avons point d'autre pensée que celle qu'a un chien qui voit courir son maître, et partant l'affirmation et la négation n'ajoutent rien aux simples pensées, si ce n'est peut-être la pensée que les noms dont l'affirmation est com

posée sont les noms de la chose même qui est en l'esprit de celui qui affirme; et cela n'est rien autre chose que comprendre par la pensée la ressemblance de la chose, mais cette ressemblance deux fois.

RÉPONSE.

Il est de soi très-évident que c'est autre chose de voir un lion et ensemble de le craindre, que de le voir seulement; et tout de même que c'est autre chose de voir un homme qui court, que d'assurer qu'on le voit. Et je ne remarque rien ici qui ait besoin de réponse ou d'explication.

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OBJECTION SEPTIEM E.

Sur la troisième Méditation.

« Il me reste seulement à examiner de quelle façon j'ai acquis » cette idée, car je ne l'ai point reçue par les sens; et jamais elle »> ne s'est offerte à moi contre mon attente, comme font d'ordi»> naire les idées des choses sensibles, lorsque ces choses se pré>> sentent aux organes extérieurs de mes sens, ou qu'elles semblent s'y présenter. Elle n'est pas aussi une pure production ou fiction » de mon esprit, car il n'est pas en mon pouvoir d'y diminuer »> ni d'y ajouter aucune chose; et partant il ne reste plus autre >> chose à dire, sinon que, comme l'idée de moi-même, elle est » née et produite avec moi dès lors que j'ai été créé. » S'il n'y a point d'idée de Dieu (or on ne prouve point qu'il y en ait), comme il semble qu'il n'y en a point, toute cette recherche est inutile. De plus, l'idée de moi-même me vient, si on regarde le corps, principalement de la vue; si l'âme, nous n'en avons aucune idée : mais la raison nous fait conclure qu'il y a quelque chose de renfermé dans le corps humain qui lui donne le mouvement animal, qui fait qu'il sent et se meut; et cela, quoi que ce soit, sans aucune idée, nous l'appelons âme.

RÉPONSE.

S'il y a une idée de Dieu (comme il est manifeste qu'il y en a une), toute cette objection est renversée; et lorsqu'on ajoute que nous n'avons point d'idée de l'âme, mais qu'elle se conçoit par la raison, c'est de même que si on disait qu'on n'en a point d'image dépeinte en la fantaisie, mais qu'on en a néanmoins cette notion que jusqu'ici j'ai appelée du nom d'idée.

OBJECTION HUITIEM E.

Sur la troisième Méditation.

« Mais l'autre idée du soleil est prise des raisons de l'astro» nomie, c'est-à-dire de certaines notions qui sont naturellement >> en moi. >>

Il semble qu'il ne puisse y avoir en même temps qu'une idée du soleil, soit qu'il soit vu par les yeux, soit qu'il soit conçu par le raisonnement être plusieurs fois plus grand qu'il ne paraît à la vue; car cette dernière n'est pas l'idée du soleil, mais une conséquence de notre raisonnement, qui nous apprend que l'idée du soleil serait plusieurs fois plus grande s'il était regardé de beaucoup plus près. Il est vrai qu'en divers temps il peut y avoir diverses idées du soleil, comme si en un temps il est regardé seulement avec les yeux, et en un autre avec une lunette d'approche; mais les raisons de l'astronomie ne rendent point l'idée du soleil plus grande ou plus petite, seulement elles nous enseignent que l'idée sensible du soleil est trompeuse.

RÉPONSE.

Je réponds derechef que ce qui est dit ici n'être point l'idée du soleil, et qui néanmoins est décrit, c'est cela même que j'appelle du nom d'idée. Et pendant que ce philosophe ne veut pas convenir avec moi de la signification des mots, il ne me peut rien objecter qui ne soit frivole.

OBJECTION NEUVIÈME.

Sur la troisième Méditation.

<< Car, en effet, les idées qui me représentent des substances >> sont sans doute quelque chose de plus et ont, pour ainsi dire,

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plus de réalité objective que celles qui me représentent seule

» ment des modes ou accidents. Comme aussi celle par laquelle

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je conçois un Dieu souverain, éternel, infini, tout-connaissant, » tout-puissant, et créateur universel de toutes choses qui sont » hors de lui, a aussi sans doute en soi plus de réalité objective » que celles par qui les substances finies me sont représentées. » J'ai déjà plusieurs fois remarqué ci-devant que nous n'avons aucune idée de Dieu ni de l'âme ; j'ajoute maintenant ni de la sub

stance car j'avoue bien que la substance, en tant qu'elle est une matière capable de recevoir divers accidents, et qui est sujette à leurs changements, est aperçue et prouvée par le raisonnement; mais néanmoins elle n'est point conçue, ou nous n'en avons aucune idée. Si cela est vrai, comment peut-on dire que les idées qui nous représentent des substances sont quelque chose de plus et ont plus de réalité objective que celles qui nous représentent des accidents? De plus, il semble que M. Descartes n'ait pas assez considéré ce qu'il veut dire par ces mots, ont plus de réalité. La réalité reçoitelle le plus ou le moins? ou, s'il pense qu'une chose soit plus chose qu'une autre, qu'il considère comment il est possible que cela puisse être rendu clair à l'esprit, et expliqué avec toute la clarté et l'évidence qui est requise à une démonstration, et avec laquelle il a plusieurs fois traité d'autres matières.

RÉPONSE.

J'ai plusieurs fois dit que j'appelais du nom d'idée cela même Ique la raison nous fait connaître, comme aussi toutes les autres choses que nous concevons, de quelque façon que nous les concevions. Et j'ai suffisamment expliqué comment la réalité reçoit le plus et le moins, en disant que la substance est quelque chose de plus que le mode, et que, s'il y a des qualités réelles ou des substances incomplètes, elles sont aussi quelque chose de plus que les modes, mais quelque chose de moins que les substances complètes; et enfin que s'il y a une substance infinie et indépendante, 'cette substance a plus d'être ou plus de réalité que la substance finie et dépendante : ce qui est de soi si manifeste qu'il n'est pas besoin d'apporter une plus ample explication.

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OBJECTION DIXIÈME.

Sur la troisième Méditation.

<< Partant il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il >> faut considérer s'il y a quelque chose qui n'ait pu venir de moi» même. Par le nom de Dieu, j'entends une substance infinie, » indépendante, souverainement intelligente, souverainement » puissante, et par laquelle non-seulement moi, mais toutes les » autres choses qui sont (s'il y en a d'autres qui existent) ont été >> créées : toutes lesquelles choses, à dire le vrai, sont telles, que >> plus j'y pense, et moins me semblent-elles pouvoir venir de moi

» seul. Et par conséquent il faut conclure de tout ce qui a été dit >> ci-devant, que Dieu existe nécessairement. >>

Considérant les attributs de Dieu, afin que de là nous en ayons l'idée, et que nous voyions s'il y a quelque chose en elle qui n'ait pu venir de nous-mêmes, je trouve, si je ne me trompe, que ni les choses que nous concevons par le nom de Dieu ne viennent point de nous, ni qu'il n'est pas nécessaire qu'elles viennent d'ailleurs que des objets extérieurs. Car, par le nom de Dieu, j'entends une substance: c'est-à-dire j'entends que Dieu existe non point par une idée, mais par raisonnement; infinie : c'est-à-dire que je ne puis concevoir ni imaginer ses termes ou ses dernières parties, que je n'en puisse encore imaginer d'autres au delà, d'où il suit que le nom d'infini ne nous fournit pas d'idée de l'infinité divine, mais bien celle de mes propres termes et limites; indépendante : c'està-dire que je ne conçois point de cause de laquelle Dieu puisse venir, d'où il paraît que je n'ai point d'autre idée qui réponde à ce nom d'indépendant, sinon la mémoire de mes propres idées, qui ont toutes leur commencement en divers temps, et qui par conséquent sont dépendantes.

C'est pourquoi, dire que Dieu est indépendant, ce n'est rien dire autre chose sinon que Dieu est du nombre des choses dont je ne puis imaginer l'origine; tout ainsi que dire que Dieu est infini, c'est de même que si nous disions qu'il est du nombre des choses dont nous ne concevons point les limites. Et ainsi toute cette idée de Dieu est réfutée; car quelle est cette idée qui est sans fin et sans origine?

<< Souverainement intelligent. » Je demande aussi par quelle idée M. Descartes conçoit l'intellection de Dieu.

« Souverainement puissant. » Je demande aussi par quelle idée sa puissance, qui regarde les choses futures, c'est-à-dire non existantes, est entendue. Certes, pour moi, je conçois la puissance par l'image ou la mémoire des choses passées, en raisonnant de cette sorte: Il a fait ainsi, donc il a pu faire ainsi; donc, tant qu'il sera, il pourra encore faire ainsi, c'est-à-dire il en a la puissance. Or toutes ces choses sont des idées qui peuvent venir des objets extérieurs.

« Créateur de toutes les choses qui sont au monde. » Je puis former quelque image de la création par le moyen des choses que j'ai vues, par exemple de ce que j'ai vu un homme naissant, et qui est parvenu, d'une petitesse presque inconcevable, à la forme et

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