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POUR DIVERSES ÉDITIONS DE SES OUVRAGES

PRÉFACE

POUR LES ÉDITIONS DE 1666-1669.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

Ces satires dont on fait part au public n'auroient jamais couu le hasard de l'impression si l'on eût laissé faire leur auteur. Quelques applaudissements qu'un assez grand nombre de personnes amoureuses de ces sortes d'ouvrages ait donnés aux siens, sa modestie lui persuadoit que de les faire imprimer, ce seroit augmenter le nombre des mecuants livres, qu'il blâme en tant de rencontres, et se rendre par là digne lui-même en quelque façon d'avoir place dans ses satires. C'est ce qui lui a fait souffrir fort longtemps, avec une patience qui tient quelque chose de l'héroïque dans un auteur, les mauvaises copies qui ont couru de ses ouvrages, sans être tenté pour cela de les faire mettre sous la presse. Mais enfin toute sa constance l'a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui en a paru depuis peu '. Sa tendresse de père s'est réveillée à l'aspect de ses enfants ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu'il les a vus accompagnés de cette prose fade et insipide, que tout le sel de ses vers ne pourroit pas relever je veux dire

▲ Rouen, en 1665.

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de ce Jugement sur les Sciences 1, qu'on a cousu si peu judicieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ses satires n'achevassent de se gâter en une si méchante compagnie; et il a cru, enfin, que puisqu'un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l'imprimeur, il valoit mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu'on avoit déjà fait malgré lui. Joint que ce galant homme qui a pris le soin de la première édition y a mêlé les noms de quelques personnes que l'auteur honore, et devant qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l'ont obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de deux autres, pour lesquelles il appréhendoit le même sort. Mais en même temps, il m'a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués de la liberté qu'il s'est donnée de parler de leurs ouvrages en quelques endroits de ses écrits. Il les prie donc de considérer que le Parnasse fut de tout temps un pays de liberté; que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant; que le sentiment d'un seul homme ne fait point de loi; et qu'au pis aller, s'ils se persuadent qu'il ait fait du tort à leurs ouvrages, ils s'en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne jusqu'aux points et aux virgules. Que si cela ne les satisfait pas encore, il leur conseille d'avoir recours à cette bienheureuse tranquillité des grands hommes comme eux, qui ne manquent jamais de se consoler d'une semblable disgrâce par quelque exemple fameux, pris des plus célèbres auteurs de l'antiquité, dont il se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire réflexion que si lers ouvrages sont

1 Cette pièce est de Saint-Évremond.

2 Les satires III et V

mauvais, ils méritent d'être censurés; et que s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trou ver mauvais1. Au reste, comme la malignité de ses enne mis s'efforce depuis peu de donner un sens coupable ses pensées mêmes les plus innocentes, il prie les hon nêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilité. raffinées de ces petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches, et qui lui veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique. Il est bien aise aussi de faire savoir dans cette édition que le non: de Scutari, l'heureux Scutari, ne veut dire que Scutari; bien que quelques-uns l'aient voulu attribuer à un des plus fameux poëtes de notre siècle, dont l'auteur estime le mérite et honore la vertu.

J'ai charge encore d'avertir ceux qui voudront faire des satires contre les satires de ne se point cacher. Je leur réponds que l'auteur ne les citera point devant d'autre tribunal que celui des Muses: parce que, si ce sont des injures grossières, les beurrières lui en feront raison; et si c'est une raillerie délicate, il n'est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu'il doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement : comme ils contribueront sans doute à rendre l'auteur plus illustre, ils feront le profit du libraire; et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y trouve, je leur conseille d'attendre quelque temps, et de laisser mûrir leur mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. Vous avez beau vomir des injures sales et odieuses, cela marque la bassesse de votre âme, sans rabaisser la gloire de celui que vous attaquez; et le lec

Ici finit la préface de l'édition de 1666: ce qui suit fut ajoute dans relle de 1667.

2 Georges Scudéri.

teur qui est de sens froid1 n'épouse point les sottes passions d'un rimeur emporté. Il y auroit aussi plusieurs choses à dire touchant le reproche qu'on fait à l'auteur d'avoir pris ses pensées dans Juvénal et dans Horace, mais, tout bien considéré, il trouve l'objection si honorable pour lui, qu'il croiroit se faire tort d'y répondre.

PRÉFACE

POUR L'ÉDITION DE 1674, IN-4°.

AU LECTEUR.

J'avois médité une assez longue préface, où, suivant la coutume reçue parmi les écrivains du temps, j'espérois rendre un compte fort exact de mes ouvrages, et justifier les libertés que j'y ai prises; mais depuis j'ai fait réflexion que ces sortes d'avant-propos ne servoient ordinairement qu'à mettre en jour la vanité de l'auteur, et, au lieu d'excuser ses fautes, fournissoient souvent de nouvelles armes contre lui. D'ailleurs je ne crois point mes ouvrages assez bons pour mériter des éloges, ni assez criminels pour avoir besoin d'apologie. Je ne me louerai donc ici, ni ne me justifierai de rien. Le lecteur saura seulement que je lui donne une édition de mes satires plus correcte que les précédentes, deux épîtres nouvelles 1 l'Art poétique en vers, et quatre chants du Lutrin. J'y ai ajouté aussi la traduction du Traité que le rhéteur Longin a composé du sublime ou du merveilleux dans le discours. J'ai fait originairement cette traduction pour m'in struire plutôt que dans le dessein de la donner au public;

VAR. De sang froid, dans quelques éditions postérieures à Boileau. 2 Les épîtres II et III.

mais j'ai cru qu'on ne seroit pas fâché de la voir ici à la suite de la Poétique, avec laquelle ce traité a quelque rapport, et où j'ai même inséré plusieurs préceptes qui en sont tirés. J'avois dessein d'y joindre aussi quelques dialogues en prose que j'ai composés; mais des considérations particulières m'en ont empêché. J'espère en donner quelque jour un volume à part. Voilà tout ce que j'ai à dire au lecteur. Encore ne sais-je si je ne lui en ai point déjà trop dit, et si, en ce peu de paroles, je ne suis point tombé dans le défaut que je voulois éviter.

PRÉFACE

POUR L'ÉDITION DE 1674 OU 1678', IN-12.

AU LECTEUR.

Je m'imagine que le public me fait la justice de croire que je n'aurois pas beaucoup de peine à répondre aux livres qu'on a publiés contre moi; mais j'ai naturellement une espèce d'aversion pour ces longues apologies qui se font en faveur de bagatelles aussi bagatelles que sont mes ouvrages. Et d'ailleurs ayant attaqué, comme j'ai fait, de gaieté de cœur, plusieurs écrivains célèbres, je serois bien injuste, si je trouvois mauvais qu'on m'attaquât à mon tour. Ajoutez que si les objections qu'on me fait sont bonnes, il est raisonnable qu'elles passent pour telles; et si elles sont mauvaises, il se trouvera assez de lecteurs sensés pour redresser les petits esprits qui s'en pourroient laisser surprendre. Je ne répondrai donc rien à tout ce qu'on a dit ni à tout ce qu'on a écrit contre moi;

1 1674, suivant Brossette; 1675, suivant Saint-Marc.

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