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DISCOURS SUR LA SATIRE'

(16682)

Quand je donnai la première fois mes satires au public, je m'étois bien préparé au tumulte que l'impression de mon livre a excité sur le Parnasse. Je savois que la nation des poëtes, et surtout des mauvais poëtes, est

On peut comparer avec ce travail de Boileau les écrits suivants, qui sont d'une date antérieure:

Discours sur la salire, par Vauquelin de La Fresnaye, au-devant de ses satires, dans le recueil de ses œuvres, 1605.

De la nature, origine et excellence des satires; discours d'André Duchesne, 1607.

Discours sur la satire, par Chaline, 1653.

Postérieurement au discours ci-dessus, nous indiquerons encore sur le même sujet :

Discours sur les satires, par de La Valterie, à la fin du deuxième volume de sa traduction des satires de Perse et de Juvénal, 1680.

Discours sur la satire, par André Dacier, dans les Mém. de l'Acad. des Inscriptions, t. II, in-4°; t. III, p. 316.

Traité de la satire, où l'on examine comment on doit reprendre son prochain, par Pierre de Villiers, 1695.

Apologie de la satire, en vers françois, par François Gacon, dans son recueil intitulé le Poële sans fard, 1701.

Observations sur la satire, par le P. Brumoy, à la fin de sa dernière édition du Traité de la poésie françoise du P. Mourgues.

Joseph Chénier. Essai sur la satire.

2 Ce discours parut pour la première fois en 1668, avec la satire IX. Le but de l'auteur étoit de justifier, par l'exemple des plus fameux poëtes anciens et modernes, la liberté qu'il s'est donnée de nommer quelques écrivains dans ses satires. (Note des éditeurs de 1713.)

3 Ceci regarde particulièrement Cotin, qui avoit publié une satire contre l'auteur. (BOILEAU.)

une nation farouche qui prend feu aisément', et que ces esprits avides de louanges ne digéreroient pas facilement une raillerie, quelque douce qu'elle pût être. Aussi oserai-je dire, à mon avantage, que j'ai regardé avec des yeux assez stoïques les libelles diffamatoires qu'on a publiés contre moi3. Quelques calomnies dont on ait voulu me noircir, quelques faux bruits qu'on ait semés de ma personne, j'ai pardonné sans peine ces petites vengeances au déplaisir d'un auteur irrité, qui se voyoit attaqué par l'endroit le plus sensible d'un poëte, ie veux dire par ses ouvrages.

Mais j'avoue que j'ai été un peu surpris du chagrin bizarre de certains lecteurs", qui, au lieu de se divertir d'une querelle du Parnasse dont ils pouvoient être spectateurs indifférents, ont mieux aimé prendre parti, et s'affliger avec les ridicules, que de se réjouir avec les honnêtes gens. C'est pour les consoler que j'ai composé ma neuvième satire, où je pense avoir montré assez clairement que, sans blesser l'État ni sa conscience, on peut trouver de méchants vers méchants, et s'ennuyer de plein droit à la lecture d'un sot livre. Mais puisque ces messieurs ont parlé de la liberté que je me suis donnée de nommer, comme un attentat inouï et sans exemples, et que des exemples ne peuvent pas se mettre

VAR. ...qui prend feu très-aisément, dans les éditions antérieures à 1701.

2 VAR....gourmands de louanges, dans la première édition de ce discours.

3 11 couroit dès ce temps-là contre notre auteur un libelle en prose, intitulé la Critique désintéressée sur les satires du temps. » BROS SETTE. Cotin étoit l'auteur de cette critique.

VAR....certains auteurs, dans les éditions antérieures à 1683. 5 Ceci regardait particulièrement le duc de Montausier.

6 VAR....avec les rieurs, dans la première édition de ce discours. 7 VAR....la, dans la première édition de ce discours.

en rimes, il est bon d'en dire ici un mot, pour les instruire d'une chose qu'eux seuls veulent ignorer, et leur faire voir qu'en comparaison de tous mes confrères les satiriques j'ai été un poëte fort retenu.

Et pour commencer par Lucilius', inventeur de la satire, quelle liberté, ou plutôt quelle licence ne s'estil point donnée dans ses ouvrages? Ce n'étoit point seulement des poëtes et des auteurs qu'il attaquoit, c'étoit des gens de la première qualité de Rome; c'étoit des personnes consulaires. Cependant Scipion et Lélius ne jugèrent pas ce poëte, tout déterminé rieur qu'il étoit, indigne de leur amitié, et vraisemblablement, dans les occasions, ils ne lui refusèrent pas leurs conseils sur ses écrits, non plus qu'à Térence. Ils ne s'avisèrent point de prendre le parti de Lupus et de Metellus, qu'il avoit joués dans ses satires; et ils ne crurent pas lui donner rien du leur, en lui abandonnant tous les ridicules de la république :

Num Lælius, et qui

Duxit ab oppressa meritum Carthagine nomen,
Ingenio offensi, aut læso doluere Metello,
Famosisque Lupo cooperto versibus3?

En effet, Lucilius n'épargnoit ni petits ni grands; et

1 Caïus Lucilius, né au second siècle avant l'ère vulgaire, ami, comme Térence, de Lélius et du second Scipion l'Africain, composa trente satires; quelques-uns disent trente livres de satires: il en reste plus de mille vers que F. Douza, Volpi, Havercamp out rassemblés, mais qui sont en général si détachés les uns des autres, qu'il nous est difficile de prendre, en les lisant, une idée bien précise du talent de l'auteur. Nous voyons les anciens fort partagés sur le mérite de ce satirique. Cicé ron, qui loue son urbanité, trouve ses écrits légers et son savoir médiocre. Quintilien, au contraire, admire sa science, et le croit jugé trop sévèrement par Horace. (DAUNOU.)

2 VAR....satirique premier du nom, dans les éditions antérieures

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souvent des nobles et des patriciens il descendoit jusqu'à

la lie du peuple :

Primores populi arripuit, populumque tributim '.

On me dira que Lucilius vivoit dans une répubiique, où ces sortes de libertés peuvent être permises. Voyons donc Horace, qui vivoit sous un empereur, dans les commencements d'une monarchie, où il est bien plus dangereux de rire qu'en un autre temps. Qui ne nomme-t-il point dans ses satires? Et Fabius le grand causeur, et Tigellius le fantasque, et Nasidiénus le ridicule, et Nomentanus le débauché 2, et tout ce qui vient au bout de sa plume. On me répondra que ce sont des noms supposés. Oh! la belle réponse! comme si ceux qu'il attaque n'étoient pas des gens connus d'ailleurs! comme si l'on ne savoit pas que Fabius étoit un chevalier romain qui avoit composé un livre de droit; que Tigellius fut en son temps un musicien chéri d'Auguste; que Nasidiénus Rufus étoit un ridicule célèbre dans Rome; que Cassius Nomentanus étoit un des plus fameux débauchés de l'Italie! Certainement il faut que ceux qui parlent de la sorte n'aient pas fort lu les anciens, et ne soient pas fort instruits des affaires de la cour d'Auguste. Horace ne se contente pas d'appeler les gens par leur nom; il a si peur qu'on ne les méconnoisse, qu'il a soin de rapporter jusqu'à leur surnom, jusqu'au métier qu'ils faisoient, jusqu'aux charges qu'ils avoient exercées. Voyez, par

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2 VAR. Et Tanais le châtrẻ, éditions antérieures à 1683. étoit un affranchi de Mécène.

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3 Voyez Acr., Porph., Suét., Vie d'Aug. (BOILEAU.) Les auteurs que Boileau cite ici sont Acron et Porphyrion, commentateurs d'Horace, et Svétone dans 1: Vie d'Auguste.

(DAUNOU.)

exemple, comme il parle d'Aufidius Luscus, préteur de Fondi :

Fundos, Aufidio Lusco prætore, libenter
Linquimus, insani ridentes præmia scribæ,
Prætextam, et latum clavum, etc. '.

«Nous abandonnâmes, dit-il, avec joie le bourg de « Fondi, dont étoit préteur un certain Aufidius Luscus; (( mais ce ne fut pas sans avoir bien ri de la folie de ce « préteur, auparavant commis, qui faisoit le sénateur et « l'homme de qualité. »

Peut-on désigner un homme plus précisément? et les circonstances seules ne suffiroient-elles pas pour le faire reconnoître? On me dira peut-être qu'Aufidius étoit mort alors; mais Horace parle là d'un voyage fait depuis peu. Et puis, comment mes censeurs répondront-ils à cet autre passage?

Turgidus Alpinus jugulat dum Memnona, dumque
Diffingit Rheni luteum caput, hæc ego ludo2.

<< Pendant, dit Horace, que ce poëte enflé d'Alpinus égorge Meninon dans son poëme, et s'embourbe dans « la description du Rhin, je me joue en ces satires. »

Alpinus vivoit donc du temps qu'Horace se jouoit en ces satires; et si Alpinus en cet endroit est un nom supposé, l'auteur du poëme de Memnon pouvoit-il s'y méconnoître? Horace, dira-t-on, vivoit sous le règne du plus poli de tous les empereurs; mais vivons-nous sous un règne moins poli? et veut-on qu'un prince qui a tant de qualités communes avec Auguste soit moins dégoûté que lui des méchants livres, et plus rigoureux envers ceux qui les blâment?

3

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VAR. ...du plus doux de tous les empereurs; mais vivons-nous soug UL règne moins doux ?

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