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Lecourt, de la fabrique de machines à coudre de M. Chabrol, terrassier de profession, âgé de 29 ans, nous montra tout ce qu'une volonté ferme et raisonnée peut obtenir dans sa condition. Sans doute ce louable ouvrier ne brilla pas au tableauļoù il était appelé pour la première fois de sa vie, sans doute ses réponses furent enbarrassées et peu lucides, mais aidé et ramené à la question quand il s'égarait, il nous prouva en définitive son bon sens et les efforts inouis qu'il avait dû faire pour en arriver à ce premier résultat précieux. Nous l'engageâmes fortement à persévérer.

Le 3 mai fut choisi avec M. Lacroix pour le jour du deuxième examen. Le cours venait d'être terminé, et les élèves-ouvriers, particulièrement, allaient se trouver, désormais, dans l'impossibilité d'assister aux leçons complémentaires ou répétitions faites si utilement encore jusqu'au 15 juin. Car il faut remarquer que du 17 novembre au 1er mai, en cinq mois et demi, c'est-à-dire en 65 leçons, au plus, l'enseignement embrasse les éléments de l'arithmétique et toute la géométrie plane et dans l'espace, ce qui est beaucoup.

Tous les élèves, cette fois, avaient été prévenus et invités à se préparer à l'examen. Sept, seulement, se présen. tèrent. Les autres, sans doute, ayant conscience de leur infériorité relative ne tenaient pas à ce qu'elle fut constatée par nous; peut-être y eut-il de leur part, sous ce rapport, une fausse idée de notre manière d'apprécier le mé rite: croient-ils que notre notation est absolue ? Que nous jugeons chaque réponse par blanc ou par noir? - Non, il ne peut en être ainsi, et nous devons dire ici que nous procédons plus logiquement dans ces examens où les âges, les conditions et les professions des élèves différent tant! Où

nouveaux et vétérants luttent constamment ensemble; où, comme aujourd'hui, par exemple, un ouvrier terrassier de 29 ans qui, il y a trois ans, ne savait pas lire, concourt avec de jeunes étudiants lettrés qui se destinent à l'architecture, aux ponts-et-chaussées, à l'école de Châlons, etc.

Qu'ils le sachent donc bien, pour vaincre leur regrettable abstention, que nous affectons avec discernement les réponses de chaque élève d'un coefficient qui lui est propre, qui, dans notre manière de voir, détermine avec équité le rang de mérite qu'il doit occuper entre tous ses

concurrents.

Sur les sept élèves examinés le 3 mai nous fûmes heureux d'avoir à constater que les jeunes élèves Bournet et Belleau avaient fait des progrès sensibles et qu'ils continuaient de montrer une véritable aptitude à l'étude de la géométrie.

L'ouvrier Lecourt, malgré la complication, pour lui, des difficultés, n'avait pas perdu courage; il s'était efforcé au contraire de suivre le cours et de le comprendre, en mettant en œuvre toutes les ressources de sa forte volonté.

L'élève Grondard, ouvrier menuisier, âgé de 18 ans, que le travail de l'atelier allait priver désormais de suivre les leçons, nous prouva aussi beaucoup de zèle et de bonne volonté. Nous citons avec plaisir sa persévérance, et il mérite d'être loué pour les connaissances géométriques qu'il a acquise, sachant combien il a, naturellement, le travail difficile.

Tocanier, mieux préparé qu'au premier examen, fut encore au-dessous du rang qu'il devait occuper.

Nous trouvâmes en dernier lieu, dans l'examen de M. Leblanc, caporal du génie, âgé de 23 ans, qu'un ordre de service avait empêché d'être interrogé le 9 février, les

principales qualités qui constituent un bon élève, c'est-àdire du calme, du raisonnement, de l'intelligence et des connaissances solides en mathématique. M. Leblanc, né à Saint-Servan, de parents bretons, étudia d'abord au collége de Jocelyn où, de 12 à 16 ans, on lui enseigna notamment l'arithmétique et un peu de latin. A 16 ans on le mit en apprentissage chez un menuisier, et à 18 ans, devenu orphelin, il s'engagea dans l'arme du génie où depuis longtemps déjà il a gagné les galons de caporal. Tout ce qu'il sait aujourd'hui en géométrie il le doit aux deux années de leçons qu'il a reçues de M. Lacroix qui le considère avec raison, cette année, comme son meilleur élève.

L'examen de fin d'année, celui qui devait être suivi de nos propositions de récompenses, eut lieu le dimanche 21 juin. Comme M. Arreitter et moi le pressentions les rangs des concurrents s'étaient encore éclaircis, et nous eûmes à regretter l'absence de l'ouvrier Lecourt. Nous pensâmes alors que, s'exagérant la difficulté de s'exprimer et redoutant à tort la comparaison avec ses camarades, il avait cru devoir résister aux instances bienveillantes de son professeur qui l'engageait à se présenter à l'examen définitif; mais nous apprîmes depuis que ce digne ouvrier s'était trouvé sérieusement indisposé par une forte fièvre qui l'avait forcé à garder la chambre.

Nous examinâmes longuement au tableau MM. Belleau, Bournet, Leblanc, Rivière et Tocanier et nous éprouvâmes la satisfaction de trouver dans les trois premiers nommés, principalement, des élèves instruits, raisonnant bien et expliquant convenablement les questions souvent difficiles qui leur étaient posées.

Les nombreuses rédactions de théorêmes et de problêmes géométriques mises ensuite sur nos yeux, ainsi que les

feuilles de dessin linéaire exécutées pendant l'année, ajoutèrent encore des données utiles à notre appréciation du mé rite de chacun et du rang que nous devions lui assigner.

Il serait peut être bon, puisque M. Lacroix complète avec raison son cours par des exercices de dessin linéaire, qu'un sujet de composition très-simple, exécuté sous ses yeux d'après un croquis côté fait sur l'objet en nature, fut soumis en dernier lieu au jugement des examinateurs ? Actuellement il leur passe bien sous les yeux d'utiles des. sins, bien faits, mais la plupart de ces dessins ont été piqués d'après le modèle, ont été faits en dehors de tout contrôle ; ils ne sont pas le résultat d'un rapport géométrique à la règle et au compas, conséquemment ils ne répondent pas tout-à-fait au but que l'on veut atteindre. Pour qué ces exercices de dessin linéaire profitassent davantage aux élèves, je crois qu'il serait utile qu'ils constituassent un cours gradué; que chaque dessin ne fut fait que d'après un croquis coté et à la vue du relief, et qu'il portât en légende une petite description sommaire indiquant la construction de l'objet et son usage.

Nous soumettons ce vœu à M. Lacroix, convaincu que s'il le trouve profitable à son enseignement il le réalisera bientôt avec sa sagacité et son zèle ordinaires.

Je termine en vous proposant, Messieurs, comme conséquence des examens si satisfaisants dont je viens d'avoir l'honneur de vous entretenir, et d'accord avec M. Arreitter, de décerner cette année :

1. Un premier prix à M. LEBLANC (Pierre Marie), né à Saint-Servan (Morbihan), âgé de 23 ans, caporal au corps du génie de la garde, - élève de 2. année;

2. Un second prix à M. BOURNET (Henri-Michel), né à

Versailles, âgé de 13 ans, élève de l'institution de M. Méélève de 1. année ;

quet,

re

3.o Une première mention honorable à M. BELLEAU (Alphonse-Henri), né à Versailles, âgé de 15 ans, apprenti serrurier chez son père, candidat à l'Ecole des Arts et Métiers de Châlons, - élève de 1. année ;

4. Une seconde mention honorable à M. LECOURT (JeanBaptiste), né à Niort (Mayenne), âgé de 29 ans, ouvrier à la fabrique de machines à coudre de M. Chabrol, — élève de 1.re année.

En finissant, je crois être l'interprète de vos sentiments, Messieurs, en remerciant publiquement, au nom de la Société d'Agriculture et des Arts de Seine-et-Oise, le savant professeur du cours de géométrie de la ville de Versailles, - notre honorable collègue M. Lacroix, - des excellents et si satisfaisants résultats que nous devons aujourd'hui encore à son dévouement à l'enseignement public.

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M. le Préfet remet les prix aux lauréats et il ajoute :

. MESSIEURS,

« Je vois avec une bien vive satisfaction que vous avez << tenu compte des recommandations que je vous faisais « l'année dernière, en mettant sous vos yeux l'heureux ave<«<nir qui vous attendait dans les carrières que vous pour«riez parcourir, si vous saviez mettre à profit les utiles leçons qui vous sont données avec tant de zèle et de dé« voûment. Elles attendent vos successeurs auxquels le << bienveillant intérêt du Corps municipal de Versailles <«< celui de la Société, ne failliront pas s'ils savent les « mettre à profit et en fournir la preuve dans les divers <«<examens qu'ils ont maintenant à subir dans le cours « de l'année. »

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