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SUR

LA PROPAGATION ET L'AMÉLIORATION

DES CHEVAUX

DANS LE DÉPARTEMENT,

PAR M. LE V." D'ABZAC.

Messieurs,

Ceux qui, il y a vingt ans, assistaient à vos premiers débuts dans cette vaste carrière qu'il s'agissait d'ouvrir à l'industrie hippique du Département, ne se doutaient certainement pas que de brillants succès viendraient un jour justifier la confiance soutenue, que vous avez mise dans

votre œuvre.

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Ce jour est venu pourtant; il est venu pour dissiper les appréhensions, démentir les contradicteurs, et donner une éclatante raison à la persévérance et au courage avec lesquels vous avez suivie la voie difficile du progrès.

Lorsqu'en 1836, deux de vos chevaux furent mis pour la première fois àla disposition du public, le système des montes gratuites ou à prix réduit, se pratiquait déjà dans plusieurs Départements. Un arrêté du Préfet de l'Ain du 31 août 1821, portant règlement du service des étalons

départementaux, fixe à six francs le prix du saut, et après six ans de monte défére au détenteur la propriété du cheval.

L'organisation du haras départemental de la Corse remonte à 1813. Pour encourager cet établissement, l'Etat lui concédait ses étalons en y ajoutant une subvention annuelle de mille à trois mille francs, et en rétribuant le directeur. Dans les Pyrénées-Orientales, le ConseilGénéral autorise l'acquisition de huit étalons en 1832. Le département des Landes possédait un dépôt à Dax depuis 1806 jusqu'en 1822. Un arrêté du Préfet des Vosges du 16 juillet 1829, autorise une vente par enchère des étalons départementaux. On les offre aux acquéreurs à des prix réduits, mais on leur impose des conditions dans l'intérêt du service public. Le prix du saut y est fixé à cinq francs.

Si nous examinons les essais tentés par divers Départements depuis 1836, dans le but de propager et d'améliorer les races de chevaux, nous voyons la même pensée revêtue des formes multiples s'adressant à l'industrie privée. Dans le Haut-Rhin on commence par des concessions gratuites des étalons départementaux, puis on les vend par enchère et à des prix réduits, en soumettant l'acquéreur aux clauses nombreuses d'un cahier des charges. La Société d'Agriculture du Var achète, avec les fonds accordés par l'Etat et par le Conseil-Général, les étalons qu'elle revend ensuite au rabais pour les mettre à la portée des éleveurs; elle impose le service de la monte pendant six ans et fixe à cinq francs le prix du saut répété jusqu'à trois fois. Dans le département de l'Isère, les étalons sont concédés gratuitement. Le détenteur profite du prix du saut fixé à cinq francs, et lorsqu'il se répète jusqu'à trois fois, il per

çoit un supplément de deux francs : les chevaux reconnus impropres au service de la monte, sont vendus au profit du Département. Dans l'Indre, on a essayé de 1844 à 1846, d'un système particulier d'encouragement qu'il a fallu abandonner bientôt. Outre la concession gratuite des étalons, on assurait au détenteur une prime de quinze francs pour chaque produit obtenu. Un tiers de cette prime devait être fourni par l'éleveur, les deux autres tiers par le Département. Dans les Ardennes, après avoir changé cinq fois le mode de concession, on remet les étalons à la garde du détenteur. Ce dernier, moyennant une prime de remboursement, peut devenir propriétaire des chevaux, après six années de service public.

Nous ne poursuivrons pas plus loin cette revue des formes si variées, sous lesquelles on sollicitait l'industrie privée, en mettant à sa portée des chevaux de choix. Entre votre manière de procéder et les divers systèmes que nous venons de citer, il y a des différences qu'il est bon de

constater.

Presque toutes les institutions hippiques provoquées par les besoins locaux, organisées par les soins des administrations départementales, réglementées avec profusion de clauses et de réserves dans leurs cahiers des charges, sont mortes aujourd'hui. Celles qui ont résisté à l'épreuve du temps, n'ont pas répondu à la haute destinée que leur réservait la pensée de leurs fondateurs.

Parmi les causes multiples de cet insuccès, il faut remarquer que tous les modes de concession à titre gratuit ou onéreux, sont entachés d'un vice originel: la fausse économie.

Tel Département s'impose pour acheter des étalons; s'il les revend au détenteur à prix réduit, il rentre dans

une partie de ses déboursés; s'il les concède gratuitement, il économise les frais de nourriture et d'entretien. Mais, quelles que soient les restrictions du cahier des charges, il a renoncé dans les deux cas à son action directe; il a ôté à l'institution son caractère public; il a livré à l'intérêt particulier, à la convenance du détenteur, ce qui devait rester dans le domaine d'utilité générale.

La concession à titre gratuit ou onéreux devait avoir pour conséquence l'établissement du prix du saut. Nous voyons, en effet, que tous les cahiers des charges stipulent cette rémunération au profit du détenteur, pour le couvrir des frais de nourriture et d'entretien. De cette manière le bienfait n'est accompli qu'à demi. Le producteur, en payant le service du cheval, a de la peine à comprendre qu'il a reçu un encouragement effectif par la réduction du prix payé. Pour lui, le dépôt départemental n'est qu'une entreprise particulière qui offre ses services au premier venu, moyennant cinq ou six francs par saut.

Enfin, le dépôt, station permanente, immobilise le service des chevaux et met à la charge du producteur tous les frais du déplacement.

Or, lorsqu'il s'agit de s'absenter, d'interrompre le cours habituel de ses occupations, de déboursés pour frais de voyage, de payer le prix du saut, de revenir chez soi sans certitude du succès, personne n'est moins pressé que l'habitant de la campagne.

Avons-nous besoin, Messieurs, de signaler toute la supériorité du principe libéral qui a imprimé à votre œuvre le cachet d'une bienfaisance complète ?

Chez nous le service de la monte est gratuit dans le sens le plus absolu; non-seulement vous avez abandonné au producteur le prix du saut, mais encore dans la saison

la plus favorable de l'année, vos chevaux vont frapper à sa porte pour le décider à bien faire ainsi, pour tous les services qu'on lui rend, on ne lui demande que du

succès.

Comment voulez-vous qu'il ne se décide sur place? C'est ainsi que vos étalons, dans les premières années de l'établissement, exploraient la forêt de Rambouillet et sollicitaient cette nombreuse clientèle de charbonniers, pour l'engager dans les voies du progrès.

Certes, Messieurs, nous devons le reconnaître, la sollicitude constante de l'Administration et du Conseil-Général ne vous a jamais fait défaut. L'industrie naissante a trouvé un appui bienveillant dans tous les pouvoirs constitués. Le Comice Agricole n'a cessé de seconder vos efforts en excitant l'activité de l'éleveur, par l'espoir des récompenses.

Cette unanimité de vues, jointe aux avantages du système de gratuité de la monte, exerce sur les éleveurs de Seine-et-Oise, une influence salutaire et contribue au développement progressif d'une industrie, qui comptedéjà dans les richesses de notre sol, et qui, nous aimons à le croire, est appelée à un grand avenir dans ce pays.

Mais notre tâche ne serait pas remplie, notre mission manquerait son but, si, après avoir rendu un juste tribut d'éloges aux fondateurs et aux protecteurs de l'œuvre, nous passions à côté d'une question grave, qu'il faudra bientôt aborder de front, pour continuer aux éleveurs le bienfait de la gratuité, ou modifier l'institution qui a fonctionné avec tant de succès depuis plus de vingt ans.

En vous rendant compte des progrès de l'élevage pendant les dix premières années, votre Commission constatait déjà en 1846, l'insuffisance de trois étalons pour

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