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PRONONCÉ

PAR M. VICTOR PIGEON,

Président titulaire.

MESSIEURS,

Au moment de quitter les honorables fonctions que je devais à votre bienveillance, qu'il me soit permis de vous remercier de la sympathie et de la bonté que vous m'avez toujours témoignées, et qui m'ont rendu facile la tâche de diriger vos travaux dans nos réunions mensuelles. Il me reste un dernier devoir à accomplir en prenant la parole dans cette séance solennelle, et je viens faire un nouvel >tre indulgence.

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Lorsque l'on parcourt le nord de la France, la Belgique, la Hollande, l'Angleterre et surtout l'Ecosse, et que l'on compare les produits agricoles en céréales à ceux de notre Département, on remarque que nous ne sommes pas inférieurs, au point de vue du rendement, à ces contrées, bien qu'il y ait cependant une différence notable sous le rapport de la netteté et de la propreté des terres. S'il nous reste des progrès à accomplir pour placer l'Agriculture de notre Département au plus haut rang, c'est donc principalement vers les plantes sarclées qu'il faut tourner nos vues. Je ne crains pas d'avancer que si, jusqu'à ce jour, les plantes sarclées n'ont pas obtenu toute l'extension dé

sirable, cela tient surtout à ce que notre Département est, en quelque sorte, trop exclusivement agricole, et que le haut prix de la main-d'œuvre semble avoir éloigné toute industrie particulière destinée à transformer nos produits; c'est donc à nos propres établissements qu'il faut annexer ces industries, et arriver à ce résultat, que notre Agriculture ne livre ses récoltes que sous la forme sous laquelle elles doivent être consommées.

La conversion des colzas en huiles aurait pu offrir quelques avantages, si le prix coûteux des appareils et les chances aléatoires d'un commerce qui varie à chaque instant, n'eussent arrêté l'esprit heureusement positif de nos cultivateurs.

Les résidus connus sous le nom de tourteaux n'offrent qu'un engrais complémentaire, et n'aident que dans une faible proportion à nourrir le bétail, sans servir à la conversion des pailles et fourrages en engrais normal.

Cet annexe à la ferme serait donc plutôt une affaire commerciale, indépendante de l'Agriculture proprement dite, et à ce point de vue je ne saurais la conseiller.

La plante elle-même ne peut être d'ailleurs sarclée plusieurs fois, et ne laisse pas la terre dans un état de propreté désirable.

pomme

Il y a dix ans, les féculeries prenaient grande faveur. Un fléau terrible, connu dans ses effets, mais dont la cause est encore bien obscure, est venu frapper la de terre, cette plante si précieuse, qui semblait destinée à apporter le plus grand soulagement dans les temps de disette, ou qui, transformée en fécule dans les années d'abondance, devenait si utile à l'industrie dans l'apprêt des étoffes, la fabrication de la bière et des boissons fermentées. La maladie avait paru s'atténuer un peu l'année dernière; le rendement de la récolte avait dépassé celui des

années précédentes; on pouvait reprendre bon espoir pour l'avenir; mais sous l'influence sans doute des pluies prolongées, les risques extérieurs du développement maladif viennent de reparaître, et il est à craindre que la récolte ne soit beaucoup amoindrie.

L'essort destiné à cette plante s'est donc tout-à-coup arrêté, et vous avez été obligés de chercher d'autres compensations.

La culture de la betterave avait depuis long-temps fixé vos regards; mais une législation incertaine qui, en l'espace de vingt ans, changeait quatre fois les conditions économiques de la fabrication du sucre, et ne semblait laisser multiplier les fabriques que pour les abattre quelques années après, ne pouvait convenir aux cultivateurs de nos contrées. Peut-être aussi la différence avec les départements du nord de la France, des prix de revient des charbons et de la main-d'œuvre, laissait-elle peu d'espoir de pouvoir soutenir la concurrence. D'ailleurs, pour être productive, cette industrie a besoin d'opérer en grand; il faut acheter la betterave, et le capital à verser devient considérable. Sans doute il y aurait eu moyen, par une sorte d'association, de monter des fabriques dans les centres de culture; mais l'esprit d'indépendance de nos cultivateurs, leur répugnance à confier leurs intérêts, auraient retardé l'exécution de cette utile pensée. Cependant, j'ai la ferme confiance que peu d'années se seraient écoulées sans que la culture eût recours à ce moyen, quand l'idée d'un grand progrès à accomplir aurait germé dans les esprits. Déjà, dans le département de l'Isère, une association de quinze propriétaires ou cultiva teurs a produits d'excellents résultats.

Un de nos collègues, M. Emile Pluchet, rassuré sans doute sur l'avenir de notre législation sur les sucres, con

vaincu que le chef de l'Etat ne peut qu'accorder protection à cette industrie, surexcité qu'il doit être par la mémoire de son oncle et par le souvenir de ses propres écrits, n'a pas craint de fonder une fabrique considérable, il y a deux ans. La culture de la betterave s'étend et se protage autour de lui; et, aujourd'hui, chacun s'intéresserait au succès de ses travaux pour les services qu'il a rendus, si depuis longtemps la loyauté et l'aménité de son caractère ne lui eussent assuré nos sympathies.

Un nouveau fléau qui sévit depuis deux années et qui frappe une des branches les plus productives de notre industrie nationale, la maladie de la vigne, dont les effets se font déjà sentir sur l'exportation qui est réduite à moitié, a fait monter les eaux-de-vie à un prix considérable, qui permet de distiller les produits de la betterave avec de très-grands avantages, et d'en retirer des alcools qui sont bien loin de rivaliser, sans doute, avec ceux du raisin, mais qui bientôt pourront être améliorés lorsque la science aura fait de nouveaux progrès; et il y a tout lieu d'espérer que ces alcools trouveront encore à s'employer très-utilement lorsque la vigne aura repris ses anciens avantages.

Quelle étrange destinée que celle de cette plante saccharine! Lorsqu'une grande crise arrive, causée par la politique comme dans le blocus continental, ou par l'invasion d'une maladie inconnue, elle se substitue immédiatement soit à la canne à sucre, soit au raisin. Et comme cette plante, que son histoire rend éminemment française, semble convenir à la culture de notre contrée. Elle prend sa place de la manière la plus heureuse dans nos assolements; elle permet de créer une branche d'industrie qui se lie intimement à l'exploitation agricole; considérée comme nourriture du bétail, employée directement après

l'avoir coupée et broyée, ou à l'état de résidu après la fabrication du sucre et de l'alcool, ses facultés nutritives l'emportent sur celles des autres racines. Elle permet d'employer avec succès les fourrages décolorés par l'action continue de l'eau ; comme cela a eu lieu cette année, après un mélange préalable qu'on laisse fermenter pendant quelques jours.

La distillation de l'alcool, par le procédé de M. Dubrunfaut ou par celui de M. Champonnois, ne nécessite ni un établissement considérable, ni une mise de fonds qui effraye la culture. J'ai visité, à Antony, un établissement créé par un tonnelier venu d'Alsace; on pouvait produire par jour un hectolitre d'alcool rectifié au degré du commerce, c'est-à-dire employer 1,000 kilogrammes de betteraves, ce qui correspond à la nourriture de 400 moutons; cet établissement avait coûté 3,000 fr. et occupait deux personnes. Il nous est donc permis d'espérer que dans un temps peu éloigné, les fermes de notre Département auront, par des industries annexées à leur culture, l'emploi judicieux et lucratif des plantes sarclées sur une grande échelle; alors nous ne verrons plus nos champs, d'ailleurs si productifs, déshonorés par les plantes parasites qui consomment aujourd'hui un engrais précieux qui ferait retour en totalité aux plantes cultivées.

Lorsque le drainage, mis en pratique partout où les eaux ne trouvent pas un sous-sol suffisamment perméable, permettra de labourer nos champs en grandes planches, on ne sera plus forcé d'accumuler la terre végétale sur le haut des sillons pour appauvrir le point le plus bas, nos moissons ne présenteront plus ces différences considérables entre les ados et les dernières raies : alors notre culture aura fait encore un grand pas dans la voie du progrès. Au moyen des engrais que vous vous

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