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n'y trouvèrent guère le repos. Après avoir été solennellement déposés à Saint-Étienne-du-Mont, ils furent transférés, en 1793, au Panthéon, sur la proposition de Joseph Chénier; puis, en 1800, au Musée des monuments français, dans l'ancien couvent des Petits-Augustins; enfin, en 1819, à Saint-Germaindes-Prés. Une statue en marbre, exécutée par le comte de Nieuwerkerke, en 1846, lui a été élevée, six ans plus tard, sur l'une des places de Tours.

La Vie de Descartes a été écrite dans le plus minutieux détail par Baillet (Paris, 1691, 2 vol. in-4). Thomas a fait son Éloge en 1765. La principale et la dernière édition complète de ses OEuvres a été donnée par V. Cousin (Paris, 1824-1826, 11 vol. in-8). A part l'Histoire de la philosophie cartésienne, de M. Bouillier, que nous avons citée plus haut, on peut consulter sur Descartes, sa vie, ses écrits, son influence, etc., la consciencieuse édition des OEuvres philosophiques de Descartes, publiée par Ad. Garnier (Paris, 1835, 4 vol. in-8), ou encore les divers articles relatifs aux doctrines cartésiennes de l'excellent Dictionnaire philosophique, de M. Ad. Franck (Paris 1844-1852, 6 vol. in-8).

DISCOURS

DE LA MÉTHODE

POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON

ET CHERCHER LA VÉRITÉ DANS LES SCIENCES.

Si ce discours semble trop long pour être tout lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties: et en la première, on trouvera diverses considérations touchant les sciences; en la seconde, les principales règles de la méthode que l'auteur a cherchée; en la troisième, quelques-unes de celles de la morale qu'il a tirée de cette méthode; en la quatrième, les raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l'âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphysique; en la cinquième, l'ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et particulièrement l'explication du mouvement du cœur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine, puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes; et, en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu'il n'a été, et quelles raisons l'ont fait écrire.

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PREMIÈRE PARTIE.

CONSIDÉRATIONS TOUCHANT LES SCIENCES1.

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée: car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes 2; et ainsi, que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus

1. Ces Considérations touchant les sciences sont empreintes d'une critique fine et railleuse: c'est le tableau ou plutôt la satire de l'état général des connaissances à l'époque de Descartes, et elles ont pour but de faire bien ressortir la nécessité d'une réforme radicale dans toutes les sciences que comprenait alors la dénomination trèsélastique de philosophie.

2. Cet hommage au bon sens, à l'esprit de discernement répandu parmi les hommes était une sorte d'avance faite par Descartes au nouveau public auquel il soumettait les questions philosophiques, réservées jusque-là au jugement des savants de profession. C'est

comme une flatterie à l'adresse du suffrage universel en matière de métaphysique. PortRoyal jugeait bien différemment de la capacité du grand nombre. «Il est étrange, lisons-nous dans le Discours préliminaire de la Logique, combien c'est une qualité rare que cette exactitude de jugement. On ne rencontre partout que des esprits faux qui n'ont presque aucun discernement de la vérité, etc. » Et Pascal, se faisant l'écho, à sa manière et avec son génie, de ces sévères idées, jetait sur un de ces petits papiers qui devinrent le manuscrit des Pensées, cette ligne désolante: « Il y a beaucoup d'esprits faux. »

raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.

Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, où la mémoire aussi ample ou aussi présente que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci qui servent à la perfection de l'esprit car, pour la raison, ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes qui disent qu'il n'y a du plus et du moins qu'entre les accidents et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce1.

Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m'ont conduit à des considérations et des maximes dont j'ai formé une méthode, par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance, et

4. C'est la distinction bien connue de l'essence, qui est le fond commun de tous les individus d'un même genre, et des modifications accidentelles qui varient avec les individus et les circonstances, et conséquemment n'appartiennent pas à

l'essence, immuable de sa nature. On donnait dans la philosophie ancienne, depuis Aristote, et dans l'école, au moyen âge, le nom de forme ou de forme substantielle à ce que nous appelons communément

essence.

(L.)

de l'élever peu à peu au plus haut point auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d'atteindre1. Car j'en ai déjà recueilli de tels fruits, qu'encore qu'aux jugements que je fais de moi-même je tâche toujours de pencher vers le côté de la défiance plutôt que vers celui de la présomption, et que, regardant d'un œil de philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes, il n'y en ait quasi aucune qui ne me semble vaine et inutile, je ne laisse pas de recevoir une extrème satisfaction du progrès que je pense avoir déjà fait en la recherche de la vérité, et de concevoir de telles espérances pour l'avenir, que si, entre les occupations des hommes, purement hommes, il y en a quelqu'une qui soit solidement bonne et importante, j'ose croire que c'est celle que j'ai choisie.

Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n'est peut-être qu'un peu de cuivre et de verre que je prends pour de l'or et des diamants. Je sais combien nous sommes sujets à nous méprendre en ce qui nous touche, et combien aussi les jugements de nos amis nous doivent être suspects, lorsqu'ils sont en notre faveur. Mais je serai bien aise de faire voir en ce discours quels sont les chemins que j'ai suivis et d'y représenter ma vie comme en un tableau, afin que chacun en puisse juger, et qu'apprenant du bruit commun les opinions qu'on en aura, ce soit un nouveau moyen de m'instruire que j'ajouterai à ceux dont j'ai coutume de me servir.

Ainsi mon dessein n'est pas d'enseigner ici la mé

1. Cette modestie de Descartes rapportant ses progrès dans les sciences non à la supériorité propre de son esprit, mais à la bonté de sa méthode, c'est-à-dire de son instrument, rappelle la modestie non moins grande de Bacon, le réforma

teur des sciences naturelles. Celui-ci, au début du Novunorganum, ne s'enorgueillit pas de faire mieux que ses devan◄ ciers il prétend seulement << mieux tracer un cercle avec un compas, qu'un autre ne le pourrait faire avec la main D

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