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La police, qui est l'instrument indispensable des tribunaux, se partage en deux branches, la police de village et la police de district. Dans les communes rurales, elle est le résultat d'une tradition fort ancienne; la police de district est la création régulière et forte de l'administration anglaise. Le village est l'unité responsable pour le recouvrement de l'impôt et pour la découverte des délits commis sur son territoire. Le chef du village est aidé par un veilleur, qui est chargé de l'informer de tout ce qui se passe. Ce veilleur est trop souvent pris parmi les malfaiteurs qu'il doit surveiller; mais il est auprès des habitants une garantie que les récoltes ne seront pas pillées par ses anciens camarades. Le village devait réparer le dommage causé par les criminels que le veilleur avait dénoncés. Cette organisation assez grossière n'a pas été détruite par le gouvernement; mais il l'a modifiée, en mettant les veilleurs ruraux en rapport avec la police du district. Le veilleur était en général rémunéré par un petit lot de terre que le village lui accordait. Aujourd'hui, on cherche à rendre les veilleurs plus vigilants par des gratifications données aux plus fidèles. Leur nomination par les notables du village (Pandchayat) est soumise à l'approbation du chef du district. Les choix sont ainsi plus éclairés et les agents y gagnent en considération.

L'organisation de la police régulière remonte à un siècle, sous lord Cornwallis. Chaque district est divisé en cercles de police. A la tête de chacun de ces cercles est un natif, qui a le droit d'arrêter les coupables et de les livrer au magistrat. On a transféré aux chefs de district les attributions des anciens Zémindars. Le même système a été adopté dans les trois présidences, avec quelques modifications. Sir Charles Napier introduisit dans la police une espèce d'organisation militaire, qui s'étendit presque partout. Aujourd'hui, la police est placée dans chaque province sous la haute autorité d'un inspecteur général; mais le détail de la répression reste entre les mains du magistrat du district. Ses agents principaux sont des Européens, et les subalternes sont des natifs. Dans le Birman et l'Assam, la police est presque entièrement militaire, pour réprimer le brigandage, qui a été si redoutable en 1885 et dans les années suivantes. Au chef-lieu de chaque district, on a formé des réserves de police, toujours prêtes à intervenir en cas de graves désordres; les hommes de ces réserves sont armés de fusils. En 1888 et 1890, le gouvernement a résolu d'augmenter les appointements de tous les employés de la police, et l'on procède successivement à cette amélioration. Les frais de police se sont élevés en 1891 à 26,479,920 roupies; ils étaient en 1881 moindres de trois millions de roupies. Le nombre total des agents était de 152,499. Les constables à pied étaient 106,012. L'ar

mement consistait en armes à feu, sabres et bâtons, répartis presque également.

Les prisons, rangées en trois classes, prisons centrales, prisons de district et prisons subsidiaires, doivent être prochainement réorganisées. Le gouvernement a élaboré un projet qu'il a communiqué aux autorités locales pour avoir leur avis; mais comme ce projet a été conçu postérieurement à la date du rapport décennal, on ne peut rien en dire de précis. Il paraît cependant qu'il se rapprochera beaucoup de l'acte sanctionné en 1865 par le Parlement anglais. D'après les dispositions proposées par la commission spéciale nommée à cet effet, les coupables condamnés à un an et plus seraient enfermés dans les prisons centrales; les condamnés de 15 jours à un an feraient leur temps dans les prisons de district; au-dessous de 15 jours, la peine serait subie dans les prisons subsidiaires. Il y aurait un chapitre spécial pour la transportation. L'inspecteur des prisons centrales est généralement un médecin, délégué à ce titre. Il en est de même pour les prisons de district. Pour la direction intérieure des prisons, on choisit fréquemment d'anciens détenus qui ont donné des garanties de bonne conduite, mais qui ne sont pas du pays.

La transportation a lieu à Port-Blair dans les îles Andamans. Il ne paraît pas que cette peine soit aussi efficace qu'on le désirerait; on pense à rendre la discipline plus rigoureuse et à ne plus laisser autant de facilités aux coupables. Il y en avait qui, sur les profits de leur travail, pouvaient envoyer de riches cadeaux à leurs anciens camarades dans l'Inde. En 1892, le nombre des transportés était de 11,356, dont les trois quarts condamnés à vie.

En général, les prisons dans l'Inde sont assez mal tenues et les évasions sont fréquentes. Depuis deux ans, on cherche les moyens de rendre la surveillance plus efficace. On a fondé des écoles pour les jeunes détenus, et les résultats obtenus depuis deux ans paraissent satisfaisants. On a également amélioré l'hygiène des maisons de détention. La mortalité y a diminué en dix ans de 42 à 30 par mille. D'ailleurs, le nombre total des détenus était à peu près revenu en 1891 à ce qu'il était dix ans auparavant, après avoir diminué en 1884 et 1887. Les femmes détenues étaient au nombre de 24,993.

Un chapitre fort intéressant du rapport décennal est celui qui concerne l'armée et la marine. A la fin de l'année 1892, les soldats européens étaient au nombre de 73,000, et les natifs au nombre de 147,500. y avait 9 régiments de cavalerie et 88 batteries d'artillerie, le régiment comptant 631 chevaux et la batterie 162 hommes. Pour chacun

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des 122 bataillons d'infanterie de natifs, c'étaient huit officiers européens qui avaient le commandement. Les sapeurs et les mineurs formaient 21 compagnies spéciales. Dans ces dernières années, beaucoup de mesures ont été prises pour l'hygiène des troupes, pour le service médical, pour le contrôle des approvisionnements de tout genre, pour les constructions et travaux militaires, et pour l'état-major, placé sous les ordres du gouverneur général. On s'est occupé aussi beaucoup d'améliorer l'organisation des troupes indigènes.

A l'imitation de ce qui s'est passé en Angleterre il y a trente ans, il s'est formé des corps de volontaires offrant leurs services gratuits. Ce mouvement, qui a commencé à Nagpour et dans le Bihar, s'est propagé; le gouvernement l'a secondé dès 1885, et aujourd'hui les volontaires inscrits sont au moins 27,000, dont 23,000 sont d'un service fort utile, comme on l'a vu en 1891 dans l'insurrection de Manipour. D'ailleurs, durant la décade, l'armée de l'Inde dirigée par le gouvernement central n'a pas eu à faire d'expédition considérable. Elle n'a eu qu'à réprimer quelques désordres sur les frontières, et elle a parfaitement rempli son devoir. Les forces européennes et indigènes sont réparties surtout entre le Bengale, le Pandjab et Bombay. Il y a près de 10,000 hommes à Quettah, dans l'Afghanistan. La dépense pour toute l'armée se montait en 1891 à 225,807,390 roupies, dont 68,396,777 étaient à la charge de l'Angleterre.

Si l'on se reporte à deux cents ans en arrière, on pourra mesurer par un seul chiffre les progrès de la puissance anglaise dans la presqu'ile. En 1681, toute la force militaire de la Compagnie des Indes consistait en un poste de 20 hommes sur l'Oughli, qu'autorisait le nabab de Mourshidabab.

Depuis 1863, la marine indienne n'est plus chargée que de services secondaires. La défense des côtes est confiée à la marine royale, qui doit défendre aussi le golfe Persique. D'ailleurs, les deux administrations ont été confondues presque complètement. Bombay est le centre de la marine indienne. C'est là que réside le directeur, qui a un sous-directeur à Calcutta. Durant la décade, le gouvernement central n'a pas cessé de perfectionner les deux services; ils se sont signalés à l'envi l'un de l'autre dans l'expédition faite en 1885 sur les côtes de la haute Birmanie.

Le rapport décennal donne peu de détails sur les deux marines royale et indienne; et, par exemple, il n'indique pas le nombre précis des bâtiments employés dans toutes les deux. Il est vrai que ce sont là des détails de pure statistique.

Le budget de l'Inde est préparé chaque année par un des membres

du conseil du gouverneur général. L'année financière est la même que celle du Royaume-Uni, et le projet est publié aussi vers la fin de mars. Les dépenses et les recettes sont calculées sur les résultats des huit mois précédents. Ce document est soumis aussitôt que possible à la Chambre des communes, et le Parlement le discute dans le cours de la session. La question monétaire a suscité de grandes difficultés depuis cinq ou six ans; mais en somme les finances indiennes sont en bon état, et les recettes l'emportent sur les dépenses. Depuis le rapport de M. Baines, qui s'arrête à 1892, il a été fait une grande réforme dans la constitution des forces militaires. En 1893, on a organisé une seule armée indienne, au lieu des trois armées séparées dans chaque présidence. Cette armée unique a un commandant en chef, avec quatre lieutenants généraux dans les trois présidences et dans les provinces Nord-Ouest, y compris le Pandjab. Depuis un an, on n'a qu'à s'applaudir de cette concentration, réclamée dès longtemps.

Dans ces dernières années, le gouvernement s'est surtout appliqué à fortifier les frontières de sa colonie. Les vice-rois lord Dufferin et lord Lansdowne ont donné tous leurs soins à rendre la presqu'île le moins vulnérable possible sur les points où elle peut être attaquée. Les défenses des grands ports ont été assurées: Calcutta, Bombay, Kurrachi, Rangoon, Quettah du côté de l'Afghanistan, Attock au nord de l'Indus, Sikkarpour au midi, sont devenus des places presque imprenables, en même temps que ce sont des têtes de pont. Rawal-Pindi et Moultan sont l'objet de travaux immenses, qui sont presque achevés. En un mot, la défense de l'Inde par elle-même est assurée, en attendant les secours de toute espèce que lui enverrait la métropole en cas de conflit.

BARTHÉLEMY-SAINT HILAIRE.

(La suite à un prochain cahier.)

Paris, Gaston Bruno Paulin

LES SOURCES DU ROMAN DE RENARD, par Léopold Sudre, professeur au collège Stanislas. Paris, E. Bouillon, 1893, in-8°, vIII354 pages.

QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE (1).

IV

Voilà donc la part des contes populaires dans ce qui fait le fond du Roman de Renard, la lutte entre Renard et Isengrin. Elle est considérable, et si on la supprimait le cycle manquerait de quelques-uns de ses traits essentiels. Mais elle ne le constitue pas tout entier : dans toutes ses formes, depuis la plus ancienne qui nous soit parvenue, l'Ysengrimus, un autre élément est intimement mêlé au premier, un élément qui ne saurait provenir de contes nés dans nos pays à une époque quelconque, et dont l'origine exotique se trahit à première vue par le fait que les récits qui le constituent ont pour personnage central le lion, considéré comme roi des animaux (2). Cet élément a-t-il été, comme le dit Kolmatchevsky, « le punctum saliens de l'épopée animale », ou les premiers récits qui l'ont créée en donnant à quelques animaux des noms d'hommes l'ignoraient-ils encore et se bornaient-ils à réunir en un petit cycle, consacré à la guerre de Renard et d'lsengrin, des contes d'animaux traditionnels et quelques fictions nouvelles? C'est ce que nous ne pouvons savoir, les plus anciens monuments, latins ou français, du cycle étant irréparablement perdus. Toutefois, je suis porté à croire, comme je l'ai déjà dit, que le lion était étranger aux premières formes du roman : c'est ce que semble indiquer la différence des noms qu'il porte dans l'Ysengrimus et dans le Renard, ainsi que la date visiblement peu ancienne de ces deux noms (Rufanus et Noble). Il me paraît probable qu'une petite épopée, latine ou romane, consacrée à la guerre d'Isengrin et de Renard, dans laquelle n'apparaissait pas encore le lion, s'est, à un certain moment, fondue avec un récit de provenance gréco-orientale: ce

(1) Voir pour les premiers articles les cahiers de septembre, octobre et décembre 1894.

(2) Aussi Jacob Grimm, qui voyait dans le Roman de Renard une ancienne Thiersage germanique, s'est-il efforcé

de démontrer qu'elle avait primitivement existé sous une forme où l'ours remplaçait le lion comme roi des animaux; mais cette thèse a été complètement détruite par la critique subséquente.

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