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gation et le doute. L'heure du doute viendra et ce sera une heure critique et périlleuse. S'il vient avant l'heure, il est mortel. Vous écartez Dieu et vous dites: Je ne le nie pas; j'essaye seulement de faire une morale en me passant de lui. Pour nous qui professons d'autres principes, nous pensons que l'homme ne se passe jamais de Dieu; mais nous pensons aussi que, quelle que soit la volonté de ceux qui séparent la religion de l'éducation, l'enfant ne voit, dans cette séparation, qu'une négation.

Il n'y a pas un pédagogue digne de ce nom qui ne soit préoccupé de l'enseignement de la philosophie et de la morale dans les collèges. C'est une étude très nécessaire et très inquiétante. Elle doit enseigner à croire, elle peut enseigner à douter. On l'a retardée avec raison jusqu'à la dernière heure des études classiques. Toutes les études antérieures, celles surtout des humanités, ont préparé l'élève à cette étude suprême qui résume et consacre toutes les autres. On ne néglige rien pour éviter les écueils. Une surveillance exacte, qui semble s'adresser eux élèves, s'exerce en réalité sur les maîtres. Ils seraient avertis au moindre écart. On ne les investit de leur charge qu'après avoir attentivement étudié leurs doctrines et leur âme. La charge qu'ils exercent est la délégation la plus directe de l'autorité familiale.

Combien la mission est plus redoutable encore quand on descend de plusieurs degrés dans l'échelle de l'éducation et dans celle des âges! On descend aussi dans l'échelle de la hiérarchie : ce n'est plus un agrégé de philosophie qui va parler; c'est un maître d'école qui a été interrogé sur l'orthographe et l'arithmétique. Je ne m'exagère pas la valeur des examens et des diplômes; mais je me demande où le fonctionnaire qui choisit le chef d'une école est allé le chercher. A-t-il pu l'étudier de près? Peut-il répondre de la rectitude de son jugement? Est-il au courant de toutes ses pensées ? C'est à peine si un père peut répondre des sentiments d'un fils qu'il n'aurait pas quitté pendant vingt-cinq ans. J'admets cependant, je sais qu'on arrive à choisir des maîtres avec une entière sécurité. Ils ne donneront que de bons préceptes et de bons exemples. Il sera bon et salutaire de vivre de leur vie. Qui nous garantira contre leurs écarts, s'ils dogmatisent? L'esprit le plus pénétrant ne voit pas toujours les conséquences d'un principe. Une erreur a quelquefois toutes les apparences de la vérité. C'est tout au plus si la plupart des auteurs de traités de morale à l'usage des enfants connaissent assez leur sujet pour en avoir peur. Celui qui a fondé l'Université de France n'était pas, tant s'en faut, un chrétien docile. Il a maltraité et brutalisé l'Église. Il n'en a pas moins écrit dans le préambule de la loi de 1802 : « L'Université

prendra pour base de son enseignement la doctrine chrétienne. » Ce voisinage le rassurait, comme il rassurait aussi les maîtres.

On n'enseignera donc plus la morale que dans les classes de philosophie, au lycée ou au collége? elle disparaîtra des écoles primaires? Tout au contraire, elle sera enseignée partout, par des préceptes, des modèles, des exemples, au cours des autres enseignements, sans appareil dogmatique, comme enseigne une mère. Là directrice d'un asile ou d'une crèche sera en réalité professeur de morale. L'enfant n'entendra que de bonnes maximes. On ne lui racontera que de belles actions. Quand il apprendra à épeler, il apprendra en même temps à admirer. Les modèles d'écriture qu'on lui fera copier seront bons à retenir. Je sais encore aujourd'hui ceux qu'on me faisait copier il y a plus de soixante-dix ans. Je ne sais d'où ils viennent; je sais qu'ils exercent encore de l'autorité sur mon esprit. Je ne voudrais pas leur désobéir. Tout est occasion d'enseignement moral pour une mère attentive, pour des parents, pour des professeurs. Les actes mêmes de la vie publique enseignent le devoir. On a des chants patriotiques pour l'exalter, des cérémonies et des statues pour récompenser les grands hommes. La nation commence ses institutions par ces paroles : « En présence de Dieu, le peuple français décrète... » Dieu nous enveloppe de toutes parts; le devoir nous conduit. Nous apprenons chaque jour la douceur du sacrifice. L'humanité par l'éducation cesse d'être une agglomération; c'est une famille.

Les devoirs de la grande famille commencent en même temps que ceux de la famille naturelle. Comment penser sans émotion aux premiers contacts de l'homme qui vient de naître avec l'humanité! Cela se passe d'abord entre l'enfant et la mère, et pendant bien des jours et bien des années, quand tous les autres personnages auront apparu sur la scène du monde, ce sera encore la mère qui, aux yeux de l'enfant, la remplira. Elle appelle Dieu en tiers dès le premier souffle et le premier regard. Prenez bien garde, philosophes, que ce Dieu-là est le vrai Dieu.

JULES SIMON.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT NATIONAL DE FRANCE.

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DES CINQ ACADÉMIES.

La séance publique annuelle des cinq Académies a eu lieu le jeudi 25 octobre 1894, présidée par M. Loewy.

Après le discours du président, il est donné lecture du rapport sur le concours Volney. Le prix est décerné à M. E. Masqueray, pour son Dictionnaire français-touareg (dialecte taitoq).

La Commission décernera, en 1895, une médaille de 1,500 francs au meilleur ouvrage de philologie comparée qui lui aura été adressé. L'étude partielle ou d'ensemble, au point de vue comparatif et surtout historiquement comparatif, d'un ou de plusieurs idiomes, et celle d'une famille entière de langues, seront également admises à concourir.

Les manuscrits et les ouvrages imprimés seront admis au concours; ces derniers, pourvu qu'ils aient été publiés depuis le 1" janvier 1894. Ils ne seront reçus que jusqu'au 1 avril 1895, au secrétariat de l'Institut.

La séance est terminée par la lecture des morceaux suivants :

Un précurseur de la Pléiade; Maurice Scève, par M. Brunetière, délégué de l'Académie française.

Le bas-relief pittoresque dans l'art alexandrin, par M. Collignon, délégué de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

Notice sur le graveur Robert Nanteuil, par M. Duplessis, de l'Académie des beaux

arts.

Le salaire aux États-Unis, par M. Levasseur, délégué de l'Académie des sciences morales et politiques.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Tome IX de la bibliothèque de l'Arsenal. Paris, Plon, 1894, in-8°.

Cette seconde partie du neuvième tome du catalogue des manuscrits de l'Arsenal contient la table alphabétique des Archives de la Bastille, faite avec le plus grand

soin par M. Frantz Funck-Brentano. Les noms propres qui figurent dans cette table sont au nombre de 60,000 environ; mais on ne s'en étonne pas quand on apprend que M. Funck-Brentano a dû successivement dépouiller plus de 500,000 pièces. La tâche était, nous dit-il, difficile, Nous le croyons et nous le félicitons de l'avoir si promptement menée à bonne fin.

AUTRICHE.

Dvě Verse starofrancouzské legendy o sv. Katerine Alexandrinské. Vydal Jan Urban Jarník. Prague, impr. de l'Académie impériale tchèque, 1894, in-4°.

Voici le premier ouvrage de philologie française qui paraisse en tchèque. Il est dû au zèle et au savoir de M. Jarník (ancien élève de notre Ecole des hautes études, aujourd'hui professeur de philologie romane à l'université tchèque de Prague, et déjà connu par d'excellents travaux sur le roumain et par le méritoire index du Dictionnaire étymologique de Diez). M. Jarník a voulu publier un texte français inédit et l'accompagner d'un ample commentaire, dans lequel il exposerait pour les étudiants tchèques l'ensemble des résultats auxquels est arrivée aujourd'hui l'étude de notre ancienne langue. Des circonstances particulières, qu'il rappelle dans sa préface, lui ont fait porter son choix sur une Vie de sainte Catherine, qui présentait en effet un réel intérêt. On n'a connu longtemps de ce poème qu'un manuscrit rédigé en dialecte picard. L'auteur paraissait être une sœur Dimence, religieuse d'un monastère de Berchinge dont on cherchait en vain le nom dans nos provinces du Nord. Mais une copie beaucoup plus ancienne, présentant toutes les formes habituelles de l'anglonormand, en a été signalée, il n'y a pas longtemps, dans un précieux manuscrit qui contient aussi une des copies du Saint Alexis, et qui, après avoir été soustrait par Libri à la bibliothèque de Tours et vendu à lord Ashburnham, a été racheté par la France et appartient maintenant à la Bibliothèque nationale. On y voit que la pieuse rédactrice s'appelait Climence, et qu'elle était nonne dans le monastère de Berechinge (aujourd'hui Barking, près de Londres). M. Jarník a imprimé les deux manuscrits en regard l'un de l'autre, et a étudié, avec le soin le plus minutieux, les changements qu'on a faits au texte anglo-normand pour lui donner, sans y réussir toujours parfaitement, les formes du langage usité en Picardie au XIII° siècle. On comprend tout ce que cette comparaison a d'instructif; on remarquera notamment les efforts du remanieur continental pour rétablir partout la déclinaison à deux cas, déjà presque abolie pour le poète insulaire. Le manuscrit de Tours est sans doute encore du XII° siècle; le poème de Clémence appartient à coup sûr à ce siècle, et il est fort intéressant de remarquer que ce poème n'était déjà qu'un rifacimento. « La vie de sainte Catherine, dit Clémence, avait jadis été traduite, et, pour le temps, cette traduction était bien faite; mais alors les gens n'étaient pas si difficiles ni si subtils qu'ils le sont aujourd'hui, et ils le deviendront plus encore après nous. A cause de la marche du temps et du changement du goût, l'ancienne rime est aujourd'hui méprisée, parce qu'en maint endroit elle semble incorrecte. Il faut donc la corriger, et prendre le temps et les gens comme ils sont. Je n'entreprends pas de l'amender par orgueil, et je ne demande pas pour cela de louanges: celui-là seul doit en être loué de qui je tiens mon pauvre savoir. » L'ancien poème était sans doute en assonances, et le travail de sœur Clémence a dû principalement porter sur la rime. Il serait curieux de pouvoir comparer son renouvellement à l'œuvre originale, comme nous la comparons au remaniement picard; mais le temps nous a envié cette œuvre, que le poème même de Clémence a dù contribuer à faire disparaitre.

Les textes publiés par M. Jarník sont imprimés avec une exactitude irréprochable et, comme le montre la ponctuation, avec une parfaite intelligence. Un glossaire absolument complet termine le volume, et je ne doute pas que l'interprétation des mots ne soit donnée avec soin et avec justesse. Je ne puis malheureusement en juger, non plus que du commentaire : l'un et l'autre sont rédigés en tchèque; ce que, vu leur destination, on ne peut évidemment qu'approuver. Dans ce volume de quatre cents pages in-quarto, les textes (y compris celui de la Vie latine où M. Jarrík a retrouvé la source du poème) n'occupent que quatre-vingts pages; le reste est rempli par le travail personnel de l'éditeur : c'est dire avec quelle conscience M. Jarník a exécuté sa tâche. Nous ne pouvons que le remercier vivement, ainsi que l'Académie de Prague, qui a pris sous ses auspices cette belle publication et en a fait somptueusement les frais. G. P.

TABLE.

La vie et l'œuvre de Platon. ( 2° article de M. Ch. Lévêque.)....
Traité de mécanique rationnelle. (Article unique de M. J. Bertrand.)..
Les sources du Roman de Renard. (2o article de M. Gaston Paris.).
Prévost-Paradol. Étude suivie d'un choix de lettres. (2° article de M. P. Janet.). .

La Morale enseignée aux enfants et aux ignorants. (Article unique de M. J. Simon.)..
Nouvelles littéraires, .

Pages.

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