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Quant aux larves de Rhizophagus, elles étaient encore en pleine activité, et, dit M. Mégnin, nous en avons récolté un grand nombre de très vivantes ainsi que quelques individus à l'état parfait.

« Comment ces divers insectes arrivent-ils sur des corps inhumés à deux mètres de profondeur et enfermés dans des cercueils aux planches assez bien jointes?

« Nous devons dire tout de suite, relativement à ces cercueils, que l'humidité et la poussée des terres provoquent très vite une torsion des planches et que de larges voies de pénétration se produisent, ainsi que nous l'avons constaté. »

Un fait curieux a fait découvrir de quelle manière les larves de Calliphores et surtout de Curtonèvres arrivent sur les cadavres. Les corps inhumés pendant l'été seuls en présentaient des restes, tandis que ceux inhumés pendant l'hiver en étaient totalement dépourvus, bien qu'ils présentassent des chrysalides d'Anthomyies et de Phoras, et de nombreuses larves très actives de Rhizophages.

Ce fait prouve que les oeufs de ces Diptères sont déposés dans les ouvertures naturelles avant l'ensevelissement et que les larves se sont développées ensuite dans la bière. Ces mouches sont en effet très communes dans les chambres des malades et dans les salles des hôpitaux pendant la saison chaude; elles disparaissent pendant l'hiver.

Quant aux Phora et aux Rhizophages trouvés en pleine vie sur des cadavres inhumés depuis deux ans, il faut forcément admettre que leurs larves proviennent d'œufs pondus à la surface du sol par ces insectes, attirés par des émanations particulières; que les larves qui sont sorties de ces œufs ont traversé toute la couche de terre qui les sépare du cadavre, et que, dirigées par leur odorat, elles sont ainsi arrivées à la surface du cadavre. S'agit-il de noyés, M. Mégnin montre que même des crustacés qui s'attachent aux cadavres immergés peuvent servir à déterminer approximativement l'époque de la mort :

« Le 23 juin 1851, on trouva un cadavre dans la rade de Marseille. Quelle pouvait être la durée de submersion?

"

Les tissus du crâne et de la face étaient détachés et flottants, les articulations du coude droit, des deux poignets, des phalanges des doigts étaient plus ou moins largements ouvertes, les débris des vêtements qui recouvraient le cadavre étaient parsemés de coquillages plus ou moins solidement implantés. C'étaient des Crustacés cirrhipèdes (Marion et Jourdan). Ces animaux se fixent, vers les mois d'avril ou de mai, sur les objets flottants à la surface de l'eau. Ceux qui s'observaient sur le corps étaient de dimensions différentes, permettant d'affirmer qu'ils

appartenaient à deux générations différentes. D'après ces données, on dut admettre que le cadavre flottait depuis treize mois environ; avec les quinze jours nécessités pour le retour à la surface du cadavre, d'abord profondément immergé, on a une durée de séjour dans l'eau d'environ quatorze mois. Ce fait démontre que dans de pareilles ciconstances encore la zoologie peut venir en aide à la médecine légale. »

Les phénomènes de la décomposition des cadavres, suivant qu'ils sont exposés à l'air libre ou suivant qu'ils sont inhumés, présentent des différences capitales; le rôle des insectes dans le second cas est quelquefois beaucoup moins marqué.

Si la température atmosphérique, l'hygrométricité de l'air, la succession des saisons étaient constamment d'une régularité parfaite, de manière que la succession des fermentations fût elle-même parfaitement régulière, la loi de succession des travailleurs de la mort découverte par M. Mégnin serait d'une application pour ainsi dire mathématique, en tant, du moins, qu'il s'agirait de cadavres présentant des masses charnues du même poids, car il a été constaté que, dans de petits cadavres, les phénomènes de chimie biologique post mortem se succèdent sensiblement plus vite que dans les grands.

Il y a donc lieu de tenir compte non seulement du volume du corps, mais de toutes les causes qui peuvent influer sur l'activité des fermentations et, par suite, sur la rapidité de la succession des catégories de travailleurs. Le problème n'est donc pas aussi simple ni aussi facile à résoudre qu'on pourrait le croire.

M. Mégnin, venant à s'occuper des applications de ses études à la médecine légale, commence par rappeler une intéressante observation due au D' Bergeret, faite à Arbois le 22 mars 1850, au sujet du corps d'un enfant nouveau-né qu'on avait découvert dans une cheminée. Le corps était momifié, comme il arrive lorsqu'il se trouve placé dans un milieu très sec où l'air ne se renouvelle pas. Tous les viscères étaient détruits; pourtant l'examen des débris d'insectes permit de préciser très approximativement l'époque de la mort. Cependant les notions entomologiques de l'auteur étant insuffisantes, il n'est pas possible d'accorder une valeur à ses conclusions.

M. Brouardel, sollicité d'émettre un avis au sujet d'une momie d'enfant. s'exprimait ainsi dans les Annales d'hygiène et de médecine légale :

« Nous fùmes commis, le 13 janvier 1878, par M. le procureur de la République à l'effet de procéder à l'autopsie d'un cadavre de nouveauné, trouvé dans un terrain vague de la rue Rochebrune. Le cadavre est celui d'un enfant du sexe féminin. Il est complètement desséché. Il est

transformé en une véritable momie. Sur la peau et dans les cavités du crâne fourmillent une quantité d'Acariens, que l'on distingue nettement à la loupe, et de larves d'insectes. >>

M. le D' Brouardel ayant fait appel aux lumières de M. Mégnin, voici quel fut le résultat de l'examen : « La momie d'enfant est couverte d'une couche pulvérulente composée de dépouilles d'Acariens. A la surface du corps je n'ai pas trouvé d'Acariens vivants; mais dans l'intérieur du crâne, il y en avait une colonie nombreuse et pleine d'activité. Tous ces Acariens appartiennent à une seule espèce, le Tyroglyphus longior. Le moment où la momie d'enfant a été exposée à l'air est donc éloigné du moment actuel de trois mois au moins, plus le temps nécessaire à la formation des matières grasses, ce qui porte l'exposition à l'air à six ou huit mois au plus. »

Dans une autre circonstance, il s'agit du corps d'un enfant de sept ou huit ans, trouvé, dans le courant de l'année 1882, dans un caisse à savon, et complètement desséché, dans un logement du quartier du Gros-Caillou, qui avait été habité par sa mère, une femme de mauvaises mœurs.

Dans son rapport, M. Mégnin fait les déclarations suivantes :

« Au milieu des étoffes dont le corps était enveloppé, on trouve une quantité innombrable de coques de lymphes, ou chrysalides de Diptères. Presque toutes les coques sont vides; pourtant quelques insectes parfaits, morts au moment où ils allaient sortir de leur coque, permettent d'en déterminer l'espèce. Les plus grandes de ces coques ont été laissées par le Sarcophaga laticrus et les plus petits par la Lucilia cadaverina. »

Après l'examen des Dermestes lardarius, dont le nombre de dépouilles est assez considérable, M. Mégnin a constaté la présence d'Anthrènes et de nombreuses générations d'Acariens.

Ce sont donc deux belles saisons successives qui se sont passées depuis la mort du jeune enfant, qui, en conséquence, remonte à environ deux ans.

Le 26 janvier 1883, une ordonnance de M. Guillot, juge d'instruction, chargeait M. le D' Descout et M. Mégnin de rechercher, s'il était possible, les causes ou tout au moins l'époque de la mort d'un enfant nouveau-né qu'on venait de trouver desséché au fond d'un placard, dans une maison du faubourg du Temple.

D'après l'examen des différents insectes qui avaient rongé le corps, M. Mégnin déclara que la mort remontait à environ un an et qu'elle avait eu lieu avant le printemps de 1882. La mère de cet enfant, qui était une servante, a avoué qu'il était effectivement mort au mois de fé

vrier de cette année-là, et voici ce que M. Descout écrivait à M. Mégnin au mois de mars 1883:

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Je vous annonce que l'appréciation que vous avez faite de la date de la mort de l'enfant est tout à fait exacte. La mère de l'enfant a été arrêtée et elle a avoué être accouchée le 3 février 1882. »

Le 10 décembre 1888, on trouva dans une chambre de Paris, assis dans un fauteuil, le cadavre, en partie desséché, d'un homme qui avait probablement été frappé d'apoplexie. M. Mégnin fut chargé, par l'examen des insectes et de leurs débris, de déterminer approximativement l'époque à laquelle remontait la mort.

M. Mégnin estima que la mort remontait au milieu de l'hiver précédent, en janvier ou février.

Les renseignements obtenus par la police portent en effet que le sujet avait disparu après la première quinzaine de janvier.

Le 15 janvier 1890, M. Mégnin fut chargé d'examiner un cadavre d'enfant trouvé à la gare de Lyon, afin de déterminer l'époque à laquelle remontait la mort. Ce cadavre était entièrement desséché, réduit à l'état de momie. M. Mégnin acquit la preuve que deux hivers s'étaient écoulés depuis la mort de l'enfant et que cette mort remontait au moins à l'automne de 1888.

Le 15 mars 1890, sur l'invitation de M. le professeur Brouardel, M. Mégnin a procédé à l'examen d'une tête humaine coupée, enveloppée dans un jupon de laine et trouvée dans les colis de rebut de la gare de Bercy. M. Mégnin a pu reconnaître que la mort du sujet auquel appartenait la tête remontait à l'automne de l'année 1888.

Les circonstances dans lesquelles M. Mégnin put servir la cause de la médecine légale et venir ainsi en aide aux opérations de la justice sont si nombreuses que nous ne pouvons les énumérer toutes.

Au milieu de toutes les applications chaque jour plus variées de la science, nous croyons avoir suffisamment fait ressortir le caractère d'une de ces applications bien inattendue venant servir un puissant intérêt dans les sociétés humaines.

ÉMILE BLANCHARD.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT NATIONAL DE FRANCE.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

L'Académie des sciences, dans la séance du 11 février 1895, a élu M. Guignard, membre de la section de botanique, en remplacement de M. Duchartre.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

F. Gregorovius. Promenades en Italie, traduit de l'allemand, avec une préface de Emile Gebhart, professeur à la Faculté des lettres de Paris, 1 vol. in-18 de xIx290 pages. Hachette et Ci, Paris, 1894.

L'Histoire de Rome au moyen âge, par Ferdinand Gregorovius, est un des grands monuments de l'érudition historique en notre siècle. Elle s'étend de la chute du premier empire romain au sac de Rome en 1527. C'est, avant tout, l'histoire de Rome, c'est-à-dire des révolutions dont Rome a été le théâtre, à partir de l'invasion des barbares; mais, du même coup, c'est l'histoire de la papauté, y compris celle d'Avignon, de la société féodale de Rome, des ordres religieux, des hérésies, puis des cités et des provinces de l'Italie, au point de vue des crises politiques. Gregorovius, qui a connu l'aspect pittoresque de Rome mieux qu'aucun autre archéologue. expose, pour chaque siècle, ou chaque période notable, l'évolution architecturale de la ville. Sous le titre d'Années de voyage en Italie, il avait réuni les études particulières sur les différents sites de la Péninsule qu'il avait faites en vue de sa grande histoire. De ce volume une personne de haute intelligence, écrivant notre langue d'une manière sûre, ferme et pourtant souple, et qui veut rester inconnue, a traduit cinq fragments du plus captivant intérêt: Le Ghetto, Subiaco, Ravenne, les monts Volsques, la campagne romaine. Elle a rendu, avec une exactitude que son sentiment poétique colore sans l'altérer, avec l'accent de quelqu'un qui aurait accompagné l'auteur pas à pas, le caractère des ruines, des temps, des paysages de cette Italie morte que la puissance évocatrice de Gregorovius fait apparaitre vivante devant notre esprit. Je connais tel brillant artiste, revenu depuis bien des années de la Villa Médicis, qui, à la lecture de ce livre, a senti renaître agrandies, avivées, les fécondes

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