Page images
PDF
EPUB

5

ΙΟ

15

20

Nous ne sommes plus en querelle:

Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse:
Ne me retarde point, de grâce;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer,

Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir,
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.

- Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle

De cette paix;

Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers

Que pour ce sujet on envoie:

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.

Je descends: nous pourrons nous entre-baiser tous. 25 Adieu, dit le renard; ma traite est longue à faire: Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois.» Le galant aussitôt

Tire ses grègues, gagne au haut,

the cock's friend, the dog. But in La Fontaine the decree of peace and other features are medieval in origin, and he probably derived them from Poggio's Latin version, De Gallo et Vulpe. In the beastepics and in some fable-books there are tales more or less similar; the most interesting version is Chaucer's Nun's Priest's Tale. See K. O. Petersen, On the Sources of the Nonne Prestes Tale (Radcliffe College Monographs, no. 10); and Sainte-Beuve, Le Roman de Renart, in Causeries du Lundi, vol. VIII.- -8 postes: the distance between stations was ordinarily reckoned at two leagues. - 12 feux: for a celebration.

[ocr errors]

30

Mal content de son stratagème.

Et notre vieux coq en soi-même

Se mit à rire de sa peur;

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

5

ΙΟ

15

15. Le Meunier, son Fils, et l'Ane

L'INVENTION des arts étant un droit d'aînesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce;
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes;
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé:
Autrefois à Racan Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins
(Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins),
Racan commence ainsi : « Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,

Qui par tous ses degrés avez déjà passé,

32 tromper le trompeur: cf. Poggio: "Hoc pacto dolus illusus est dolo."

Le Meunier, son Fils, et l'Ane, livre III, fable 1. La Fontaine found this fable in prose in Racan's Vie de Malherbe (see note below), and put it into verse for his friend Maucroix when the latter asked him for some advice. As is implied in the first four lines, it was not a classical fable; but several Latin versions of the Renaissance period are known, one of which (perhaps that of Poggio, Facetiae no. 100) was the quelque endroit of line 27.—8 The biography of Malherbe (15551628) was written by his friend and disciple Racan (1589-1670). Since both were poets, La Fontaine calls them rivals of Horace.

20

25

30

35

40

45

Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé,

A quoi me résoudrai-je? Il est temps que j'y pense.
Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance:
Dois-je dans la province établir mon séjour,

Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour?
Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes :
La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes.
Si je suivais mon goût, je saurais où buter;

Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter.>>
Malherbe là-dessus: « Contenter tout le monde!
Écoutez ce récit avant que je réponde.

« J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils,
L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur âne, un certain jour de foire.
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,

On lui lia les pieds, on vous le suspendit;

Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre!

Le premier qui les vit de rire s'éclata:

« Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?

« Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense.» Le meunier, à ces mots, connaît son ignorance;

Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.

L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller,

Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure;
Il fait monter son fils, il suit, et d'aventure

Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put:

<< Oh là oh, descendez, que l'on ne vous le dise,
<< Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise!

32 vous is expletive, and serves merely to enliven the style. 45 que

dise: see dire.

50

55

60

65

70

« C'était à vous de suivre, au vieillard de monter.

- « Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter.»> L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte, Quand trois filles passant, l'une dit : « C'est grand'honte « Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,

<< Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,

<<< Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage.

[ocr errors]

<«< Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge:
<< Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez.>>
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe

Trouve encore à gloser. L'un dit : « Ces gens sont fous!
« Le baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups.
« Hé quoi? charger ainsi cette pauvre bourrique!
<< N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique?
« Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau.
<< Parbieu! dit le meunier, est bien fou de cerveau
« Qui prétend contenter tout le monde et son père.
<< Essayons toutefois si par quelque manière

« Nous en viendrons à bout.» Ils descendent tous deux.
L'âne se prélassant marche seul devant eux.

Un quidam les rencontre, et dit : « Est-ce la mode
«Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode?
« Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser?
« Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.
«Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne.

[ocr errors]

50 grand'honte, like grand'mère, recalls the fact that grand (Latin grandis) had originally only one termination for both masculine and feminine. 55 la fille: notice the colloquial use of the definite article in speaking to a person. — 63 The redundant que would be necessary if the sentence began: Il n'y a pas de doute, etc. So we can say either peut-être or peut-être que in beginning a clause.-65 tout... père: a proverbial expression. ·71 qui...du maître : i.e., which of

the two.

75

80

5

ΙΟ

<< Nicolas, au rebours; car, quand il va voir Jeanne,
<< Il monte sur sa bête; et la chanson le dit.
<< Beau trio de baudets! >> Le meunier repartit:

« Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue;
<< Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
« Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien,
« J'en veux faire à ma tête.» Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le Prince,
Allez, venez, courez; demeurez en province;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement:
Les gens en parleront, n'en doutez nullement.»>

16. Les Grenouilles qui demandent un Roi

LES grenouilles, se lassant

De l'état démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique:
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,

Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,

S'alla cacher sous les eaux,

Dans les joncs, dans les roseaux,

Dans les trous du marécage,

[ocr errors]

74 A verb may be supplied after Nicolas.-75 la chanson: a popu

lar song, which runs

81 quant à vous:

fable to Racan.

in part as follows:

Adieu, cruelle Jeanne;

Si vous ne m'aimez pas,

Je monte sur mon âne, etc.

Malherbe concludes by applying the moral of the

Les Grenouilles qui demandent un Roi, livre III, fable 4. Aesop (Halm 76); Phaedrus, I, 2.

« PreviousContinue »