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FABLE XVII.— (159.)

L'Ane et le Chien.

Il se faut entr'aider, c'est la loi de nature.
L'âne un jour pourtant s'en moqua:
Et ne sais comme il y manqua;
Car il est bonne créature.
Il alloit par pays, accompagné du chien,
Gravement, sans songer à rien;

Tous deux suivis d'un commun maître.
Ce maître s'endormit. L'âne se mit à paître :
Il étoit alors dans un pré

Dont l'herbe étoit fort à son gré.

Point de chardons pourtant, il s'en passa pour l'heure:
Il ne faut pas toujours être si délicat;

Et, faute de servir ce plat,
Rarement un festin demeure.
Notre baudet s'en sut enfin

Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,
Lui dit: Cher compagnon, baisse-toi, je te prie,
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.
Point de réponse; mot: le roussin d'Arcadie
Craignit qu'en perdant un moment

Il ne perdît un coup de dent.

Il fit long-temps la sourde oreille :

Enfin il répondit: Ami, je te conseille

D'attendre que ton maître ait fini son sommeil;

Car il te donnera sans faute à son réveil
Ta portion accoutumée :

Il ne sauroit tarder beaucoup.
Sur ces entrefaites un loup

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Sort du bois et s'en vient: autre bête affamée.
L'âne appelle aussitôt le chien à son secours.
Le chien ne bouge, et dit : Ami, je te conseille
De fuir en attendant que ton maître s'éveille;
Il ne sauroit tarder: détale vite, et cours.
Que si ce loup t'atteint, casse-lui la mâchoire;
On t'a ferré de neuf: et, si tu me veux croire,
Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.

LATINS. Abstem., 109.

FRANÇAIS. Est. Perr., 23.

FABLE XVIII. - (160.)

Le Bassa et le Marchand.

Un marchand grec en certaine contrée
Faisoit trafic. Un bassa l'appuyoit;
De quoi le Grec en bassa le payoit,
Non en marchand: tant c'est chère denrée
Qu'un protecteur. Celui-ci coûtoit tant,
Que notre Grec s'alloit partout plaignant.
Trois autres Turcs, d'un rang moindre en puissance,
Lui vont offrir leur support en commun.
Eux trois vouloient moins de reconnoissance
Qu'à ce marchand il n'en coûtoit pour un.
Le Grec écoute; avec eux il s'engage.
Et le bassa du tout est averti :

Même on lui dit qu'il jouera, s'il est sage,
A ces gens-là quelque méchant parti,
Les prévenant, les chargeant d'un message
Pour Mahomet, droit en son paradis,

:

Et sans tarder sinon ces gens unis
Le préviendront, bien certains qu'à la ronde
Il a des gens tout prêts pour le venger;
Quelque poison l'enverra protéger
Les trafiquants qui sont en l'autre monde.
Sur cet avis, le Turc se comporta
Comme Alexandre; et, plein de confiance,
Chez le marchand tout droit il s'en alla;

Se mit à table. On vit tant d'assurance

En ses discours et dans tout son maintien,
Qu'on ne crut point qu'il se doutât de rien.
Ami, dit-il, je sais que tu me quittes;
Même l'on veut que j'en craigne les suites:
Mais je te crois un trop homme de bien;
Tu n'as point l'air d'un donneur de breuvage.
Je n'en dis pas là-dessus davantage.
Quant à ces gens qui pensent t'appuyer,
Écoute-moi sans tant de dialogue
Et de raisons qui pourroient t'ennuyer,
Je ne te veux conter qu'un apologue.

Il étoit un berger, son chien et son troupeau.
Quelqu'un lui demanda ce qu'il prétendoit faire
D'un dogue de qui l'ordinaire

Étoit un pain entier. Il falloit bien et beau
Donner cet animal au seigneur du village.
Lui, berger, pour plus de ménage,
Auroit deux ou trois mâtineaux,

Qui, lui dépensant moins, veilleroient aux troupeaux
Bien mieux que cette bête seule.

Il mangeoit plus que trois. Mais on ne disoit pas
Qu'il avoit aussi triple gueule

Quand les loups livroient des combats.

Le berger s'en défait : il prend trois chiens de taille A lui dépenser moins, mais à fuir la bataille.

Le troupeau s'en sentit : et tu te sentiras

Du choix de semblable canaille.

Si tu fais bien, tu reviendras à moi.

Le Grec le crut.

Ceci montre aux provinces

Que, tout compté, mieux vaut en bonne foi
S'abandonner à quelque puissant roi,

Que s'appuyer de plusieurs petits princes.

GRECS. ES.-Cor., 215; II 215.

LATINS. G. Cogn. (Gilb. Cous.), 126; P. Cand., 67; Tann. Fab., 11; Fab. extrav., 15.

FRANCAIS. Jul. Mach.-Extrav., 15; Est. Perr., 23.

ESPAGNOLS. Ysop.-Extrav., 15.

ALLEMANDS. H. Steinh.-Extrav., 15.

HOLLANDAIS. Esopus-Extrav., 15.

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