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SCIENCE

DU PUBLICISTE.

LIVRE SECOND.

DROIT POLITIQUE, OU DROIT DES NATIONS.

CHAPITRE PREMIER.

Vérité servant de base aux principes élémentaires du droit politique.

De la Paix des Nations.

SOMMAIRE. La paix des nations n'est pas moins nécessaire au bonheur des hommes que leur réunion en société.

Quel que soit le développement de la population, la terre peut toujours suffire à la subsistance du genre humain.

La guerre augmente la détresse, et ne saurait y remédier. Vérité qui doit servir de base aux principes élémentaires du Droit politique.

Erreur et dangereuses conséquences du systême de Machiavel.

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Les écrivains qui ont supposé, et les esprits La paix des

nations n'est pas moins né.

crédules qui, d'après eux, se persuadent que, cessaire au bon

Tome II.

I

réunion en société.

heur des hom- naturellement farouches et méchans, les hommes que leur mes dûrent vivre long-temps insociables, dispersés et dans un état de guerre perpétuelle, supposent encore, par un aveuglement aussi grand, que la paix des nations ne peut être qu'accidentelle et passagère, et que la guerre, entre elles comme entre les hommes individuellement, est et doit être au contraire habituelle, inévitable, nécessaire.

Ils en donnent pour raison et comme preuve irréfragable que la population allant toujours croissant, elle doit enfin arriver à un point de développement tel que, quels que soient d'ailleurs les efforts des hommes réunis en société pour cultiver la terre, sa fertilité et l'abondance de ses productions seraient cependant insuffisantes pour leur subsistance; et qu'alors le besoin de la conservation étant pour eux, comme pour tous les êtres animés, un sentiment impérieux et prédominant, ils se trouveraient dans la nécessité de se détruire mutuellement, jusqu'à ce que l'équilibre fût rétabli entre la population et les subsistances(a).

(a) HOBBES, dans son Léviathan, ch. 13, § 65, pour établir ce bizarre systême, imagine de comparer les hommes à des

Nous avons vu dans le livre précédent, que si l'état de société avait pour effet de compromettre la vie des hommes, leur liberté, leur propriété, au lieu de les protéger, elle leur serait odieuse, et qu'ils devraient plutôt alors se fuir que se rechercher. De même, s'il était vrai que l'état de guerre entre les hommes. réunis et formant corps de nation, fût un état

chiens, et de leur en supposer l'instinct et le caractère. Voici quel est son raisonnement : « Mais à quoi bon prendre la peine de démontrer aux savans ce que les chiens euxmêmes n'ignorent pas, puisqu'ils aboient contre tous venans; de jour, contre les inconnus; de nuit, contre tous. Sed quid hominibus doctis conamur demonstrare id, quod ne canes quidem ignorant, qui accedentibus allatrant, interdiu quidem ignotis, nocte autem omnibus.»

-« Hobbes a osé dire, remarque judicieusement Vattel (Droit des gens, liv. IV, chap. IV, § 1.), que la guerre est l'état naturel de l'homme. Mais si, comme la raison le veut, on entend par état naturel de l'homme celui auquel il est destiné et appelé par sa nature, il faut dire plutôt que la paix est son état naturel: car il est d'un être raisonnable de terminer ses différends par la voie de la raison. C'est le propre des bêtes de les terminer par la force. « Nam cùm sint duo genera decertandi, unum perdisceptationem, alterum per vim; cumque illud proprium sit hominis, hoc belluarum, confugiendum est ad posterius, si uti non licet superiore.» (Cic. de Offic. 1. I, 11. )

de choses naturel et indispensable, on serait encore forcé de déplorer cette inconcevable fatalité qui, agissant en sens inverse de cette prétendue destination naturelle des hommes, les aurait, malgré leur aversion réciproque, rapprochés, rassemblés et contraints à vivre en société, et cela pour les rendre toutefois plus misérables qu'ils ne l'eussent été dans l'isolement le plus absolu; puisque la réunion des hommes en société augmente leurs forces, accroît et multiplie les moyens de destruction. Les combats individuels d'homme à homme, dans des rencontres le plus souvent fortuites, seraient, selon toute apparence, moins meurtriers, moins désastreux que les guerres des peuples entre eux; que ces siéges, ces assauts, ces batailles rangées, où la science de la tactique militaire met en usage de sang-froid toutes les ressources de l'esprit humain, pour étendre l'empire de la mort....

Mais heureusement cette supposition est encore dénuée de fondement, et c'est ce que quelques réflexions rendront sensible (a). En

(a) Disons aussi qu'heureusement pour le bien de

effet si, dans un état de dénuement absolu, il peut arriver que des hommes isolés et privés de toute industrie se livrent les uns envers les autres à quelques actes de violence pour se procurer un moyen de subsistance momentané, nous avons précédemment reconnu qu'en général, loin de les entraîner à se faire la guerre, la seule crainte de la détresse les a portés à vivre en paix, à se secourir mutuellement, à se réunir en société. De même, s'il est possible que des peuples naissans et peu civilisés, que des peuplades errantes éprouvent quelquefois cette disette des choses nécessaires à la conservation de la vie, et que, dans cet état de pénurie, se rencontrant inopinément, elles en viennent de suite aux mains, et aient recours au combat, pour parvenir à rester l'une ou

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l'humanité, pour le repos de la terre, souvent ceux-là mêmes qui professent de semblables doctrines, qui adoptent de telles opinions, valent beaucoup mieux que leurs écrits ou que leurs discours : car s'ils suivaient constamment dans leurs actions les conséquences exactes de ces mêmes doctrines, et que le pouvoir vînt à tomber entre leurs mains, la terre entière ne serait bientôt plus qu'un vaste désert couvert de tombeaux.

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