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enfuite les diviferent, qui en armèrent plufieurs les unes contre les autres. Nous cherchâmes toutes ces origines dans la nature; elles ne pouvaient être ailleurs. Nous vîmes que fi on fit defcendre Tamerlan d'une race célefte, on avait donné pour aïeux à Gengis-kan une vierge & un rayon de foleil. Manco Capak s'était dit de la même famille en Amérique. Odin, dans les glaces du Nord avait paffé pour le fils d'un dieu. Alexandre long-temps auparavant effaya d'être fils de Jupiter, dût-il brouiller, comme on le dit, fa mère avec Junon. Romulus paffa chez les Romains pour le fils de Mars. La Grèce avant Romulus fut couverte d'enfans des dieux. La fable de l'arabe Bak ou Bacchus, à qui on donna cent noms différens, eft le plus ancien exemple qui nous foit refté de ces généalogies. D'où put venir cette conformité d'orgueil & de folie entre tant d'hommes féparés par la distance des temps & des lieux, fi ce n'eft de la nature humaine par-tout orgueilleufe, par-tout menteufe, & qui veut toujours en impofer? Ce fut donc en confultant la nature, que nous tâchâmes de porter quelque faible lumière dans le ténébreux chaos de l'antiquité.

Il ne faut pas s'enquérir quel eft le plus favant, dit Montagne, mais quel eft le mieux favant. Il a plu à M. Larcher, très-favant homme, à la manière ordinaire, de combattre notre philofophie par fon autorité. (f) Ainfi il était impoffible que nous nous rencontraffions.

Nous avions, parmi les contes d'Hérodote, trouvé fort ridicule, avec tous les honnêtes gens, le conte qu'il nous fait des dames de Babylone, obligées par

) Voyez la Défense de mon oncle dans le Tome premier de ces mélanges.

la loi facrée du pays, d'aller une fois dans leur vie fe proftituer aux étrangers, pour de l'argent, au temple de Milita. Et M. Larcher nous foutenait que la chofe était vraie, puisqu'Hérodote l'avait dite. Il joint pourtant une raison à cette autorité; c'eft qu'on avait dans d'autres pays facrifié des enfans aux dieux, & qu'ainfi on pouvait bien ordonner que toutes les dames de la ville la plus opulente & la plus policée de l'Orient, & furtout des dames de qualité, gardées par des eunuques, se prostituassent dans un temple.

Mais il ne réfléchiffait pas que fi la fuperftition immola des victimes humaines dans de grands dangers, & dans de grands malheurs, ce n'eft pas une raison pour que les légiflateurs ordonnent à leurs femmes & à leurs filles de coucher avec le premier venu, dans un temple ou dans la facriftie, pour quelques deniers. La fuperftition est souvent très-barbare; mais la loi n'attaque jamais l'honnêteté publique, furtout quand cette loi se trouve d'accord avec la jaloufie des maris, & avec les intérêts & l'honneur des pères de famille.

M. Larcher voulut donc nous démontrer que les maris prostituaient leurs femmes dans Babylone, & que les mères en fefaient autant de leurs filles. Sa raison était que Sextus-Empiricus, & quelques poëtes latins, ont dit qu'il fallait abfolument qu'un mage en Perfe fût né de l'incefte d'un fils avec fa mère. On eut beau lui remontrer que cette calomnie des Grecs & des Romains contre les Perfes leurs ennemis, reffemble à tous les contes que notre peuple fait encore tous les jours, des Turcs, & de Mahomet II, & de Mahomet le prophète. M. Larcher n'en démordit point, & préféra

toujours les vieux auteurs à la vérité ancienne & moderne.

Il nous traita d'homme ignorant & dangereux, parce que nous ofions douter des cent portes de la ville de Thèbes, des dix mille foldats qui fortaient par chaque porte avec deux cents chars armés en guerre. Il eft perfuadé que le prétendu Concofis, père du prétendu Séfoftris, pour accomplir un de ses songes, & pour obéir à un de fes oracles, deftina fon fils, dès le jour de fa naiffance, à conquérir le monde entier; que pour parvenir à ce bel exploit, il fit élever auprès de Séfoftris tous les petits garçons nés le même jour où naquit fon fils; que pour les accoutumer à conquérir le monde, il les fefait courir à jeun huit de nos grandes lieues, ou quatre, comme on voudra, fans quoi ils n'avaient point à déjeûner.

Quand ils furent en âge d'aider Séfoftris à fa conquête, ils étaient dix-fept cents qui avaient environ vingt ans. Il en était mort le tiers, felon les fupputations de la vie humaine les plus modérées. Ainfi il était né en Egypte deux mille deux cents foixante & fix garçons le même jour que Séfoftris. Un pareil nombre de filles devait auffi être né ce jour-là; ce qui fait quatre mille cinq cents trente-deux enfans.

Or comme il n'est pas probable que le jour de la naiffance de Séfoftris fût plus fécond que les autres, il fuit évidemment qu'au bout de l'année, il était né un million fix cents cinquante-quatre mille cent quatrevingts égyptiens.

Si vous multipliez ce nombre par trente-quatre, felon la méthode de M. Kerfebaum, reconnue trèsexacte en Hollande, vous trouverez que l'Egypte était

peuplée de cinquante-fix millions deux cents quarantedeux mille cent vingt perfonnes. Il eft vrai qu'elle n'en a jamais eu, depuis qu'elle eft connue, qu'environ trois millions, & que fon terrain cultivable n'est pas le tiers du terrain cultivable de la France.

Enfin Sefoftris partit avec une armée de cent mille hommes, & vingt-fept mille chars de guerre. Le pays, à la vérité, a toujours eu peu de chevaux & trèspeu de bois de conftruction; mais ces difficultés n'embarraffent jamais les héros qui montent à cheval pour fubjuguer toute la terre, & pour obéir à un oracle. Elles n'embarrassent pas plus M. Larcher notre adverfaire.

Nous ne répéterons point ici les groffes injures de favant qu'il prodigue à propos des velus & du bouc de Mendès, & de Sandlus Socrates pederasta, dont il nous flatte qu'il parlera encore, & des autres injures qu'il répète d'après M. Warburton, auffi grand compilateur que lui de fatras & d'injures. Mais il nous eft permis de répéter auffi que le favant M. Warburton a prétendu donner pour la plus grande preuve de la miffion divine de Moife, que Moife n'avait jamais. enfeigné l'immortalité de l'ame. Nous ne fommes point de l'avis de M. l'évêque Warburton; nous croyons l'ame immortelle; nous penfons, comme de raison, que Moife devait avoir la même croyance; & fi l'ame de M. Larcher eft mortelle, c'eft à eux à le prouver. Ces difputes ne doivent point altérer la charité chrétienne; mais auffi cette charité peut admettre quelques plaifanteries, pourvu qu'elles ne foient point trop fortes.

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ARTICLE X I.

Qu'il faut favoir douter. Eclairciffemens fur l'histoire

de Charles XII.

L'INCREDULITÉ, fouvenons-nous - en, eft le fondement de toute fageffe, felon Ariftote. Cette maxime eft fort bonne pour qui lit l'hiftoire, & furtout l'hiftoire ancienne.

Que de faits absurdes, quel amas de fables qui choquent le fens commun! Hé bien, n'en croyez

rien.

Il y a eu des rois à Rome, des confuls, des décemvirs. Le peuple romain a détruit Carthage; Cefar a vaincu Pompée; tout cela eft vrai: mais quand on vous dit que Caftor & Pollux ont combattu pour ce peuple; qu'une veftale avec fa ceinture a mis à flot un vaiffeau engravé; qu'un gouffre s'eft refermé quand Curtius s'y eft jeté; n'en croyez rien. Vous lifez par-tout des prodiges, des prédictions accomplies, des guérifons miraculeufes opérées dans les temples d'Efculape; n'en croyez rien: mais cent témoins ont figné le procès-verbal de ces miracles fur des tables d'airain: mais les temples étaient remplis d'ex-voto qui atteftaient les guérifons; croyez qu'il y a eu des imbécilles & des fripons qui ont attefté ce qu'ils n'ont point vu. Croyez qu'il y a eu des dévots qui ont fait des préfens aux prêtres d'Efculape, quand leurs enfans ont été guéris d'un rhume; mais pour les

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