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dans fes rites de l'Eglife. Quelques jéfuites, & furtout un Nonotte, qui n'avaient lu ni Bafile, ni Martène, ni les lettres d'Innocent III, que nous avions lues dans l'abbaye de Sénones, où nous féjournâmes quelque temps dans nos voyages entrepris pour nous inftruire, s'élevèrent contre ces vérités. Nous nous moquâmes un peu d'eux. Il faut l'avouer: notre amour extrême de la vérité n'exclut pas les faibleffes humaines.

C'est une chofe rare que cette perfévérance d'ignorance & de hauteur, avec laquelle ces bons Garaffes nous attaquèrent fans relâche, & fans savoir jamais un mot de l'état de la queftion.

Nous fûmes obligés d'approfondir l'étonnante aventure de la pucelle d'Orléans, fur laquelle nous avions recueilli beaucoup de mémoires. Il fallut revenir fur une Marie d'Arragon, prétendue femme de l'empereur Othon III, qu'on fit paffer, dit la légende, pieds nus, fur des fers ardens. Il fallut leur prouver que la ville de Livron en Dauphiné fut affiégée par le maréchal de Belle-Garde, qui leva le fiége fous Henri III. Ils n'en favaient rien, & ils criaient que Livron n'avait jamais été une ville, parce que ce n'eft aujourd'hui qu'un bourg. La chose n'est pas bien importante, mais la vérité est toujours précieuse.

Il fallut foutenir l'honneur de notre corps calomnié, & faire voir que Lognac, le chef des affaffins qui maffacrèrent le duc de Guife, n'avait jamais été du nombre des gentilshommes ordinaires de la chambre du roi; qu'il était un de ces gentilshommes d'expédition, fournis par le duc d'Epernon, & payés par lui. Nous

en avions cherché & trouvé des preuves dans les regiftres de la chambre des comptes.

Quelle perte de temps, quand nous fûmes forcés de leur prouver que la terre d'Yeffo n'avait point été découverte par l'amiral Drake! Et le petit nombre des lecteurs qui pouvaient lire ces difcuffions, disait : qu'importe.

Enfin, dans deux volumes de nos erreurs, ils trouvèrent le fecret de ne pas mettre un feul mot de vérité.

Que firent-ils alors? Ils nous appelèrent hérétique & athée. Ils envoyèrent leur libelle au pape : ils s'adreffaient mal. Le pape n'a pas accueilli, depuis peu, bien gracieusement leurs libelles.

Le jéfuite Patouillet minuta contre nous un mandement d'évêque, dans lequel il nous traitait de vagabond, quoique nous demeuraffions depuis vingt ans dans notre château ; & d'écrivain mercenaire, quoique nous euffions fait préfent de tous nos ouvrages à nos libraires. Le mandement fut condamné, pour d'autres confidérations plus férieuses, à être brûlé par le bourreau. Nous continuâmes à chercher la vérité.

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Nous penfâmes toujours qu'il ne faut jamais

répondre à fes critiques, quand il s'agit du goût. Vous trouvez la Henriade mauvaise; faites-en une meilleure. Zaïre, Mérope, Mahomet, Tancrède, vous paraissent ridicules; à la bonne heure. Quant à l'hiftoire, c'eft autre chose. L'auteur à qui on contefte un fait, une date, doit ou fe corriger, s'il a tort, ou prouver qu'il a raison. Il est permis d'ennuyer le public; il n'est pas permis de le tromper.

Notre efquiffe de l'Effai fur l'hiftoire des mœurs & l'efprit des nations, fut terminée par celle du grand fiècle de Louis XIV. Nous ne cherchâmes que le vrai; & nous pouvons affurer que jamais l'histoire contemporaine ne fut plus fidelle. On nous nia d'abord l'anecdote de l'homme au mafque de fer; & il eft très-utile que de tels faits ne paffent pas fans contradiction. Celui-ci fut reconnu auffi véritable qu'il était extraordinaire; vingt auteurs s'égarèrent en conjectures; & nous ne hafardâmes jamais notre opinion fur ce fait avéré, dont il n'est aucun exemple dans l'histoire du monde.

Les préjugés de l'Europe & de tous les écrivains s'élevaient contre nous, lorfque nous affurâmes que Louis XIV n'avait eu aucune part au teftament de Charles II, roi d'Espagne, en faveur de la maison de

France: cette vérité fut confirmée par les mémoires de M. de Torcy & par le temps.

C'eft le temps qui nous a aidés à ouvrir les du yeux public fur ce débordement de calomnies abfurdes, qui fe répandit par tout vers les derniers jours de Louis XIV, contre le duc d'Orléans, régent de France.

Les Nonottes nous foutinrent que l'archevêque de Cambrai, Fénelon, n'avait jamais fait ces vers agréables & philofophiques fur un air de Lulli:

Jeune, j'étais trop fage,

Et voulais trop favoir:
Je ne veux, à mon âge,

Que badinage;

Et touche au dernier âge
Sans rien prévoir.

On les avait inférés dans une édition de Mme Guyon; & lorfque M. de Fénelon, ambaffadeur en Hollande, fit imprimer le Télémaque de fon oncle, ces vers furent reftitués à leur auteur: on les imprima dans plus de cinquante exemplaires, dont un fut en notre poffeffion. Quelques lecteurs craignirent que ces vers innocens ne donnaffent un prétexte aux janféniftes d'accufer l'auteur qui avait écrit contre eux, de s'être paré d'une philofophie trop fceptique ; & furent caufe qu'on retrancha ce madrigal du refte de l'édition du Télémaque. C'eft de quoi nous fûmes témoins. Mais les cinquante exemplaires exiftent; qu'importe d'ailleurs que l'auteur d'un beau roman ait fait ou non une chanson jolie?

Fefons ici l'aveu que toutes ces vérités hiftoriques, qui ne peuvent intéreffer que quelques curieux dans

un

un petit canton de la terre, ne méritent pas d'être comparées aux vérités mathématiques & phyfiques qui font néceffaires au genre-humain. Cependant les querelles fur ces bagatelles ont été fouvent vives & fatales. Les difputes fur la phyfique font moins dangereuses; ce font des procès dont il y a peu de juges mais en fait d'hiftoire, le plus borné des hommes peut vous chicaner fur une date, déterrer un auteur inconnu qui a pensé différemment de vous, abufer d'un mot pour vous rendre fufpect. Un moine, fi vous n'avez pas flatté fon ordre, peut calomnier impunément votre religion. Un parlement même était ulcéré, fi vous aviez décrit les folies & les fureurs de la fronde.

ARTICLE X.

De la philofophie de l'hiftoire.

LORSQU'APRÈS avoir conduit notre essai fur les mœurs & l'efprit des nations depuis l'établissement du chriftianifme jufqu'à nos jours, nous fûmes invités à remonter aux temps fabuleux de tous les peuples, & à lier, s'il était poffible, le peu de vérités que nous trouvâmes dans les temps modernes aux chimères de l'antiquité, nous nous gardâmes bien de nous charger d'une tâche à la fois fi pefante & fi frivole. Mais nous tâchâmes, dans un difcours préliminaire qu'on intitula Philofophie de l'hiftoire, de démêler comment naquirent les principales opinions qui unirent des fociétés, qui Mélanges hift. Tom. II.

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