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M. Paw, auteur des Réflexions philofophiques, ne fait pas des réflexions indulgentes. Il reproche aux Chinois leurs tours verniffées à neuf étages, fculptées, & ornées de clochettes. Quel eft l'homme pourtant qui ne voudrait pas en avoir une au bout de fon jardin, pourvu qu'elle ne lui cachât pas la vue? le grand-prêtre juif avait des cloches au bas de fa robe; nous en mettons au cou de nos vaches & de nos mulets. Peut-être qu'un carillon aux étages d'une tour ferait affez plaifant.

Il condamne les ponts qui font fi élevés, que les mâts de tous les bateaux passent facilement fous les arcades ; & il oublie que fur les canaux d'Amfterdam & de Roterdam, on voit cent ponts-levis qu'il faut lever & baiffer plufieurs fois jour & nuit.

Il méprise les Chinois, parce qu'ils aiment mieux conftruire leurs maisons en étendue qu'en hauteur. Mais du moins il faudrait avouer qu'ils avaient des maisons vernies, plufieurs fiècles avant que nous euffions des cabanes où nous logions avec notre bétail, comme on fait encore en Veftphalie. Au reste, chacun fuit fon goût. Si on aime mieux loger à un feptième étage, ubi ponunt ova columbæ, qu'au rez-de-chauffée; fi l'on préfère le danger du feu & l'impoffibilité de l'éteindre, quand il prend au faîte d'un logis, à la facilité de s'en fauver, quand la maison n'a qu'un étage; fi les embarras, les incommodités, la puanteur, qui résultent de fept étages établis les uns fur les autres, font plus agréables que tous les avantages attachés aux maifons baffes; nous ne nous y oppofons pas. Nous ne jugeons point du mérite d'un peuple par la façon dont il eft logé; nous ne décidons point

entre Versailles & la grande maifon de l'empereur chinois, dont frère Attiret nous a fait depuis peu la description.

Nous voulons bien croire qu'il y eut autrefois en Egypte un roi appelé d'un nom qui a quelque rapport à celui de Séfoftris, lequel n'eft pas plus un mot égyptien que celui de Charles & de Frederic. Nous ne difputerons point fur une prétendue muraille de trente lieues, que ce prétendu Séfoftris fit élever pour empêcher les voleurs arabes de venir piller fon pays. S'il conftruifit ce mur, pour n'être point volé, c'est une grande préfomption qu'il n'alla pas lui-même voler les autres nations, & conquérir la moitié du monde pour fon plaifir, fans fe foucier de la gouverner, comme nous l'affure M. Larcher, répétiteur au collège Mazarin.

Nous ne croyons pas un mot de ce qu'on nous dit d'une muraille bâtie par les Juifs, commençant au port de Joppé, qui ne leur appartenait point, jufqu'à une ville inconnue, nominée Carpasabé, tout le long de la mer, pour empêcher un roi Antiochus de s'avancer contre eux par terre. Nous laiffons là tous ces retranchemens, toutes ces lignes qui ont été d'ufage chez tous les peuples : mais il faut convenir que la grande muraille de la Chine eft un des monumens qui font le plus d'honneur à l'efprit humain. Il fut entrepris trois cents ans avant notre ère : la vanité ne le conftruifit pas, comme elle bâtit les pyramides. Les Chinois n'imitèrent point les Huns, qui élevèrent des paliffades de pieux & de terre, pour s'y retirer après avoir pillé leurs voifins. L'efprit de paix feul imagina la grande muraille. Il

eft certain que la Chine, gouvernée par les lois, ne voulut qu'arrêter les Tartares, qui ne connaissaient que le brigandage. C'eft encore une preuve que la Chine n'avait point été peuplée par des tartares, comme on l'a prétendu. Les mœurs, la langue, les usages, la religion, le gouvernement, étaient trop oppofés. La grande muraille fut admirable & inutile: le courage & la difcipline militaire euffent été des remparts plus affurés.

M. Paw a beau regarder avec des yeux de mépris tous les ouvrages de la Chine, il n'empêchera pas que le grand canal, fait de main d'homme, dans la longueur de cent foixante de nos grandes lieues, & les autres canaux qui traversent ce vaste empire, ne foient un exemple qu'aucune nation n'a pu encore imiter les Romains mêmes ne tentèrent jamais une telle entreprise.

ARTICLE II I.

De la population de la Chine & des mœurs.

VOILA

OILA donc deux travaux immenfes qui n'ont pour but que l'utilité publique; la grande muraille qui devait défendre l'empire chinois, & les canaux qui favorisent fon commerce. Joignons-y un avantage encore plus grand, celui de la population, qui ne peut être que le fruit de l'aifance & de la fureté de chaque citoyen, dans fa petite poffeffion en temps de paix; les mendians ne fe marient en aucun lieu

du monde. La polygamie ne peut être regardée comme contraire à la population; puifque, par le fait, les Indes, la Chine, le Japon, où la polygamie fut toujours reçue, font les pays les plus peuplés de l'univers. S'il eft permis de citer ici nos livres facrés, nous dirons que DIEU même, en permettant aux Juifs la pluralité des femmes, leur promit que leur race ferait multipliée comme les fables de la mer.

On allègue que la nature fait naître à-peu-près autant de femelles que de mâles, & que par conféquent fi un homme prend quatre femmes, il y a trois hommes qui en manquent. Mais il est avéré aujourd'hui que dans l'Europe, s'il naît un dix-feptième de plus d'hommes que de femmes, il en meurt auffi beaucoup plus avant l'âge de trente ans, par la guerre; par la multitude des profeffions pénibles, plus meurtrières encore que la guerre ; & par les débauches non moins funeftes. Il en eft probablement de même en Afie. Tout Etat, au bout de trente ans, aura donc moins de mâles que de femelles. Comptez encore les eunuques & les bonzes, il reftera peu d'hommes. Enfin, obfervez qu'il n'y a que les premiers d'un Etat, prefque toujours très-opulens, qui puiffent entretenir plufieurs femmes, & vous verrez que la polygamie peut être non-feulement utile à un empire, mais néceffaire aux grands de cet empire.

Confidérez furtout que l'adultère eft très-rare dans l'Orient; & que dans les harem, gardés par des eunuques, il eft impoffible. Voyez au contraire comme l'adultère marche la tête levée dans notre Europe; quel honneur chacun se fait de corrompre

la femme d'autrui! quelle gloire fe font les femmes d'être corrompues que d'enfans n'appartiennent pas à leurs pères! combien les races les plus nobles font mêlées & dégénérées! Jugez après cela lequel vaut le mieux, ou d'une polygamie permife par les lois, ou d'une corruption générale autorisée par les

mœurs.

Si dans la Chine plufieurs femmes de la lie du peuple expofent leurs enfans, dans la crainte de ne pouvoir les nourrir, c'eft peut-être encore une preuve en faveur de la polygamie: car fi ces femmes avaient été belles, fi elles avaient pu entrer dans quelque férail, leurs enfans auraient été élevés avec des foins paternels.

Nous fommes loin d'infinuer qu'on doive établir la polygamie dans notre Europe chrétienne. Le pape Grégoire II, dans fa décrétale adreffée à St Boniface, permit qu'un mari prît une feconde femme quand la fienne était infirme. Luther & Mélandon permirent au landgrave de Heffe deux femmes, parce qu'il avait au nombre de trois ce qui chez les autres se borne à deux. Le chancelier d'Angleterre Cowper, qui était dans le cas ordinaire, époufa cependant deux femmes, fans demander permiffion à perfonne; & ces deux femmes vécurent ensemble dans l'union la plus édifiante mais ces exemples font rares.

:

Quant aux autres lois de la Chine, nous avons toujours penfé qu'elles étaient imparfaites, puifqu'elles font l'ouvrage des hommes qui les exécutent. Mais qu'on nous montre un autre pays où les bonnes actions foient récompenfées par la loi, où le laboureur le plus vertueux & le plus diligent foit

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