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AVERTISSEM. DU LIBRAIRE. a rendus ce Mécène illustre non moins estimable par ses qualités personnelles, que par l'accueil qu'il témoigne aux Lettres et à ceux qui les cultivent, en érigeant à son respectable Ami, un monument sur lequel il a consigné ses talens et les motifs qui les ont produits; dans les transports de sa recon, noissance, il se seroit écrié ; Serus in cœlum redeat. C'est le vœu que feront tous ceux qui ont l'avantage de le connoître.

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LETTRE

A MES NE VEU X.

que

C'EST 'EST pour vous, mes Neveux, que je recueille ici quelques détails de ma vie. J'ai su par ma propre expérience les exemples domestiques sont plus efficaces que les autres; si vous trouvez quelque chose ici qui puisse vous animer à faire mieux que moi, je ne veux d'autre prix de la peine que je prends de me rappeler des idées plus tristes qu'agréables. J'ai éprouvé combien il en coûte à ceux qui ont tout à faire par eux-mêmes : tout est contre eux, tandis que tout est pour

ceux qui ont de la naissance et de la fortune.

Je suis né le 7 de Mai 1713, sur les bords de la riviere d'Aîne, dans un village qui se nomme Alland'hui, entre Rethel et Attigny. Mon pere, qui vivoit à-peu-près de son bien, ne me donna par lui-même d'autre éducation que celle de l'exemple; mais c'étoit un exemple de droiture, de probité, d'ardeur pour le travail : j'eus le malheur de le perdre en 1725.

J'avois commencé des études, sous la direction d'un frere aîné d'un premier lit, plus âgé que moi de 25 ans ; et forcé par des dégoûts de toutes especes, j'avois renoncé avec joie aux livres, pour m'attacher à la vie laborieuse, mais simple, de mes peres.

Lorsque les affaires de la succession furent à-peu-près terminées, il fut question de moi: Que ferons-nous de celui-ci, dit mon Frere, avec un ton

d'aîné qui me rappeloit le passé : Que veux-tu faire? Un silence morne et triste fut toute ma réponse.

:

J'avois une Mere qui m'adoroit : je l'aimois au point que le seul désir de lui plaire, et la crainte de lui déplaire, furent dans toute ma jeunesse la regle de ma conduite je l'avois sans cesse devant les yeux. Elle avoit passé une partie de sa vie avec sujet excellent, plein de moeurs et de piété, instruit de toutes les sciences convenable à un Ecclésiastique. Ma un frere, mort en 1700, Curé d'Ay (1), mere, pénétrée du souvenir de ses vertus, dont elle m'entretenoit souvent, désiroit que son fils suivît les traces de son frere: je me souviens de l'impression profonde que faisoient en moi ses discours. Je me laissai donc

(1) Nicolas Stevenin, dont on voit l'épitaphe en marbre au milieu du choeur de la Paroisse d'Ay.

emmener à Rheims. J'arrivai en Tro sieme, absolument neuf et ignorant. J'étois sur tout timide, tremblant devant mes Maîtres, et par conséquent attentif et docile à leurs leçons. En peu de temps je fis assez de progrès pour être transporté à la fin de l'année scolastique, de Troisieme en Rhétorique.

Grace aux médiocres études qu'avoit faites mon frere, et aussi au plan suivi alors dans l'Université de Rheims, je fis toutes mes humanités avec Vanieres et Tursellin, sans avoir rien vu de Phedre, de Térence, de Virgile, d'Horace, de Cornelius-Nepos, de Tite-Live; sans avoir entendu parler: de La Fontaine, de Corneille, de Racine, de Despréaux.

Arrivé en Logique, je saisis avec ardeur tout ce que les Irlandois nous enseignoient. Il ne fut question ni. d'arithmétique, ni de géométrie, ni de mécanique, ni même de physique

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