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COMPARE E, dans quelques points donnés par DEN Y S D'HALICARNASSE, avec la Langue Grecque.

AVAN

VANT que d'entrer dans cette matiere, il est nécessaire de suspendre pour quelques momens les préjugés que nous avons tous en faveur des Grecs et des Romains. Ils ont été nos Maîtres en tout genre. C'est d'eux que nous avons tout reçu : sciences arts, mœurs, opinions, goût, litté rature. Eest-il étonnant qu'ils aient

conservé cet ascendant d'autorité qui ne nous permet pas de nous mesurer avec eux? Nous ne voyons que les avantages qu'ils ont sur nous. Tout ce que nous avons, s'il n'est pas calqué sur ces modeles, est censé mauvais ou médiocre. C'est d'après ce préjugé que nous jugeons notre langue, notre prose, notre poésie. Cependant tous les théâtres de l'Europe retentissent des chefs-d'oeuvres de la poésie françoise. Notre langue est devenue le langage commun des Souverains et de toutes les personnes distinguées chez les nations qui nous environnent. Elle n'a même pas eu besoin, comme la langue grecque et la latine, d'être précédée ni introduite chez nos voisins par les conquêtes et la victoire. Elle a été accueillie pour elle-même, pour son propre mérite et pour celui de ses Auteurs, et elle est regardée par-tout comme une portion considérable de ce qu'on appelle les belles humanités. On vante la richesse, l'énergie, l'harmonie des langues anciennes ; mais on ne songe pas que si ces qualités peuvent convenir aux mots isolés d'une langue, elles appar

tiennent bien plus au style et à la maniere des Auteurs; que c'est proprement le génie, le goût et l'oreille de ceux qui écrivent, qui font l'élocution riche, énergique, harmonieuse; qu'il y avoit chez les Grecs comme ailleurs, des Ecrivains dont le style étoit pauvre, lâche, aride, n'y eûtil que celui d'Hégésias et de ceux qui sont nommés avec lui par Denys d'Halicarnasse. Enfin Malherbe, Corneille, Racine, Despréaux, La Fontaine, Quinault, Rousseau, Bossuet, Fénelon, Fléchier, etc. n'ont-ils pas trouvé dans la Langue Françoise des expressions et des tours capables de rendre leurs idées fortes, hardies, sublimes, leurs idées gracieuses, tendres, délicates? N'ont-ils pas trouvé les moyens de s'imortaliser par elle et de l'immortaliser avec eux?

Au reste, comme dans la matiere qu'a traitée Denys d'Halicarnasse, et qui a fait l'objet de nos réflexions sur la Langue Françoise, il regne une métaphysique assez subtile, et que l'habitude de l'oreille et l'imagination préoccupée peuvent beaucoup influer sur la maniere de penser de chacun,

:

il doit être permis d'écrire comme pour soi c'étoit la grace que Cicéron demandoit à Atticus, à qui il se plaignoit de ce que Brutus, qui l'avoit engagé à écrire sur cette matiere, et à qui il avoit adressé son ouvrage, n'étoit pas de son avis. Sine, quæso, sibi quemque scribere: suam cuique sponsam et mihi meam; suum cuique amorem, et mihi meum. Ep. ad Att. I. XIV, ep. 20.

I. Objet de comparaison. Les constructions. Denys d'Halicarnasse prétend dans son chapitre V, qu'il n'y a point de regles dans la nature pour l'arrangement des mots.

Le titre même de ce chapitre offre d'abord à l'esprit un scrupule qui paroît fondé. S'il est vrai qu'il n'y ait point de regles dans la Nature pour l'arrangement des mots dans le discours; sur quoi seront appuyées les leçons, et les regles que l'Auteur va donner à son éleve ? Je n'en dis pas davantage, et je passe à l'examen de la question même.

Il y a plus de trente ans que, ne connoissant pas encore l'ouvrage de Denys d'Halicarnasse, et cherchant

s'il n'y auroit pas quelque regle pour me guider moi-même dans quelques traductions dont je m'occupois, et à cette occasion, comparant la phrase latine avec la françoise, je crus appercevoir la raison de leurs différentes constructions dans le défaut de cas qui est dans notre langue, et dans la multiplicité des auxiliaires dont elle est souvent accompagnée. Faute de cette inflexion qui marque les régimes, quelque place qu'on leur donne dans le texte de la phrase, nous n'avons pas pu dire comme les Latine (ni comme les Grecs):

Filius amat Patrem,

ou Patrem amat Filius,
ou Patrem Filius amat,
ou Filius Patrem amat,
ou Amat Filius Patrem,
ou Amat Patrem Filius.

Il a fallu en françois s'en tenir à cette seule construction: le fils aime le pere. Tout autre arrangement changeroit le sens de la phrase ou le rendroit incertain.

D'où j'ai conclu que notre langue étant fixée par ses formes dans l'arrangement de ses mots, et la latine

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