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CHAPITRE II

LOUIS XIV LES FÊTES DE VERSAILLES

MOLIÈRE

Après la mort de Louis XIII, le château de Versailles fut abandonné par la Cour d'Anne d'Autriche pendant huit ans. Louis XIV n'y vint pour la première fois qu'en 1654. La Gazette nous apprend que le 18 avril, le Roi accompagné de son gouverneur, le maréchal de Villeroi, chassa autour de Versailles, et que le président de Maisons, surintendant des finances et capitaine des châteaux de Versailles et Saint-Germain, lui donna ainsi qu'à sa suite un splendide repas. Jusqu'en 1662, Louis XIV vint à Versailles « se livrer au divertissement de la chasse », plusieurs fois par an, accompagné de Monsieur, son frère, du cardinal Mazarin et d'autres grands personnages. A partir de 1662, le Roi est plus souvent à Versailles, non seulement pour chasser, mais pour donner à la nouvelle reine, Marie-Thérèse, et à la Cour, des fêtes, des bals et des repas dont la Gazette et la Muse historique de Loret nous racontent longuement les détails.

Dès 1662, Louis XIV commença à agrandir et à embellir une résidence à laquelle il prenait goût; mais ce n'est pas ici que nous devons parler de ces agrandissements.

Versailles devenait le séjour favori du Roi; la Cour y résidait plusieurs jours de suite. Les appartements du château, où l'or et le marbre rivalisaient d'éclat, les meubles riches et les raretés qu'on y avait rassemblés, l'agrément

des promenades, le nombre infini des fleurs et des orangers du jardin, la grande diversité d'animaux réunis à la Ménagerie, faisaient l'admiration de tous ceux qui visitaient « ce beau lieu ».

Avec les amours du Roi et de M1le de la Vallière, Versailles allait devenir le théâtre de fêtes merveilleuses célébrées en l'honneur de la favorite.

FÊTE DE 1663.

Le 15 octobre 1663, Louis XIV quitta Vincennes et vint à Versailles avec les Reines et le Dauphin; il leur donna une fête à laquelle la troupe de Molière prit une part importante'. La seule pièce nouvelle qu'elle représenta fut l'Impromptu de Versailles; elle fut composée, apprise et répétée en huit jours. L'Ecole des Femmes, jouée en 1662, avait attiré à Molière de vives critiques; les prudes et les précieuses des ruelles, ainsi que leurs amis les faux dévots, se soulevèrent contre le satirique, qui les jouait sans déguisement et sans pitié. Les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, rivaux de la troupe de Molière, se joignirent à ses ennemis. Molière répondit aux attaques de la cabale par la Critique de l'Ecole des Femmes, dont la verve mordante ranima la querelle. De Visé publia Zélinde ou la Véritable critique de l'Ecole des Femmes, et Boursault composa le Portrait du peintre. Molière répliqua par l'Impromptu de Versailles, composé par l'ordre du Roi3, qui prit hautement parti pour son auteur favori.

1

Le jeudi onzième octobre, la troupe est partie par ordre du Roi pour Versailles. On a joué le Prince jaloux ou Don Garcie, Sertorius, l'Ecole des Maris, les Fâcheux, l'Impromptu, dit, à cause de la nouveauté et du lieu, de Versailles, le Dépit amoureux et encore une fois le Prince jaloux. Pour le tout, reçu 3300 livres de M. Bontemps, premier valet de chambre, sur la Cassette. (Registre de Lagrange).

2

D

Il est impossible que l'Impromptu ait été joué, ainsi que le dit l'édition de 1682 des Œuvres de Molière, le 14 octobre, puisqu'il paraît certain, d'après la Gazette (1663, p. 1020), que le Roi n'est arrivé à Versailles que le 15.

3 Louis XIV se déclara pour Molière avec tant d'ardeur, qu'il fit jouer encore devant lui l Impromptu en 1664 et 1665; Monsieur, Colbert, Le Tellier et le maréchal de Gramont se crurent obligés de le faire aussi représenter chez eux.

« Molière avait reproduit fidèlement dans la Critique l'aspect d'un salon mondain; cette fois il ouvrait les coulisses de son théâtre. Il se montrait lui et toute sa troupe dans le travail des répétitions, sans nom d'emprunt, chacun dans son costume de ville, chacun avec sa personnalité réelle et son propre caractère. C'est précisément une des entreprises les plus difficiles que de donner ainsi aux occupations de chaque jour assez de relief pour que le tableau en soit à jamais vivant. Molière nous a légué dans l'Impromptu le document biographique le plus curieux et le plus précis sur lui-même. Il s'y montre dans son rôle de directeur et d'auteur; il nous révèle sa méthode de travail, sa pratique de la scène, sa théorie de l'art du comédien; il y est même avec son tempérament, à la fois vif et patient, passionné, volontaire et opiniâtre; il met sous nos yeux la plupart de ses compagnons, et en quelques traits nous les fait connaître aussi parfaitement que peuvent le faire des biographies complètes 1. »

Si Molière fait le portrait d'après nature des personnages de sa troupe, il traite sans pitié ses ennemis; il met Boursault sur la scène, sans même déguiser son nom; il le raille amèrement : « Le beau sujet à divertir la Cour, dit-il, que M. Boursault! Je voudrois bien savoir de quelle façon on pourroit l'ajuster pour le rendre plaisant, » et le reste. Nous sommes en pleine comédie aristophanesque; nous y serons bien plus encore, en 1664, avec Tartuffe, dont les originaux, hypocrites connus, se soulevèrent avec violence. Mais Louis XIV permettait, voulait même alors, que la comédie se transformât en satires personnelles, et qu'on les jouât dans son palais.

L'Impromptu redoubla la haine des ennemis de Molière, qui dès lors ne cessèrent de l'attaquer par de nombreux pamphlets, et en lançant contre lui toutes sortes de calomnies, dont quelques-unes se répètent encore.

FÊTE DE 1664.

En 1664, la Cour, composée de 600 personnes invitées,

1 MOLAND, Euvres de Molière, I, CL.

résida du 5 au 14 mai à Versailles. C'est à ce moment que fut donnée une grande fête, en apparence aux deux Reines, en réalité à Mile de la Vallière.

Mlle de la Vallière était l'une des filles d'honneur de Madame Henriette, duchesse d'Orléans. Elle avait dix-sept ans, en 1661, quand Louis XIV la distingua et l'aima.

Mu de la Vallière, dit l'abbé de Choisy, n'étoit pas de ces beautés toutes parfaites qu'on admire souvent sans les aimer. Elle étoit fort aimable, et ce vers de La Fontaine

Et la grâce, plus belle encore que la beauté,

semble avoir été fait pour elle. Elle avoit le teint beau, les cheveux blonds, le sourire agréable, les yeux bleus, et le regard si tendre et en même temps si modeste, qu'il gagnoit le cœur et l'estime au même moment. Au reste, assez peu d'esprit, qu'elle ne laissoit pas d'orner tous les jours par une lecture continuelle; point d'ambition, point de vues, plus attentive à songer à ce qu'elle aimoit qu'à lui plaire, toute renfermée en elle-même et dans sa passion, qui a été la seule de sa vie, préférant l'honneur à toutes choses et s'exposant plus d'une fois à mourir plutôt qu'à laisser soupçonner sa fragilité; l'humeur douce, libérale, timide, n'ayant jamais oublié qu'elle faisoit mal, espérant toujours rentrer dans le bon chemin.

Ecoutons maintenant Mlle de Montpensier :

Elle étoit bien jolie et fort aimable de la figure; quoiqu'elle fût un peu boiteuse, elle dansoit bien, étoit de fort bonne grâce à cheval, l'habit lui en seyoit fort bien. Les justaucorps lui cachoient la gorge qu'elle avoit fort maigre, et les cravates la faisoient paroître plus grasse. Elle faisoit des mines fort spirituelles, et les connoisseurs disent qu'elle avoit peu d'esprit.

La Palatine ne lui est pas moins favorable :

Ses regards, dit-elle, avoient un charme qu'on ne peut décrire ; elle avoit une taille fine, mais de vilaines dents; ses yeux me paroissoient plus beaux que ceux de Mme de Montespan; tout son maintien étoit modeste. Elle boitoit légèrement, mais cela ne lui alloit pas mal.

Un auteur anonyme devient plus sévère :

Il faut un peu dire comment est faite une personne qui a si fortement pris le cœur d'un Roi si fier et si superbe. Elle est d'une

1 Le Palais-Royal ou les Amours de Mme de la Vallière.

taille médiocre, fort menue; elle ne marche pas de bon air, à cause qu'elle boite; elle est blonde et blanche, marquée de petite vérole, les yeux bruns; les regards en sont languissants, et quelquefois aussi sont-ils pleins de feu, de joie et d'esprit; la bouche grande, assez vermeille, les dents pas belles, point de gorge, les bras plats, qui font assez mal juger du reste du corps. Son esprit est brillant, beaucoup de vivacité et de feu. Elle pousse les choses plaisamment; elle a beaucoup de solidité, et même du savoir, sachant presque toutes les histoires du monde; aussi a-t-elle le temps de les lire. Elle a le cœur grand, ferme et généreux, désintéressé, tendre et pitoyable. Elle est sincère et fidèle, éloignée de toute coquetterie, et plus capable que personne du monde d'un grand jugement. Elle aime ses amis avec une ardeur inconcevable, et il est certain qu'elle aima le Roi par inclination plus d'un an avant qu'il la connût, et qu'elle disoit souvent à une amie qu'elle voudroit qu'il ne fût pas d'un rang si élevé.

Un parlementaire, Lefèvre d'Ormesson', donne une note absolument discordante :

Cette demoiselle ne me parut point belle, écrit-il; elle a les yeux u fort beaux et le teint, mais elle est décharnée, les joues cousues", la bouche et les dents laides, le bout du nez gros et le visage fort long. En vérité je fus surpris de la trouver si peu belle.

Mme de Montespan, l'amie de La Vallière, ne pouvait manquer de dire son mot; elle lui décocha les vers suivants :

Soyez boiteuse, ayez quinze ans,
Foint de gorge, fort peu de sens,

Des parents, Dieu le sait! Faites, en fille neuve,
Dans l'antichambre vos enfants,

Sur ma foi, vous aurez le premier des amants,
Et La Vallière en est la preuve.

Quant aux portraits peints de Mlo de la Vallière, le seul authentique est celui peint par Mignard, qui se trouve au château de Saint-Germain-Langot, et dont une excellente copie, faite par M. Schmitz, se voit au musée de Versailles 3.

Après avoir donné, en 1662, en l'honneur de sa maîtresse,

1 Journal, II, 442, année 1666.

'C'est-à-dire le visage extrêmement maigre.

3

Voy. SOULIE, Le portrait authentique de Me de la Vallière, broch. in-8°, 1866.

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