Page images
PDF
EPUB

vait lui-même et offrait même à boire à ses invités1. Il était à son aise, et ce n'est pas nous qui le blâmerons d'aimer cette liberté dans la vie. On voit par ces détails que Marie-Antoinette ne fit, plus tard, que suivre l'exemple de Louis XV. Il y avait aussi à Choisy un théâtre. Le Roi invitait quelquefois la Reine et ses enfants, et, le 13 juin 1763, il leur donna une grande fête3.

A la Meutte, rebâtie et agrandie, Louis XV soupait et chassait. A la Celle, il assista, le 1er septembre 1748, à une fête charmante que lui donna Mme de Pompadour; mais quelque chose lui déplut, et il s'y ennuya '. En 1749, Louis XV prit un goût assez vif pour Trianon; il y fit établir une vacherie, des poulaillers, un jardin botanique; il y fit construire un pavillon et plus tard le Petit-Trianon.

En 1748, Mme de Pompadour chargea Lassurance de bâtir le château de Bellevue, qui fut achevé en 1750 . Les artistes les plus habiles furent employés à sa décoration. Les dépenses énormes que faisait Mme de Pompadour à Crécy, à la Celle, à Bellevue, etc., soulevaient une vive opposition, que justifiaient la lourdeur des impôts et la misère générale, et contribuaient à préparer l'explosion de 1789. Le premier voyage de Louis XV à Bellevue eut lieu le 25 novembre 1750. Les invités avaient tous des habits uniformes de couleur pourpre'. On avait commandé à la manufacture de Vincennes pour 800,000 livres de fleurs de porcelaine peintes au naturel. « On ne parle que de cela dans Paris, rapporte d'Argenson", et véritablement ce luxe inouï scandalise beaucoup.

[ocr errors]

Louis XV allait à Bellevue chaque semaine. Là, pas de service, pas de famille royale, pas d'étiquette; quelques invités, et beaucoup de liberté. Pendant la journée, le Roi

1 BARBIER, VII, 302. BARBIER, VII, 367.

3 BARBIER, VIII, 77.

LUYNES, IX, 225.

5 Voir au musée de Versailles l'aquarelle no 2269 (salle 138), qui repré

[blocks in formation]

A son avènement, Louis XVI donna ce château à

6 D'ARGENSON, V, 229.

7 D'ARGENSON, VI, 295, 298.

8

VI, 222.

T. I.

26

chassait dans les bois des environs; le soir, il jouait, soupait ou allait à la comédie, car il y avait une admirable salle de spectacle à Bellevue1, où l'on jouait l'opéra et la comédie. Le théâtre de Bellevue remplaça le théâtre des petits appartements de Versailles dont on parlera un peu plus loin. Comme à Marly, il y avait à Bellevue des polissons, c'est-à-dire des courtisans invités, mais qui n'y couchaient pas. Les fêtes, les feux d'artifice variaient de temps en temps les plaisirs de la soirée. En 1756, Louis XV passa les jours gras à Bellevue; il n'y eut aucun divertissement à Versailles, et les officiers de quartier eurent tous la liberté d'aller où bon leur semblerait. Il est bien évident que ce que Louis XV aime le mieux, c'est la liberté, c'est d'être affranchi de l'étiquette, et que sa vie nomade n'a pas d'autre cause. Il va à Bellevue et donne congé, pour se débarrasser d'eux et de leur service, à tous ses officiers de la Bouche, du Gobelet, de la Chambre, etc.

La Reine fut invitée à Bellevue le 8 mai 1758; elle alla y faire une promenade. On lit dans le journal du duc de Luynes'.

<< La Reine alla se promener à Bellevue; c'étoit la première fois depuis que le Roi a acheté cette maison. Elle entra dans le jardin et alla voir les bosquets entourés de treillages et garnis de lilas. Il y en eut un entre autres où l'inspecteur dit à la Reine: « C'étoit ici le bosquet de l'Amour, présentement c'est celui de l'Amitié. » Il vouloit apparemment expliquer la différence de la statue qui est au milieu de ce bosquet 5, mais le propos n'en est pas moins remarquable. »>

A peine le château de Bellevue était-il achevé, en 1750, que la Pompadour achetait une petite maison située un peu plus bas, pour aller souper; on l'appela le Taudis G.

En 1757, Louis XV se fit faire une maison nouvelle, Saint

'D'ARGENSON, VII, 85.

2 D'ARGENSON, VI, 331.

3 BARBIER, VI, 271.

4 XVII, 113.

5 C'était la statue de Mmo de Pompadour, exécutée en 1753 par Pigalle. Le marquis d'Herford en a offert un moulage au musée de Versailles. Cette statue (1836 bis) est placée au vestibule de l'Opéra (93), au premier étage. 6 D'ARGENSON, VI, 298. LUYNES, X, 122. Cette maison fut appelée depuis Brimborion.

Hubert, dans la forêt de Rambouillet; il y allait assez souvent souper après la chasse1. Enfin le Roi allait aussi à Crécy chez Mme de Pompadour; en 1749, il y séjourna avant de se rendre au Havre voir la mer; en 1754, il y passa quinze jours; en 1757, il y retourna, et les ministres l'y suivirent pour travailler 2.

VII

THEATRE DES PETITS APPARTEMENTS

1746-1747.

De tous les moyens employés par Mme de Pompadour pour distraire Louis XV et maintenir sa faveur, le seul honnête fut le Théâtre des petits appartements, ou, comme on l'appelait familièrement, le Théâtre des petits cabinets. « Déjà, à l'époque de la semaine sainte, elle avait donné dans son appartement des concerts spirituels, où l'on avait exécuté devant Louis XV émerveillé le Miserere de Lalande, le Jubilate Deo omnis terra, le Venite exultemus et le Magnus Dominus de Mondonville. Elle-même, Mme de l'Hôpital, Mme Marchais, Mme Trusson, M. d'Ayen, M. de Clermont-Tonnerre, M. de la Salle et le vicomte de Rohan y avaient chanté ou joué leur partie, soutenus par les belles voix de Miles Demetz et Fel, et par le chant magistral de Jélyotte, de l'Opéra. Mais ce n'était pas encore assez, et Mme de Pompadour résolut de faire construire un petit théâtre dans le palais de Versailles et d'y jouer elle-même la comédie devant le Roi et un petit cercle d'intimes 3. »

Les mémoires du duc de Luynes, complétés avec les quatre

1 BARBIER, VI, 533; VII, 71; VIII, 44.

D'ARGENSON, VI, 34.

- BARBIER, VI, 28. LUYNES, XVI, 296. 3 CAMPARDON, Mme de Pompadour et la cour de Louis XV, in-8°, 1867,

p. 78.

volumes du Théâtre des petits appartements, quelques pages de Laujon 2 et les documents provenant des papiers du duc de la Vallière, permettent de faire l'histoire de ce théâtre, d'apprécier le talent des acteurs et de se rendre compte du charme de ces représentations, qui ont été le principal divertissement de la Cour de Louis XV, mais divertissement réservé à un très-petit nombre de familiers.

Ce fut pendant l'hiver de 1746-4747 que se réunirent les acteurs qui composèrent la troupe « jalouse de produire ses talents sous les yeux du Roi ».

Louis XV, dit Laujon, avait entendu citer très-souvent, et toujours avec éloge, les talents de Mme la marquise de Pompadour pour la comédie, pour le chant, et qui s'était rendue célèbre à Etiolles, sur le théâtre de M. de Tournehem, son oncle, et sur celui de Mme de Villemur (dont elle était l'amie particulière) à Chantemerle. Plusieurs des courtisans de S. M., et entre autres M. le duc de Richelieu, y avaient assisté ; M. le duc de Nivernois et M. le duc de Duras y avaient été acteurs; il n'en fallait pas davantage pour exciter la curiosité du Roi et pour seconder Mme de Pompadour dans le désir qu'elle avait de développer à ses yeux tous ses moyens de plaire; désir que partageaient avec elle les deux acteurs que je viens de citer.

Le théâtre fut établi dans la Petite-Galeries. Le Roi y entrait par le salon Ocale (131).

Mme de Pompadour choisit les acteurs de la troupe. Les premiers admis furent: les ducs d'Ayen, de Nivernois, de Duras, de la Vallière, de Luxembourg, MM. de Meuse, de Croissy et

1 Ces quatre volumes, imprimés sur vélin et couverts de superbes reliures en maroquin rouge aux armes et au chiffre du Roi, sont une des richesses de la bibliothèque de la ville de Versailles.

Laujon mourut en 1811, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Il fut un des auteurs qui travaillèrent pour le théâtre des petits appartements, mais ses souvenirs, rédigés dans son extrême vieillesse, sont pleins d'inexactitudes.

3 Ces documents conservés à la bibliothèque de l'Arsenal ont été publiés par M. Jules Cousin (La Comédie à la cour de Louis XV, dans l'Entracte de 1860), par M. Ad. Jullien (Histoire du théâtre de Mme de Pompadour) et par M. Campardon (Mme de Pompadour et la cour de Louis XV).

C'était dans la société de gens de lettres et d'artistes distingués, que rassemblait à Etiolles M. de Tournehem, riche et passionné pour les arts, que sa nièce, en formant son goût, apprit à aimer les talents.

5 LUYNES, VII, 91.

Les Comptes des Bâtiments de 1748 appellent le théâtre: Théâtre de la Petite-Galerie.

de Gontaut; M. de Courtenvaux, pour la danse; Mmo de Pompadour, la belle duchesse de Brancas, douairière mais encore jeune, Mmes de Pons, de Livry et de Sassenage. On verra bientôt la troupe s'augmenter peu à peu et compter un nombre assez considérable de nouveaux sociétaires.

Dans la première assemblée, on choisit pour directeur M. le duc de la Vallière, pour secrétaire et souffleur l'abbé de la Garde, secrétaire et bibliothécaire de Mme de Pompadour. Ensuite on s'occupa des statuts, que nous reproduisons d'après Laujon.

1er, relatif à l'admission. Pour être admis dans la troupe, comme sociétaire, il faudra prouver que ce n'est pas la première fois que l'on a joué la comédie, pour ne pas faire son noviciat dans cette troupe;

2o. Chacun y désignera son emploi ;

3o. On ne pourra, sans avoir obtenu le consentement de tous les sociétaires, prendre un emploi différent de celui pour lequel on a été agréé ;

4o. On ne pourra, en cas d'absence, se choisir un double droit expressément réservé à la société, qui le nommera à la majorité absolue;

5o. A son retour, le remplacé reprendra son même emploi ;

6. Chaque sociétaire ne pourra refuser un rôle affecté à son emploi, sous prétexte que le rôle est peu favorable à son jeu, ou qu'il est trop fatigant.

[ocr errors]

(Ces six premiers articles sont communs aux actrices comme aux acteurs. Voici les articles réservés uniquement aux actrices): 7. Les actrices seules jouiront du droit de choisir les ouvrages que la troupe doit représenter;

8°. Elles auront pareillement le droit d'indiquer le jour de la représentation, de fixer le nombre des répétitions, et d'en désigner le jour et l'heure ;

9. Chaque acteur sera tenu de se trouver à l'heure très-précise désignée pour la répétition, sous peine d'une amende que les actrices seules fixeront entre elles ;

10o. L'on accorde aux actrices seules la demi-heure de grâce, passé laquelle l'amende qu'elles auront encourue sera décidée par elles seules.

Copie de ces statuts sera donnée à chaque sociétaire, ainsi qu'au directeur et au secrétaire, qui sera tenu de les apporter à chaque répétition.

Les affiches étaient imprimées en or.

Le 46 janvier 1747, le théâtre des petits appartements fut

« PreviousContinue »