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Louis XV avait remplacé Mme de Châteauroux par sa sœur, Mme de Lauraguais, qui, à son tour, ne tarda pas à être supplantée par une Mme d'Etiolles, dont parlait tout Paris pour sa beauté, ses grâces et son talent de chanteuse et de comédienne, et qu'on proclamait hautement être « un morceau de roi ».

Dès 1742, le président Hénault écrivait à Mme du Deffant, au sortir d'un souper chez M. de Montigny : « Je rencontrai là une des plus jolies femmes que j'aie jamais vues; c'est Mme d'Etiolles : elle sait la musique parfaitement, elle chante avec toute la gaieté et tout le goût possible, elle sait cent chansons, joue la comédie à Etiolles sur un théâtre aussi beau que celui de l'Opéra, où il y a des machines et des changemens. »

Un lieutenant des chasses du parc de Versailles, Ch. Le Roy, a laissé de la nouvelle déesse un charmant portrait.

La marquise de Pompadour, dit-il, étoit d'une taille au-dessus de l'ordinaire, svelte, aisée, souple, élégante; son visage étoit bien assorti à sa taille, un ovale parfait, de beaux cheveux, plutôt chatain-clair que blonds, des yeux assez grands, ornés de beaux sourcils de la même couleur, le nez parfaitement bien formé, la bouche charmante, les dents très-belles et le plus délicieux sourire; la plus belle peau du monde donnoit à tous ses traits le plus grand éclat. Ses yeux avoient un charme particulier, qu'ils devoient peut-être à l'incertitude de leur couleur ; ils n'avoient point le vif éclat des yeux noirs, la langueur tendre des yeux bleus, la finesse particulière aux yeux gris; leur couleur indéterminée sembloit les rendre propres à tous les genres de séduction et à exprimer successivement toutes les impressions d'une âme très-mobile; aussi le jeu de la physionomie de la marquise de Pompadour étoit-il infiniment varié, mais jamais on n'aperçut de discordance entre les traits de son visage; tous conspiroient au même but, ce qui suppose une âme assez maltresse d'elle-même. Ses mouvemens étoient d'accord avec le reste, et l'ensemble de sa personne sembloit faire la nuance entre le dernier degré de l'élégance et le premier de la noblesse.

D'Argenson est moins enthousiaste. Il reconnaît qu'elle est blonde et blanche, mais sans traits; il dit qu'elle est douée de grâces et de talents, mais qu'elle est assez mal faite 1. Le beau pastel de Latour donne raison à Le Roy.

Mme d'Etiolles était la fille d'un sieur Poisson, commis des frères Pâris, qui avait été condamné à être pendu pour malversation, homme cynique et entaché d'ivrognerie; ce qui n'empêchera pas Louis XV d'anoblir ce grossier personnage en 1746 2. La mère de Mme d'Etiolles, très-belle femme, plus jolie que sa fille, eut plusieurs amants, ministres, ambassadeurs, fermiers généraux. M. Le Normand de Tournehem3, fermier général, passait pour être le père de Mme d'Etiolles et de son frère, qui fut plus tard le marquis de Marigny. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il fit élever les deux enfants avec beaucoup de soin. Antoinette Poisson devint musicienne excellente, grâce aux leçons de Jélyotte; elle chantait et jouait du clavecin; elle dansait à ravir; elle montait à cheval; elle gravait à l'eau forte et sur pierres fines; Crébillon lui avait appris à réciter les vers. Aussi fut-elle très-recherchée dans le monde, et ses succès y furent-ils très-brillants. Bientôt le neveu de M. de Tournehem, M. d'Etiolles, en devint éperdument amoureux et l'épousa en 1744; elle avait vingt ans. Mme d'Etiolles n'aimait pas son mari; elle avait d'autres visées; elle voulait devenir la maîtresse du Roi et fit tous ses efforts pour réussir.

Quand le Roi chassait dans la forêt de Sénart, Mme d'Etiolles sortait de chez elle1, vêtue de rose ou de bleu, montée dans un phaëton bleu ou rose, et attirait les regards de Louis XV. La duchesse de Châteauroux, qui n'entendait pas être évincée par une « grisette », fit défendre à « la petite d'Etiolles » d'assister aux chasses du Roi. A la mort de Mme de Châteauroux, qui arriva fort à propos, Mme d'Etiolles se fit voir de nouveau. Ce fut au bal masqué donné le 28 février 1745, à l'Hôtel de Ville de Paris, à l'occasion du mariage du Dauphin avec l'Infante d'Espagne, que Mme d'Etiolles fit la

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conquête de Louis XV. Elle lutina longtemps le Roi et le charma par son esprit ; et quand elle consentit à ôter son masque, il reconnut la jolie chasseresse de la forêt de Sénart.

Binet, valet de chambre de Louis XV et parent de Mme d'Etiolles, lui fut d'un grand secours; il l'amena à Versailles. Le jeudi 2 avril, il y eut comédie italienne au château; le Roi y assistait, et Mme d'Etiolles aussi, très en vue de la loge grillée de S. M. Elle était fort bien mise et fort jolie1. Le 40, Louis XV soupait seul dans ses cabinets avec Mme d'Etiolles, dont tout le monde parlait à la Cour, . « mais sans oser en parler publiquement». Le samedi saint, 47 avril, second souper, auquel assiste Mmo de Lauraguais. Le 22, troisième souper; Mmo de Lauraguais, cette fois, est à Paris, mais MM. de Luxembourg et de Bellefonds sont les commensaux de S. M., qui ne se coucha qu'à cinq heures. Le 23, Mmo d'Etiolles dine avec le Roi'. Dès lors elle a un logement à Versailles. « On ne sait pas précisément où elle loge, dit le duc de Luynes, mais je crois cependant que c'est dans un petit appartement qu'avait Mme de Mailly et qui joint les petits cabinets; elle ne demeure point ici de suite, elle va et vient à Paris, et s'y en retourne ce soir 4. »

« J'appris hier, écrit encore le duc de Luynes le 28 avril, que M. d'Etiolles, qui vient d'arriver de province et qui avoit compté, en arrivant, trouver sa femme, qu'il aime beaucoup, a été fort étonné quand M. Le Normant, fermier général, son parent et son ami, lui est venu dire qu'il ne comptât plus sur sa femme, qu'elle avoit un goût si violent qu'elle n'avoit pu lui résister, et que pour lui il n'avoit d'autre parti à prendre que de songer à s'en séparer. M. d'Etiolles tomba évanoui à cette nouvelle. Depuis il a été obligé de consentir à la séparation, et le Roi achète pour Mme d'Etiolles le marquisat de Pompadour, dont elle portera le nom.... C'est Montmartel qui fournit l'argent. »

1 LUYNES, VI, 382.

2 LUYNES, VI, 396, 423.

3 LUYNES, VI, 421.

4 LUYNES, 23 avril 1745. VI, 421.

5 LUYNES, VI, 423.

Mme d'Etiolles créée marquise et installée à Versailles, Louis XV partit pour la Flandre le mois suivant, et assista à la bataille de Fontenoy que le maréchal de Saxe gagna sous les yeux de S. M. Louis XV alla ensuite faire le siège de Tournay.

Pendant son absence, Mme de Pompadour demeura à la campagne près de Paris, où elle ne voyait que peu de monde, Voltaire entre autres; elle ne voulut jamais accompagner le Roi à l'armée. Louis XV lui envoyait des courriers plusieurs fois par jour; à la date du 9 juillet, il lui avait déjà écrit plus de quatre-vingts lettres '.

On profita de l'absence de la marquise pour travailler à l'appartement des maîtresses, que devait occuper Mme de Pompadour à son retour.

Le Roi revint de Flandre le 7 septembre; il fit un court séjour à Paris, logea aux Tuileries, assista, le 8, avec toute la Cour, à un Te Deum à Notre-Dame et à une grande fête à l'Hôtel de Ville. « Mme de Pompadour étoit incognito dans une chambre en haut à l'Hôtel de Ville. On lui servit un trèsgrand et très-bon souper; elle avoit avec elle Mmes de Sassenage et d'Estrades. Elle avoit en hommes son frère et son oncle M. de Tournehem; M. de Richelieu y monta, M. de Gesvres, M. de Bouillon; et M. le Prévôt des marchands y alla deux fois. Elle y resta jusqu'à onze heures et demie, et le Roi n'y monta pas 3. »

3

Louis XV revint à Versailles le 10. Dès le 12, Mme de Clermont d'O, présentait au Roi Mme d'Estrades, cousine germaine de Mme de Pompadour. C'était une petite femme jeune, assez grasse, ayant de fort grosses joues. Le 14, la princesse de Conty présenta Mme de Pompadour.

Mme de Pompadour, dit le duc de Luynes, fut présentée au Roi sur les six heures. Il y avoit un monde prodigieux dans l'antichambre et la chambre du Roi, mais assez peu

1 LUYNES, VI, 492; VII, 5.

LUYNES, VI, 492.

3 LUYNES, VII, 55.

LUYNES, VII, 59.

5 VII, 60.

C'est l'appartement dit de Mmo Dubarry.

C'est la chambre de Louis XV.

dans le cabinet. La conversation fut fort courte, et l'embarras très-grand de part et d'autre.... Il n'y avoit pas moins de monde à la présentation chez la Reine, et tout Paris étoit fort occupé de savoir ce que la Reine diroit à Mme de Pompadour. On avoit conclu qu'elle ne pourroit lui parler que de son habit, ce qui est un sujet de conversation fort ordinaire aux dames quand elles n'ont rien à dire. La Reine, instruite que Paris avoit déjà arrangé sa conversation, crut, par cette raison-là même, devoir lui parler d'autre chose. Elle savoit qu'elle connoissoit beaucoup Mme de Sessac. La Reine lui dit qu'elle avoit vu Mme de Sessac à Paris et qu'elle avoit été fort aise de faire connoissance avec elle. Je ne sais si Mme de Pompadour entendit ce qu'elle lui disoit, car la Reine parle assez bas; mais elle profita de ce moment pour assurer la Reine de son respect et du désir qu'elle avoit de lui plaire. La Reine parut assez contente du discours de Mme de Pompadour, et le public, attentif jusqu'aux moindres circonstances de cet entretien, a prétendu qu'il avoit été fort long et qu'il avoit été de douze phrases. M. le Dauphin parla à Mme de Pompadour de son habit. >>

La marquise était déjà en possession du logement de Mme de Châteauroux, où l'on avait fait quelques changements, mais dont on avait conservé le meuble. Le Roi y avait soupé le 13, en très-petite compagnie 1. Mme de Pompadour occupa cet appartement, que le duc de Luynes appelle « le bel appartement au haut du château près des cabinets », jusqu'en 1752, époque à laquelle elle alla demeurer au rez-dechaussée du corps principal du château, dans une partie de l'ancien appartement des Bains.

Le soir même de la présentation, le Roi partit pour Choisy avec Mmos de Pompadour, de Saint-Germain, de Bellefonds et de Lauraguais, qui se prêtait, comme on le voit, à tous les rôles. A ce voyage, Louis XV se trouva incommodé d'une fluxion avec une fièvre assez forte; on le saigna. Il proposa à la Reine de venir le voir à Choisy; Marie Leczinska s'y rendit le 19 et fut très-bien reçue; elle dina avec Mme de Pom

1 LUYNES, VII, 60. 2 LUYNES, VII, 60.

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