Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Pendant le séjour de la Cour à Paris, Versailles fut assez négligé. « Il y avoit, dit Dangeau, le 20 août 1717, un fonds de 400,000 écus par an pour les bâtimens; on le réduit à 200,000 écus, quoique la dépense eût encore beaucoup excédé les 400,000 écus depuis la mort du Roi; il est à craindre que les maisons du Roi ne soient pas si bien entretenues qu'elles ont été jusqu'ici. »

Le seul événement que l'on ait à signaler pendant cette époque est la visite que Pierre le Grand fit à l'ancien palais de Louis XIV en 1747. Le 24 mai, le Czar partit de Paris, où il était logé à l'hôtel de Lesdiguières, pour aller voir Versailles, accompagné du maréchal de Tessé et du duc d'Antin.

Il y arriva d'assez bonne heure, pour voir le même jour le château et les appartemens. Le lendemain matin, il se promena dans les jardins et dans les bosquets, où il vit jouer les eaux. Le soir, il alla à Trianon, d'où il passa à la Ménagerie, ayant traversé le canal en gondole. Le 26, il alla dîner au château de Marly; et, s'étant promené le matin dans tous les jardins, où les eaux jouèrent, il descendit l'après-midi à l'aqueduc et à la machine. Il revint le soir à Versailles, d'où il revint à Paris le 27, sur les dix heures du matin 1.

Le 3 juin, Pierre le Grand fit un second voyage à Versailles, en compagnie du maréchal de Tessé et du marquis de Bellegarde, second fils du duc d'Antin, chargé de faire les honneurs des maisons royales à la place de son père retenu à Paris par quelques affaires importantes.

Le Czar avoit compté passer quelques jours à Versailles, et même on s'étoit préparé à l'y recevoir; mais il ne s'y arrêta qu'un moment, étant allé coucher à Trianon, où il a occupé, avec toute sa

1 Gazette de France, 1717, p. 276.

suite, les appartemens du Corridor qui donne sur les Goulottes '. Pendant le séjour qu'il a fait à Trianon, il prenoit surtout le plaisir de la promenade dans les jardins en calèche, et sur le canal en gondole; il a visité tous les endroits les plus remarquables des envi

rons.

Le 6, il partit de Trianon pour aller au château de Clagny; il monta au grand aqueduc, et de là il se rendit à Marly. Il a employé le temps qu'il y a demeuré à peu près comme à Trianon, se promenant presque tout le jour, et examinant les jets d'eau, les cascades et les statues avec une attention surprenante; il alloit surtout à chaque instant voir la cascade d'Agrippine.

Le 10, M. de Verton, maître d'hôtel du Roi, qui est chargé par ordre de la Cour de servir le Czar, ayant ordonné un très-beau feu d'artifice, avoit placé dans le bosquet de Marly une grande quantité de hautbois et de toutes sortes d'instrumens qui donnèrent une sérénade qui dura près d'une heure; après quoi on tira le feu d'artifice, lequel fut suivi d'une très-belle illumination, que M. le marquis de Bellegarde avoit fait préparer dans les bosquets des Bains d'Agrippine et dans celui de la Cascade; la fête finit par une espèce de bal. Toutes les dames, que la curiosité avoit attirées à Marly, dansèrent dans le salon, bien avant dans la nuit. Le Czar fut si content de cette galanterie, qu'il se coucha très-tard, contre son ordinaire.

Le 11, étant allé le matin à Saint-Germain-en-Laye, il examina le château vieux et le neuf, et resta fort longtemps sur la terrasse. Il descendit au Val et de là au monastère de Saint-Cyr, où il vit Mme de Maintenon, qui reçut sa visite sur son lit; il demanda à voir les cinq classes et toutes les Demoiselles, chacune dans leur place. Le prince fut fort édifié de l'utilité et de la magnificence de l'établissement de cette maison, et de la manière dont les filles y étoient élevées. Après s'être beaucoup promené, il remonta en carrosse et revint coucher à Trianon.

Le 12, il quitta avec regret ces lieux enchantés pour revenir à Paris. Il passa par Versailles, où il dîna. Avant que de se mettre à table, il vit tous les appartemens et le cabinet des Curiosités, qui est auprès de la pièce de la chapelle'; on lui montra les médailles et les coquillages. Les livres curieux et les estampes magnifiques des anciens ballets du Roi l'occupèrent plus agréablement que toute autre chose. Il descendit à la Grande et à la Petite-Ecurie; il vit travailler, dans l'une et dans l'autre, plusieurs chevaux que les écuyers montèrent en sa présence. Il monta en carrosse sur les inq heures'.

2

1 Le Trianon-sous-Bois

Cette pièce de la Chapelle est le salon d'Hercule qui n'a pas encore sa décoration actuelle.

3 Mercure de France, 1717, juin, p. 185.

III

RETOUR DE LA COUR A VERSAILLES

LE RÉGENT, LE DUC DE BOURBON, LE CARDINAL FLEURY
1722-1736

La Cour revint à Versailles le 45 juin 1722. Le Roi avait alors douze ans et demi; il était fiancé depuis un an à l'infante d'Espagne Marie-Anne-Victoire, fille de Philippe V, âgée de quatre ans. Le duc d'Orléans était régent de France avec le cardinal Dubois pour premier ministre.

On résolut, dit Saint-Simon', que le Roi abandonneroit Paris pour toujours, et que la Cour se tiendroit à Versailles. Le Roi s'y rendit en pompe le 15 juin, et l'Infante le lendemain. Ils y occupèrent les appartemens du feu Roi et de la feue Reine, et le maréchal de Villeroy fut logé dans les derrières des cabinets du Roi. Le cardinal Dubois eut toute la Surintendance entière pour lui seul, comme M. Colbert l'avoit eue, et après lui M. de Louvois... M. le duc d'Orléans prit l'appartement de feu Monseigneur en bas, et Mmo la duchesse d'Orléans demeura dans celui qu'elle avoit en haut auprès du sien et qui resta vide.

Le 9 août, le Roi fut confirmé dans la chapelle du château, et, le 15, il fit sa première communion à la Paroisse. Le même mois, le Régent chargea M. Le Blanc, ministre de la guerre, de faire bâtir un fort à Montreuil et dresser un camp à Porchéfontaine pour exercer Louis XV au métier de la guerre. Le marquis de Pezé, inspecteur du régiment du Roi, dirigeait les opérations du siège sous les ordres de S. M. Le fort était commandé par un brigadier, M. de Chazelles. Le régiment du Roi-infanterie et les mousquetaires composaient les troupes assiégeantes. On fit le siège dans toutes les règles. Le 19 sep

XIX, 318.

Gouverneur du Roi.

3 Dans l'aile du Midi, au premier étage, sur l'emplacement actuel de la galerie des Batailles.

tembre on investit la place; le lendemain on ouvrit la tranchée. Le Roi venait, toutes les après-midi, voir les opérations. Un jour qu'il faisait le tour de la place avec une escorte, le fort fit une sortie considérable qui donna sur les troupes du Roi et le fit prisonnier; on le mena dans le fort, et il fut obligé de payer une rançon de plusieurs milliers de livres qui furent distribuées aux troupes. Tous les jours, il y avait quelque chose de nouveau, une attaque, une sortie, une mine. « On voyoit des soldats tomber comme morts et on emportoit les officiers sur une civière et les soldats sur les épaules. D'autres regagnoient leurs troupes en boitant. » Le 29, eut lieu la grande attaque. Le Roi entra dans le fort après la capitulation; la garnison sortit avec les honneurs de la guerre, et le Roi donna le cordon rouge à son commandant. Tout Paris avait vu ces manœuvres *.

Le Régent était venu à Versailles avec sa maîtresse, Mme d'Averne, qu'il allait bientôt remplacer par Mme de Falari, et avec les roués, ses amis. La vie scandaleuse qu'ils menaient au Palais-Royal se continua à Versailles. Dès le 34 juillet 1722, Mathieu Marais signale dans son journal les désordres qui souillent le château et son parc. « On vit en débauche ouverte à Versailles, dit-il. Il n'y a personne à la tête qui puisse contenir les courtisans et les dames. Les princes ont des maîtresses publiques, et il n'y a plus ni politesse, ni civilité, ni bienséance. Ce n'est plus la Cour du Grand Roi, qui d'un regard arrêtoit les plus libertins, et on y voit régner tous les vices sous un Roi mineur qui n'a point encore d'autorité. >>

A la fin de juillet, en effet, quelques courtisans, perdus de vices, se livrèrent, la nuit, dans un bosquet, à une scène de débauche telle, que le Régent fut obligé de punir les coupables. On en exila cinq et on mit le sixième à la Bastille3.

En octobre, la Cour se transporta à Reims pour le sacre du Roi, qui eut lieu le 25, et le 22 février 1723, Louis XV était

1 BARBIER, I, 240.

2 Daudet, géographe du Roi, publia une carte fort curieuse du camp de Porchéfontaine.

3 BARBIER, 1, 228. MATHIEU MARAIS, II, 319.

Recueil Maurepas.

déclaré majeur au Parlement. Mais le Régent resta premier ministre.

Le 10 août de la même année, le cardinal Dubois mourait à la Surintendance. « C'étoit, dit Saint-Simon, un petit homme maigre, effilé, chafouin, à perruque blonde, à mine de fouine1, à physionomie d'esprit. Tous les vices, la perfidie, l'avarice, la débauche, l'ambition, la basse flatterie combattoient en lui à qui demeureroit le maître. Il mentoit jusqu'à nier effrontément étant pris sur le fait. Malgré un bégayement factice, auquel il s'étoit accoutumé pour se donner le temps de pénétrer les autres, sa conversation instructive, ornée, insinuante, l'auroit fait rechercher, si tout cela n'eût été obscurci par une fumée de fausseté qui lui sortoit de tous les pores et faisoit que sa gaieté attristoit. »

Son élève, le Régent, le suivit de près. Le 2 décembre 1723, le duc d'Orléans terminait sa vie en compagnie de la belle duchesse de Falari, sa dernière maîtresse 2.

« Il me semble encore le voir arriver, dit le marquis d'Argenson, la veille de sa mort, de l'Etoile, petite maison que Mme la duchesse d'Orléans s'était accommodée dans le grand parc de Versailles au milieu des bois. Il faisoit un vilain temps; le Régent avoit un commencement de rhume qui lui causa le catarrhe suffocant dont il fut étouffé; il avoit un gros surtout rouge et toussoit beaucoup; le col court, les yeux chargés et tout le visage bouffi; l'activité de l'esprit paroissoit même se ressentir de l'embarras des organes corporels ; il cherchoit ce qu'il vouloit dire. Il me donna ses ordres, m'ordonna de partir dès la nuit suivante, et je m'entretins une demiheure avec lui, puis il me souhaita bon voyage; le lendemain, à pareille heure, il décéda. »

Quelques heures avant sa mort, Saint-Simon était venu lui parler d'affaires. « Nangis, dit-il, m'avoit succédé chez M. le duc d'Orléans et expédié en bref; il le fut par Mme Falari,

1

La Palatine dit aussi qu'il ressemblait à un jeune renard.

2

3

Le Régent mourut dans la salle n° 49, au rez-de-chaussée.
Edition Rathery, I, 49.

Son frère, le

4 Le marquis d'Argenson était alors intendant du Hainaut et Cambrésis ; il fut ministre des Affaires Etrangères de 1744 à 1747. comte d'Argenson, fut ministre de la Guerre de 1743 à 1757.

« PreviousContinue »