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son petit caquet; elle étoit jolie et avoit plus d'esprit et d'avisement qu'on n'en pouvoit attendre de son âge. Mme de Maintenon s'en amusa à son tour, et le Roi, qui la trouva souvent avec Mme de Maintenon, qui la renvoyoit pour ne l'en pas importuner, la caressa et fut ravi de trouver un joli petit enfant qui n'avoit point peur de lui, et qui s'y apprivoisoit. Il s'accoutuma à badiner avec elle, et si bien que, lorsqu'il fut question de l'envoyer à Saint-Cyr, il voulut que Mme de Maintenon la gardât.

Devenue plus grande, elle n'en devint que plus amusante, et avec une familiarité discrète qui n'alloit jamais à l'importunité. Elle parloit au Roi de tout, lui faisoit des questions et des plaisanteries, le tirailloit quand elle le voyoit de bonne humeur, et se jouoit même avec ses papiers quand il travailloit; mais tout cela avec jugement et mesure. Elle en usoit de même avec Mme de Maintenon et se fit aimer de tous ses gens. Mme la duchesse de Bourgogne à la fin la ménageoit et la soupçonnoit d'aller dire au Roi et à Mme de Maintenon ce qu'elle faisoit dans un cabinet où elle se tenoit les soirs à jouer avec des dames familières qui étoient admises à ce particulier, qui toutes aussi ménageoient fort Jeannette, qui toutefois ne fit jamais mal à personne. Mme de Maintenon ellemême commença à lui trouver trop d'esprit et de jugement, et que le Roi s'y attachoit trop, en un mot à la craindre; c'est ce qui la détermina à s'en défaire honnêtement par un mariage. Elle en proposa au Roi, qui trouva à tous quelque chose à redire, et cela pressoit encore plus Mme de Maintenon. A la fin elle fit celui-ci, et le Roi l'agréa; mais Mme de Maintenon y fut attrappée, car le Roi déclara bien sérieusement que ce n'étoit qu'à condition qu'elle demeureroit chez elle Mme d'Ossy comme elle étoit Jeannette, et il fallut en passer par là.

Trop tôt après, elle devint la seule ressource des momens oisifs de leurs particuliers, après la mort de Mme la duchesse de Bourgogne.

Après la mort de cette princesse, Louis XIV s'enferma plus que jamais chez Mme de Maintenon. Il y trouvait quelques femmes distinguées, spirituelles et aimables, dont la marquise avait formé sa société particulière. Très-souvent il y faisait porter son diner; le soir il y entendait de bonne musique, symphonies ou parties d'opéras. Il y jouait avec les dames, ou il écoutait les comédies de Molière, demeuré son auteur préféré et qui lui donnait ses derniers plaisirs.

Un nouveau théâtre s'organisa chez Mme de Maintenon. Les acteurs furent les musiciens du Roi, vêtus en habits de théâtre, et dressés par le Roi à jouer Molière. Habitué comme il l'était au jeu de Molière lui-même, Louis XIV ne pouvait

pas supporter les acteurs de la Comédie française, qui avaient perdu la tradition et interprétaient fort mal leurs rôles. Le 9 octobre 4700, à Fontainebleau, les comédiens jouaient l'Avare, et le jouaient si mal, que Louis XIV n'y pouvant plus tenir s'en alla'. Il est bien évident que ce fut Louis XIV qui donna à ses musiciens la manière, le jeu et les gestes de Molière, et qui en fit des acteurs aussi bons qu'ils étaient déjà bons musiciens3. Aussi, le 21 décembre 1712, les musiciens ayant représenté quelques scènes du Bourgeois gentilhomme, Louis XIV « trouva qu'ils jouoient fort bien »; et, le 13 janvier 4743, il se divertit fort la seconde fois qu'il vit jouer la pièce. C'était toujours chez Mme de Maintenon, à Versailles, à Marly ou à Fontainebleau, que le Roi assistait à ces représentations, mêlées de symphonies pendant les entr'actes.

J'ai cru bien faire en donnant ici, d'après Dangeau, la liste de ces représentations; c'est un chapitre nouveau à ajouter à la vie de Molière, qui inaugure et termine les plaisirs du règne.

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A la mort du Roi, Mmo de Maintenon, âgée de quatre-vingts

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ans, se retira à Saint-Cyr, dans son petit appartement du rez-de-chaussée. Elle était accablée d'infirmités, et écrivait à la princesse des Ursins, en 1715 : « Si vous me voyiez, vous conviendriez que je fais bien de me cacher. Je ne vois presque plus, j'entends encore plus mal; on ne m'entend plus parce que la prononciation s'en est allée avec les dents; la mémoire commence à s'égarer; je ne me souviens plus des noms propres ; je confonds tous les temps, et nos malheurs, joints à mon âge, me font pleurer comme toutes les vieilles que

vous avez vues. »

Elle mourut à Saint-Cyr, le 15 août 1719, âgée de quatrevingt-quatre ans.

REZ-DE-CHAUSSÉE

I

SALLES 57, 58 ET 59

Les salles 57 et 58 formaient, sous Louis XIV, l'appartement du marquis d'O; la salle 59 était le salon de l'escalier des Ambassadeurs. Sous Louis XV, avec la salle 56, elles composèrent l'appartement de Mme de Pompadour.

La décoration primitive de ces salles fut entièrement changée sous Louis XV, et Louis-Philippe a presque complètement détruit la décoration du XVIIIe siècle. La salle 57 a conservé la gorge du plafond, ses volets sculptés et les espagnolettes des fenêtres, quelques serrures de Cucci, quelques boiseries sculptées, mais couvertes de badigeon. La salle 58 a conservé aussi la gorge du plafond, décorée d'Amours tenant des guirlandes, ses volets sculptés, les espagnolettes des fenêtres, deux boutons de porte de Cucci et une belle serrure Louis XV. Quant à la décoration de la salle 59, elle a été entièrement détruite par M. Nepveu.

Ces trois salles font partie aujourd'hui des salles des Maréchaux, ainsi que les suivantes.

II

APPARTEMENT DES BAINS

(52-56)

L'appartement des Bains se composait de cinq grandes pièces le vestibule (56), la salle de Diane (55), le salon (54), la chambre des Bains (53) et le cabinet des Bains (52). Ces diverses salles étaient décorées avec luxe; elles étaient revêtues des marbres les plus beaux et les plus rares, amenés de tous les points de la France. Félibien, qui a vu les restes de cet appartement, ne parle que de marbres, de colonnes à bases et à chapiteaux de bronze doré, ouvrages de Caffieri, de dorures, de sculptures et de peintures. Les planchers étaient de marbre ou de marqueterie. Le cabinet des Bains renfermait une grande cuve octogone, en marbre, achetée 9000 livres en 1673 1, et d'autres cuves ou baignoires de marbre richement sculptées. Il y avait à la chambre des Bains un grand miroir de marbre, décoré d'ornements d'orfévrerie et de cuivre doré. Toutes les croisées avaient des fermetures en cuivre ciselé et doré.

En décembre 1684, Louis XIV, ou plutôt Mme de Maintenon, enleva à Mme de Montespan le logement qu'elle occupait au premier étage à côté de celui du Roi. Ce fut la première marque publique de sa disgrâce, qui suivit de près le mariage du Roi. On donna à la marquise l'appartement des Bains; mais, pour le rendre habitable, il fallut enlever beaucoup de marbres et poser des parquets de menuiserie. Mmo de Montespan prit possession de son nouvel appartement le 26 janvier 1685*, et l'occupa jusqu'au 15 mars 1691, époque de

1

Comptes des Bâtiments.

Cette cuve, enfouie sous le parquet, fut

retrouvée en 1750 et transportée à l'Ermitage, chez Mme de Pompadour, où

elle est encore et sert de bassin au jardin.

2

Comptes de 1678.

3 DANGEAU, 1684, 5 décembre.

4 Idem, I, 112.

son départ de la Cour. Elle chargea alors Bossuet d'annoncer à Louis XIV que le parti qu'elle prenait était un parti de retraite pour toujours, et qu'elle demeurerait une partie du temps à Fontevrault et l'autre à Saint-Joseph. Elle s'en alla d'abord à Clagny et, quelques jours après, elle partit pour Paris.

Louis XIV donna aussitôt l'appartement des Bains au duc du Maine, et on fit enlever immédiatement les meubles de Mme de Montespan. Aussi quelques jours après, Mme de Montespan disait tout haut qu'elle trouvait qu'on s'était un peu hâté de faire ce déménagement, qu'elle n'avait pas renoncé absolument à la Cour, et qu'elle verrait encore le Roi quelquefois 1.

En 1714, l'appartement des Bains était occupé par le comte de Toulouse; le duc du Maine était alors logé dans l'aile du Nord, au rez-de-chaussée. Sous Louis XV, la comtesse de Toulouse et le duc de Penthièvre occupèrent cet appartement. Une partie (56, 57, 58 et 59) fut donnée à Mme de Pompadour en 1750. Mesdames Sophie et Victoire y furent logées à la fin du règne de leur père et sous Louis XVI. Sous Louis XVI, Madame Adélaïde vint occuper l'ancien appartement de Mme de Pompadour. De nos jours, M. le duc de Cazes, ministre des affaires étrangères, avait établi sa chambre à coucher dans la salle no 54.

La décoration de l'appartement des Bains fut complètement refaite, sous Louis XV, quand il fut donné à Mesdames Sophie et Victoire. Il ne reste actuellement que quelques débris du temps de Louis XIV: les volets de la salle des Bains (53), un bouton de porte en cuivre ciselé et doré, représentant un soleil (salle 55). A son tour, la décoration de Louis XV a été presque détruite sous Louis-Philippe. On remarque encore la corniche de la salle 53, la gorge des plafonds des salles 54 et 55, qui sont au nombre des plus charmantes œuvres de l'art décoratif du XVIIIe siècle, les volets sculptés des salles 54 et 55; le reste a été détruit. Cette destruction, accomplie pour transformer ces belles pièces en magasins de portraits de

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