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Ceux qui entroient par les derrières s'y trouvoient, et les valets intérieurs.

Les dames d'honneur des princesses, et les dames du palais de jour, attendoient dans le cabinet du conseil, qui précédoit celui où étoit le Roi à Versailles, et ailleurs. A Fontainebleau, où il n'y avoit qu'un grand cabinet, les dames des princesses qui étoient assises achevoient le cercle avec les princesses, au même niveau et sur mêmes tabourets ; les autres dames étoient derrière, en liberté de demeurer debout, ou de s'asseoir par terre sans carreau, comme plusieurs faisoient. La conversation n'étoit guère que de chasse ou de quelque autre chose aussi indifférente.

Le Roi, voulant se retirer, alloit donner à manger à ses chiens, puis donnoit le bonsoir, passoit dans sa chambre à la ruelle de son lit, où il faisoit sa prière comme le matin, puis se déshabilloit. Il donnoit le bonsoir d'une inclination de tête, et tandis qu'on sortoit, il se tenoit debout au coin de la cheminée, où il donnoit l'ordre au colonel des Gardes seul; puis commençoit le petit coucher, où restoient les grandes et secondes entrées ou brevets d'affaires. Cela étoit court. Ils ne sortoient que lorsqu'il se mettoit au lit. Ce moment en étoit un de lui parler pour ces privilégiés. Alors tous sortoient quand ils en voyoient un attaquer le Roi, qui demeuroit seul avec lui.

Lorsque le Roi mourut, il y avoit dix ou douze ans que ce qui n'avoit point ces entrées ne demeuroit plus au coucher, depuis une longue attaque de goutte que le Roi avoit eue, en sorte qu'il n'y avoit plus de grand coucher, et que la Cour étoit finie au sortir du souper. Alors le colonel des Gardes prenoit l'ordre avec tous les autres, et les aumôniers de quartier, et le grand et le premier aumônier sortoient après la prière.

Les jours de médecine, qui revenoient tous les mois au plus loin, il la prenoit dans son lit, puis entendoit la messe, où il n'y avoit que les aumôniers et les entrées. Monseigneur et la Maison royale venoient le voir un moment; puis M. du Maine, M. le comte de Toulouse, lequel y demeuroit peu, et Mme de Maintenon venoient l'entretenir. Il n'y avoit qu'eux et les valets intérieurs dans le cabinet, la porte ouverte. Mme de Maintenon s'asseyoit dans le fauteuil au chevet du lit. Monsieur s'y mettoit quelquefois, mais avant que Mme de Maintenon fût venue, et d'ordinaire après qu'elle étoit sortie; Monseigneur toujours debout, et les autres de la Maison royale un moment. M. du Maine, qui y passoit toute la matinée, et qui étoit fort boiteux, se mettoit auprès du lit sur un tabouret, quand il n'y avoit personne que Mme de Maintenon et son frère. C'étoit où il tenoit le dé à les amuser tous deux, et où souvent il en faisoit de bonnes. Le Roi dînoit dans son lit, sur les trois heures, où tout le monde entroit, puis se levoit, et il n'y demeuroit que les entrées. Il passoit après dans son cabinet, où il tenoit conseil, et après il alloit à l'ordinaire chez

Mme de Maintenon, et soupoit à dix heures au grand couvert. Le Roi n'a de sa vie manqué la messe qu'une fois à l'armée, un jour de grande marche, ni aucun jour maigre, à moins de vraie et très-rare incommodité. Quelques jours avant le carême, il tenoit un discours public à son lever, par lequel il témoignoit qu'il trouveroit fort mauvais qu'on donnât à manger gras à personne, sous quelque prétexte que ce fût, et ordonnoit au grand prévôt d'y tenir la main, et de lui en rendre compte. Il ne vouloit pas non plus que ceux qui mangeoient gras mangeassent ensemble, ni autre chose que bouilli et rôti fort court, et personne n'osoit outre-passer ses défenses, car on s'en seroit bientôt ressenti. Elles s'étendoient à Paris, où le lieutenant de police y veilloit et lui en rendoit compte. Il y avoit douze ou quinze ans qu'il ne faisoit plus de carême. D'abord quatre jours maigres, puis trois, et les quatre derniers de la semaine sainte. Alors son très-petit couvert étoit fort retranché les jours qu'il faisoit gras; et le soir au grand couvert tout étoit collation, et le dimanche tout étoit en poisson; cinq ou six plats gras tout au plus, tant pour lui que pour ceux qui à sa table mangeoient gras. Le vendredi saint, grand couvert matin et soir, en légumes, sans aucun poisson, ni à pas une de ses tables.

Il manquoit peu de sermons l'avent et le carême, et aucune des dévotions de la semaine sainte, des grandes fêtes, ni les deux processions du saint sacrement, ni celles des jours de l'ordre du Saint-Esprit, ni celle de l'Assomption. Il étoit très-respectueusement à l'église. A sa messe tout le monde étoit obligé de se mettre genoux au Sanctus, et d'y demeurer jusqu'après la communion du prêtre ; et s'il entendoit le moindre bruit ou voyoit causer pendant la messe, il le trouvoit fort mauvais. Il manquoit rarement le salut les dimanches, s'y trouvoit souvent les jeudis, et toujours pendant toute l'octave du saint sacrement. Il communioit toujours en collier de l'ordre, rabat et manteau, cinq fois l'année, le samedi saint à la paroisse, les autres jours à la chapelle, qui étoient la veille de la Pentecôte, le jour de l'Assomption et la grand'messe après, la veille de la Toussaint et la veille de Noël, et une messe basse après celle où il avoit communié, et ces jours-là point de musique à ses messes, et à chaque fois il touchoit les malades. Il alloit à vêpres les jours de communion, et après vêpres il travailloit dans son cabinet, avec son confesseur, à la distribution des bénéfices qui vaquoient. Il n'y avoit rien de plus rare que de lui voir donner aucun bénéfice en d'autres temps. Il alloit le lendemain à la grand'messe et à vêpres, à matines et à trois messes de minuit en musique, et c'étoit un spectacle admirable que la chapelle; le lendemain à la grand'messe, à vêpres, au salut. Le jeudi saint, il servoit les pauvres à dîner, et après la collation, il ne faisoit qu'entrer dans son cabinet, et passoit à la tribune adorer le saint sacrement, et se venoit coucher tout de

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suite. A la messe, il disoit son chapelet (il n'en savoit pas davantage), et toujours à genoux, excepté à l'évangile. Aux grandes messes, il ne s'asseyoit dans son fauteuil qu'au temps où on a coutume de s'asseoir. Aux jubilés, il faisoit presque toujours ses stations à pied, et tous les jours de jeûne, et ceux du carême où il mangeoit maigre, il faisoit seulement collation.

Il étoit toujours vêtu de couleur plus ou moins brune avec une légère broderie, jamais sur les tailles, quelquefois rien qu'un bouton d'or, quelquefois du velours noir. Toujours une veste de drap ou de satin rouge, ou bleue, ou verte, fort brodée. Jamais de bague, et jamais de pierreries qu'à ses boucles de souliers, de jarretières et de chapeau, toujours bordé de point d'Espagne avec un plumet blanc. Toujours le cordon bleu dessous, excepté des noces ou autres fêtes pareilles qu'il le portoit par dessus, fort long avec pour huit ou dix millions de pierreries. Il étoit le seul de la Maison royale et des princes du sang qui portât l'ordre dessous, en quoi fort peu de chevaliers de l'ordre l'imitoient, et aujourd'hui presque aucun ne le porte dessus, les bons par honte de leurs confrères, et ceux-là embarrassés de le porter.

Pour compléter cette esquisse, il est bon d'emprunter à l'État de la France (1712) quelques détails.

C'était dans l'Eil-de-Boeuf que les princes et les seigneurs admis au lever du Roi attendaient l'heure de son réveil, pour entrer dans sa chambre. Il y avait plusieurs entrées: l'entrée familière, pour les princes; la grande entrée, pour les grands officiers de la couronne; la première entrée, pour ceux qui par leur charge avaient un brevet d'entrée; l'entrée de la Chambre, pour les officiers de la Chambre du Roi. Le garçon de la chambre ouvrait les deux battants de la porte seulement pour le Dauphin et les princes du sang. La porte s'ouvrait pour chaque personne admise et se refermait immédiatement. On devait gratter doucement aux portes de la chambre, de l'antichambre ou des cabinets, et non pas heurter rudement.

Il faut maintenant assister au lever du Roi.

Le Roi se lève à l'heure qu'il a marquée le soir avant que de se coucher, et même s'il ne s'éveilloit pas à l'heure qu'il a donnée, le premier valet de chambre l'éveilleroit.

Le matin, le premier valet de chambre du Roi en quartier, qui a couché dans la chambre de Sa Majesté, se lève ordinairement une heure avant le Roi, sort doucement de la chambre de S. M. et se vient habiller dans l'antichambre.

Un quart d'heure avant que le Roi s'éveille, environ à huit heu

res et demie du matin, pour la plupart du temps, le premier valet de chambre entre doucement dans la chambre de Sa Majesté, où un officier ou garçon de fourrière vient faire du feu, si c'est en été, ou remettre du bois au feu, si c'est en hiver. En même temps les garçons de la chambre ouvrent doucement les volets des fenêtres, ôtent le mortier1 et la bougie, lesquels restent encore allumés après avoir brûlé toute la nuit. Ils ôtent pareillement la collation de nuit (consistant en pain, vin, eau, verre et essai, ou tasse de vermeil, et quelques serviettes et assiettes), ôtant aussi ou faisant ôter le lit du premier valet de chambre appelé le lit de veille. Cela fait, le premier valet de chambre reste seul dans la chambre, les autres garçons ou officiers se retirant, jusqu'à l'heure que le Roi a commandé qu'on l'éveille.

L'heure que le Roi a dite venant à sonner, le premier valet de chambre s'approche du lit du Roi, à qui il dit : « Sire, voilà l'heure »; puis il va ouvrir aux garçons de la chambre, dont il y en a un qui un demi-quart d'heure auparavant a été avertir le grand chambellan et le premier gentilhomme de la Chambre en année, s'ils n'étoient pas encore arrivés dans l'antichambre; un autre va avertir au Gobelet et à la Bouche pour apporter le déjeuner; un' autre prend possession de la porte et laisse seulement entrer les personnes suivantes, qui sont ceux à qui le rang et les charges permettent d'entrer quand Sa Majesté est éveillée et est encore au lit.

Les premiers qui entrent sont le grand chambellan et le premier gentilhomme de la Chambre en année. Mais auparavant que de parler de ces grandes charges qui ont les premières entrées, il est juste de dire que, sitôt que le Roi est éveillé, Mgr le Dauphin a la liberté d'entrer. Mers les ducs de Bourgogne et de Berry entrent aussi.

Entrent encore à ce moment le duc d'Orléans, M. le Duc, le duc du Maine, le comte de Toulouse, le grand chambellan, le premier gentilhomme de la Chambre, le grand maître de la Garde-robe, les maîtres de la Garde-robe, le premier valet de garde-robe à la tête de tous les autres officiers de la Garde-robe qui apportent les habillements du Roi, le premier médecin, le premier chirurgien, quelques personnes à qui le Roi a accordé cette entrée par une grâce particulière, comme M. de Lauzun, M. le maréchal de Boufflers.

Le Roi étant donc encore dans son lit, le premier valet de cham

1 Mortier, gros morceau de cire jaune, d'une livre ou environ, dans lequel il a une mèche, qu'on allume pour avoir de la lumière toute la nuit (Dictionnaire de Trévoux).

bre, tenant de la main droite un flacon d'esprit de vin, en verse sur les mains de Sa Majesté, sous lesquelles il tient une assiette en vermeil de la gauche. Le grand chambellan ou le premier gentilhomme de la Chambre présente le bénitier à Sa Majesté, qui prend de l'eau bénite, faisant le signe de la croix. Si les princes ou grands seigneurs ci-dessus nommés ont quelque chose à dire au Roi, ils peuvent lui parler. Puis Sa Majesté récite l'office du Saint-Esprit et fait quelques prières dans son lit pendant un quart d'heure.

Avant que le Roi se lève, le sieur Quentin, qui est le barbier et qui a soin des perruques, se vient présenter devant Sa Majesté, tenant deux perruques ou plus de différente longueur; le Roi choisit celle qui lui plaît, suivant ce qu'il a résolu de faire la journée.

Au moment que le Roi sort du lit, il chausse ses mules, que lui présente le premier valet de chambre. Le grand chambellan met la robe de chambre à Sa Majesté, ou bien le premier gentilhomme de la Chambre; et le premier valet de chambre la soutient, qui en leur absence la mettroit aussi. Le Roi étant debout prend de l'eau bénite et vient à son fauteuil, placé au lieu où il doit s'habiller; et sitôt que Sa Majesté est sortie du balustre, un des valets de garde-robe y entre, qui va prendre sur le fauteuil proche du lit, le haut de chausses du Roi et son épée. C'est là que commence le petit lever, ou qu'il commence à faire petit jour chez le Roi.

Alors le grand chambellan, le premier gentilhomme de la Chambre, ou le barbier, en leur absence, ôte le bonnet de nuit de dessus la tête de Sa Majesté, que reçoit un valet de garde-robe, et l'un des barbiers peigne le Roi, qui se peigne encore lui-même. Durant tout ce temps, le premier valet de chambre tient toujours devant Sa Majesté le miroir qu'un garçon de la chambre lui a mis en main. Environ ce temps-là le Roi demande la première entrée, et le premier gentilhomme de la Chambre répète plus haut la même chose au garçon de la chambre qui est à la porte.

C'est en ce temps que commence la première entrée, c'est-à-dire qu'alors le garçon de la chambre fait entrer quand ils se présentent, ceux qui en ont le droit par leurs charges ou ceux qui ont un brevet d'entrée : les secrétaires du cabinet, les premiers valets de garde-robe, les deux lecteurs de la Chambre, les deux intendants et contrôleurs de l'argenterie, quelques anciens officiers à qui le Roi a accordé de jouir encore des mêmes entrées, comme s'ils avoient leurs charges, l'intendant des meubles de la Couronne, le médecin ordinaire, le chirurgien ordinaire, l'apothicaire chef, le concierge des tentes et commandant du petit équipage du Roi. Le Roi, suffisamment peigné, le sieur Quentin lui présente la

Les brevets d'entrée ou d'affaires étaient fort rares. En 1693, il y en a sept; en 1712, il n'y en a plus que cinq. Dangeau en avait un.

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