Page images
PDF
EPUB

entrèrent dans la cour du château; ils en firent le tour et descendirent à l'appartement du duc de Guiche. Dès qu'ils furent entrés, le Roi passa dans la galerie, où il y avoit des gradins à quatre rangs, depuis un bout jusqu'à l'autre, mais d'un côté seulement. Ces gradins étoient remplis de plus de 400 dames, magnifiquement parées; les dames de la Cour sur les gradins les plus près du trône, et les dames de Paris en continuant vers le bas de la galerie. Le Roi eut la politesse en entrant de passer fort près des dames qui avoient fort envie de le voir dans sa magnificence. Il monta sur son trône, où étoit à côté de lui, à droite, Mgr le Dauphin ', qui avoit un habit et un bonnet fort couverts de pierreries; Mme la duchesse de Ventadour le tenoit par la lisière. A la gauche étoit Mer le duc d'Orléans, et tous les princes du sang, à droite et à gauche, selon leur rang. Il y avoit deux manières de tambours aux deux côtés du trône, où étoient Mme la duchesse de Berry, Madame et toutes les princesses du sang avec leurs dames; et derrière les princes du sang, sur le trône, étoient les quatre premiers gentilshommes de la Chambre et les deux maîtres de la Garde-robe. Aucun des princes n'étoit couvert. La galerie étoit remplie de courtisans habillés trèsrichement et de beaucoup d'étrangers qu'on avoit fait entrer un peu avant l'audience, qui fut assez longue.... On avoit eu soin de faire mettre au bas du trône, Coypel, fameux peintre, pour en faire le tableau, et de Boze, secrétaire de l'Académie des inscriptions, pour faire une relation exacte de la cérémonie'.

III

LES GRANDS APPARTEMENTS DE LA REINE

Ces appartements ont été successivement habités par la reine Marie-Thérèse, morte en 1683; la dauphine de Bavière, femme de Monseigneur, morte en 1690; la duchesse de Bourgogne, morte en 1712; l'infante d'Espagne fiancée à Louis XV, de 1722 à 1725, date de la rupture du mariage projeté ; la reine

[blocks in formation]

2 L'ambassadeur de Perse eut son audience de congé le 13 août. Pendant tout le temps de son séjour, l'ambassade avait reçu de Louis XIV 500 livres par jour et, outre cela, le Roi avait payé beaucoup d'extraordinaire (DANGEAU).

Marie Leczinska, morte en 1768, et Marie-Antoinette, qui l'occupa comme dauphine, de 1770 à 1774, et comme reine jusqu'au 6 octobre 1789.

Les grands appartements de la Reine comprenaient, sous Louis XIV, une salle des Gardes, une antichambre, un salon ou grand cabinet, et une chambre à coucher. Sous Louis XV, on y ajouta le salon de la Paix, qui fut affecté au jeu de la Reine.

Chambre de la Reine (115).

La décoration de la chambre de la Reine, telle qu'elle était sous Louis XIV, a été changée sous Louis XV en 1734 et en 1770. Les anciennes peintures du plafond, œuvres de Gilbert de Sève 1, ont été remplacées par des camaïeux exécutés par Boucher; les sculptures des angles du plafond, avec leurs couronnes surmontées de dauphins et avec les aigles de la maison d'Autriche, sont de 1770 et datent de Marie-Antoinette. Les lambris de marbre furent enlevés en 1734, et l'on mit à leur place des tapisseries et trois grands trumeaux de glaces, dont les cadres en bois sculpté-doré représentaient des palmiers mêlés de festons de fleurs. A leur tour, Louis-Philippe_et son architecte M. Nepveu ont remanié la chambre de la Reine et ont presque complètement détruit sa décoration. Ils ont fait disparaître la cheminée et sa glace, et le trumeau qui était vis-à-vis. La beauté du trumeau de glaces qui existe encore entre les deux fenêtres permet de juger la gravité de cette barbare destruction, faite sans autre but que le placement de tableaux inutiles.

Au temps de Louis XIV, la chambre de la Reine avait une grande balustrade d'argent, qui fut fondue en 4689. Nous savons par Félibien que la duchesse de Bourgogne y avait fait placer de riches cabinets ornés de colonnes, de figures de vermeil, de peintures, d'émaux et de gemmes, dans lesquels elle serrait ses bijoux et les pierreries de la Couronne.

La chambre de la Reine a été le théâtre de nombreux évé

'On en voit les gravures dans l'ouvrage de Monicart.

nements deux reines et deux dauphines y sont mortes; dixneuf enfants de France y sont nés.

La reine Marie-Thérèse mourut dans cette chambre le 30 juillet 1683. La dauphine de Bavière, qui vint occuper cet appartement après la mort de la Reine, y donna le jour, le 49 décembre 1683, au duc d'Anjou, depuis roi d'Espagne, et, le 34 août 1686, au duc de Berry. Elle y mourut le 20 avril 1690.

La duchesse de Bourgogne y mit au monde trois princes : un premier duc de Bretagne, qui naquit le 25 juin 1704 et mourut l'année suivante; un second duc de Bretagne, né le 8 janvier 1707, devenu Dauphin à la mort de son père le duc de Bourgogne (18 février 1712) et mort quelques jours après (8 mars 1712); Louis XV, né le 15 février 1710. Elle y mourut le 12 février 1712.

La reine Marie Leczinska donna naissance dans cette chambre à dix enfants : le 14 août 1727, à deux jumelles, Madame Elisabeth et Madame Henriette; — le 28 juillet 1728, à Madame Troisième1, morte jeune; — le 4 septembre 1729, au Dauphin; le 30 août 1730, à un duc d'Anjou, mort jeune ;

[ocr errors]
[ocr errors]

le 23 mars 1732, à Madame Adélaïde ou Madame Troisième;

- le 11 mai 1733, à Madame Victoire ou Madame Quatrième;

le 27 juillet 1734, à Madame Sophie ou Madame Cinquième; le 16 mai 1736, à Madame Sixième, morte jeune ; le 15 juillet 1737, à Madame Louise ou Madame Septième. Marie Leczinska mourut dans cette chambre le 24 juin 1768. Marie-Antoinette y mit au monde : le 19 décembre 4778, Marie-Thérèse, devenue plus tard duchesse d'Angoulême; le 22 octobre 1784, le premier Dauphin, mort en 1789; 27 mars 1785, le second Dauphin, mort au Temple;―le 9 juillet 1786, Madame Sophie, morte l'année suivante.

[ocr errors]

le

Les naissances des enfants de France devaient se faire publiquement, en présence des princes du sang et de nombreux spectateurs. Sous Louis XIV les choses se passaient avec une

1 L'usage s'établit à la Cour de Louis XV de désigner par des noms de nombre ordinaux les filles du Roi non encore baptisées et par conséquent non encore nommées. On ondoyait les enfants à leur naissance, et on ne les baptisait que longtemps après, à l'âge de dix ou douze ans. C'est pourquoi plusieurs princes ont signé le registre à la cérémonie de leur baptême.

décence et un ordre parfaits; sous Louis XVI le désordre et l'indécence arrivèrent aux dernières limites.

Nous empruntons au Mercure Galant le récit de la naissance du premier duc de Bretagne, en 1704.

1

Le 25 du mois de juin, Mme la duchesse de Bourgogne commença à sentir quelques douleurs qui augmentèrent un peu sur le midi; elles devinrent plus vives à une heure et demie, et depuis trois heures jusqu'à cinq et un peu plus d'une minute, que cette princesse accoucha, elles furent très-aiguës et très-fréquentes. Elle en eut une sur les trois heures qui lui fit faire d'assez grands cris pour faire croire qu'elle étoit accouchée. Un de ses valets de chambre ayant entendu M. Clément prononcer distinctement ces mots : « Je le tiens », crut qu'il parloit du prince dont il étoit persuadé que la princesse venoit d'accoucher; cependant M. Clément ne parloit que d'un carreau qu'il avoit demandé. Ce valet de chambre, animé par l'ardeur de son zèle, courut dans le petit appartement de Mer le duc de Bourgogne, où ce prince avoit résolu de demeurer pendant tout le temps que la princesse seroit en travail, et lui dit que Mme la duchesse de Bourgogne étoit accouchée d'un prince. A l'instant, toutes les chambres de l'appartement de Mme la duchesse de Bourgogne, qui étoient remplies de monde, retentirent de cette grande nouvelle, qui se répandit aussitôt dans tout Versailles, où on alluma quantité de feux; on envoya promptement des ordres pour les faire éteindre, mais il n'étoit plus temps d'arrêter plusieurs courriers qu'on avoit dépêchés à Paris pour porter la nouvelle de cet heureux accouchement. Avant que Mgr le duc de Bourgogne fût détrompé, M. le duc d'Albe' se jeta aux pieds de ce prince, pour qui il a une vénération particulière, et lui dit, en embrassant ses genoux, qu'après la joie qu'il avoit de le voir père il ne manqueroit rien à son bonheur s'il voyoit que le Roi son maître le fût aussi. Mer le duc de Bourgogne répondit à ce duc: « Je sais, Monsieur, que votre joie répond bien à la nôtre; c'est un jour bien heureux pour nous; j'en souhaite un pareil au roi d'Espagne. »

On apprit dans ce moment-là que la joie que l'on sentoit étoit prématurée, ce qui donna beaucoup de chagrin; mais enfin on l'oublia à cinq heures, que Mme la duchesse de Bourgogne fut délivrée après avoir souffert ses douleurs avec une constance merveilleuse. Le Roi demeura toujours auprès de cette princesse, ainsi que Monseigneur, tous les princes et princesses. M. Clément eut quelque inquiétude lorsque Mme la duchesse de Bourgogne

[blocks in formation]

fut accouchée, parce que l'enfant ne crioit point; ce qui causa un silence qui dura quelques momens. Le Roi se baissa et demanda à l'oreille de M. Clément ce que c'étoit que l'enfant; il répondit tout bas que c'étoit un garçon S. M. lui demanda si elle pouvoit le déclarer. Mme la duchesse de Bourgogne, qui observoit le Roi, prit la parole et dit qu'elle connoissoit bien aux mouvemens du visage de S. M. que c'étoit un garçon, et la vérité fut aussitôt déclarée tout haut dans la chambre. Le Roi dit alors : « Voilà le quatrième que Clément me donne »; à quoi M. Clément répondit qu'il espéroit encore lui donner les enfans du prince qui venoit de naître.

Ce fut Mgr le duc de Berry qui annonça cette nouvelle à Mør le duc de Bourgogne en l'embrassant. M. le Nonce fut le premier ministre étranger qui y fut introduit et qui par conséquent complimenta le premier S. M. sur cette heureuse naissance. M. le duc et Mme la duchesse d'Albe entrèrent ensuite; M. le duc d'Albe dit au Roi que le bonheur de la France étoit une félicité pour l'Espagne, et qu'après la part qu'il y prenoit à ce bonheur public, rien ne le touchoit davantage que de le voir bisaïeul, Monseigneur aïeul et Mer le duc de Bourgogne père. Le Roi lui répondit qu'il lui étoit obligé d'avoir de pareils sentimens, qu'il savoit qu'ils étoient sincères et qu'il étoit persuadé que ce bonheur seroit bien célébré en Espagne.

Le Roi alla à la porte de la chambre et fit des honnêtetés aux dames qui étoient en grand nombre dans le grand cabinet, et reçut leurs complimens; il y avoit une infinité de personnes de l'un et de l'autre sexe, et S. M. leur déclara qu'elle avoit donné au prince qui venoit de naître le nom de duc de Bretagne.

Cependant l'on mit le jeune prince dans un lange et on le remit entre les mains de Mme la maréchale de la Mothe, qui le porta auprès du feu. Il fut ensuite ondoyé par M. le cardinal de Coislin en présence du curé de Versailles; après quoi il fut emmailloté par la garde de Mme la duchesse de Bourgogne. Ce prince se trouva si grand et si fort, qu'on fut obligé de lui mettre un bonnet du troisième âge et qu'on eut beaucoup de peine à lui enfermer les bras. Mme la maréchale de la Mothe prit ensuite ce prince et le porta à Mer le duc de Bourgogne, qui le baisa; puis elle le porta à la porte de la chambre, où l'on fit venir la chaise et les porteurs du Roi. Elle entra dedans, elle mit le prince sur ses genoux et le porta dans l'appartement qui lui étoit destiné. M. le maréchal de Noailles se chargea de l'y conduire, et Mgr le duc de Bourgogne lui en marqua sa joic. On nomma alors un des exempts' qui servent auprès du Roi pour être auprès du prince et pour le servir alternativement avec ses camarades. Peu de temps après, M. le marquis de la Vrillière, secrétaire-greffier de l'ordre du Saint

1 Officiers des Gardes du corps.

« PreviousContinue »