Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE I

LE CHATEAU DE LOUIS XIII

Le seul écrivain qui ait jusqu'à présent donné la date exacte de la construction du château de Versailles est l'architecte François Blondel '; cependant aucun de ceux qui, depuis lui, ont traité la question, n'a jugé à propos de le croire, et tous se sont mis à inventer des dates et à imaginer une histoire fausse de tous points. Avant de parler, d'après les documents authentiques, des origines du château, il faut faire connaître, en quelques mots, l'état actuel de cette question historique, c'est-à-dire les principales erreurs qui sont admises aujourd'hui.

Saint-Simon commence par nous dire que Louis XIII, ardent chasseur, venait souvent courre le cerf dans les bois de Versailles et que, fatigué de coucher, après la chasse, dans un méchant cabaret à rouliers ou dans un moulin à vent, il fit construire un « petit château de cartes » pour servir de rendez-vous de chasse. On conclut de ce mot et d'un autre dit par Bassompierre, qui appelle la maison royale de Louis XIII« un chétif château », que le Roi avait fait construire, avant le château, un pavillon, un rendez-vous de chasse, auquel s'appliquaient les paroles de Saint-Simon et de Bassompierre. On trouva ensuite qu'il avait existé à Versailles, à l'angle de la rue de la Pompe et de l'avenue de Saint-Cloud, une maison appelée le Pavillon-Royal, et on se

1Architecture françoise, IV, 92 (1756, in-folio).

hâta de conclure que c'était là le pavillon de Louis XIII, et qu'il avait dû être construit en 1624, trois ans avant le château, que l'on commençait en 4627. Enfin, à la suite de l'abbé Leboeuf', tout le monde admit que Louis XIII avait acheté à un certain Jean de Soisy une terre sur laquelle il avait bâti son château de 1627 à 1630.

M. Le Roi, dans son livre intitulé Louis XIII et Versailles, commença à faire pénétrer quelque lumière dans ces ténèbres. Il prouva, par des actes notariés qu'il avait découverts, que le Pavillon-Royal n'avait été construit qu'en 1676, sur un terrain donné par Louis XIV à une dame Hérault. Mais il n'alla pas plus loin, et les faiseurs d'hypothèses placèrent le pavillon autre part.

Les expressions de Bassompierre et de Saint-Simon, « chétif château, château de cartes », s'expliquent cependant facilement, sans qu'il soit besoin d'imaginer un pavillon primitif, qui certainement n'a jamais existé. Lorsque plus d'un siècle après Louis XIII, Saint-Simon comparaît le « petit Versailles de Louis XIII » avec le gigantesque Versailles de Louis XIV, il est facile de comprendre qu'avec ses habitudes de style pittoresque il l'ait appelé un château de cartes, d'autant que quelques lignes plus loin, il lui donne son vrai nom, « le petit Versailles de Louis XIII ». Me de Scudéry, en 4669, exprimait la même idée quand elle faisait dire à la belle Étrangère qu'elle était censée conduire à Versailles 3 : « Est-ce là ce que vous appelez la petite maison du plus grand roi de la terre?» Et il est bien certain que ces mots s'appliquent au château et non pas à un pavillon quelconque. La belle Étrangère s'étonne de la petitesse relative du château de Versailles, comparé aux vastes palais du Louvre et des Tuileries, de Saint-Germain et de Fontainebleau.

Quant au mot de Bassompierre, il s'explique aussi facilement, et point n'est besoin, pour le comprendre, d'imaginer un pavillon antérieur. La maison royale de Versailles venait d'être achevée, lorsque Louis XIII convoqua aux Tuileries

1 Histoire de la ville et du diocèse de Paris, 1754, in-12. Conservateur de la bibliothèque de Versailles, mort en 1873. La Promenade de Versailles, 1669, in-12.

une assemblée des Notables. Le maréchal de Bassompierre fit un discours sur les bâtiments du Roi, et, à cette occasion, parla du« chétif château » de Versailles.

Louis XIII avait fait demander aux Notables s'il devait cesser de bâtir jusqu'à ce que les finances fussent rétablies; sachant que le peuple était très-chargé d'impôts, il annonça qu'il était prêt à retrancher volontiers toutes les dépenses inutiles. Tous applaudirent. Bassompierre prit la parole et dit que l'Assemblée avait voté jusqu'alors toutes les propositions faites par le Roi ; qu'il ne savait pas si Sa Majesté ne voulait pas tendre un piège aux Notables, afin de voir jusqu'où irait leur docilité, en leur proposant de retrancher ses dépenses en bâtiments. Il demanda quel pouvait être le dessein du Roi lorsqu'il s'adressait à l'Assemblée pour savoir s'il devait s'abstenir d'une dépense qu'il ne faisait pas. Henri IV aurait pu demander aux Notables un pareil avis, puisqu'il employait des sommes immenses à bâtir. Puis, arrivant à sa pensée principale, l'orateur dit avec beaucoup d'esprit et de finesse que le Roi ne bâtissait pas, qu'il détruisait au contraire, qu'il avait rasé une foule de places fortes et de châteaux féodaux. « Voudrions-nous lui reprocher, dit Bassompierre en terminant, le chétif château de Versailles? Un simple gentilhomme ne se vanterait pas de l'avoir bâti. » Bassompierre parle évidemment du château de Versailles que l'on vient de terminer, et non pas d'un pavillon de chasse; et, s'il le déclare chétif, c'est pour bien accentuer sa pensée et glisser adroitement sa protestation contre les démolitions des châteaux féodaux que le Roi et Richelieu faisaient faire partout, afin de briser les résistances et l'indépendance de la noblesse protestante ou catholique. Mais il faut sortir du pays des hypothèses et entrer dans le domaine de l'histoire positive.

C'est M. Soulié, le savant conservateur du musée de Versailles, qui, en publiant le Journal de Jean Héroard, médecin de Louis XIII, a commencé à donner sur l'histoire du château les premiers documents exacts et les faits les plus précis. Héroard nous apprend en effet que, le 2 juillet 1624, le Roi, qui était à Versailles depuis le 29 juin, avec ses mousquetaires, et qui, la veille, avait pris un cerf, en fit

donner la curée à ses chiens, puis qu'il revint au château, qu'il fit faire ensuite l'exercice à ses mousquetaires, et enfin, qu'il traça lui-même le plan de la basse-cour de sa maison de Versailles.

Ainsi Louis XIII ne couchait ni dans un moulin ni dans un méchant cabaret à rouliers; il demeurait au château des Gondy, où son père avait diné en 1609, dans lequel lui-même avait couché le 9 mars 1624, se faisant, dit Héroard, apporter son lit qu'il avait envoyé chercher à Paris et qu'il aida luimême à préparer.

Le 2 août 1624, Héroard nous dit que la maison de Louis XIII est assez avancée pour qu'on en meuble une partie. Le Roi, venu de Saint-Germain, sa résidence ordinaire, à Versailles, s'amusa à voir toutes les sortes d'ameublements que le sieur de Blainville, premier gentilhomme de la Chambre, avait fait acheter, jusqu'à la batterie de cuisine 1. Enfin, le 3 novembre 1626, la maison est achevée. Nous savons encore par Héroard, que, ce jour, Louis XIII fit un excellent festin aux reines Marie de Médicis et Anne d'Autriche, et aux princesses, où il porta le premier plat; puis il s'assit aux pieds de la Reine. Héroard ajoute que le Roi fit garder dans ce repas un ordre merveilleux, ce qui s'explique en disant qu'on pendait la crémaillère, et que Louis XIII voulait que la fète se passât avec la décence qu'il apportait en toutes choses. Après le repas il donna aux dames le plaisir de la chasse, plaisir qu'il se procurait souvent à lui-même dans les bois giboyeux qui entouraient sa maison.

Blondel avait donc raison d'assigner la date de 1624 à la construction du château de Versailles.

Enfin, le 24 août 1627, Héroard nous dit que le Roi visita son plant, c'est-à-dire son parc, où il avait fait planter grand nombre de jeunes arbres; car ainsi que le témoignent les actes d'acquisition dont on parlera plus loin, le terrain sur

1 En 1634, la duchesse de Savoie, Christine de France, sœur de Louis XIII, envoya à son frère, pour sa maison de Versailles, quatre ameublements complets de velours, à fond d'argent: l'un bleu, l'autre gris de lin, le troisième vert, et le quatrième nacarat (Gazette de France, 1634, p. 432).

« PreviousContinue »