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LA COUR DE VERSAILLES ET LES APPARTEMENTS SOUS LOUIS XIV

I

LA COUR DE VERSAILLES

La Cour de Versailles depuis 1682 n'est plus celle de SaintGermain venant se divertir au château de Louis XIII avec Mile de la Vallière ou Mme de Montespan, en assistant aux grandes fêtes dont on a lu le récit. Versailles est devenu le siège du gouvernement; Louis XIV est marié à Mme de Maintenon et dominé par elle. C'est cette femme adroite qui mène et dirige tout, qui donne le ton; et dès lors commence un second Versailles, réglé, monotone, triste, asservi à une étiquette rigoureuse et fatigante. La nouvelle Cour est devenue plus nombreuse, elle a gagné en splendeur, le luxe est prodigieux; mais dans ce palais où tout éblouit, tout est réglé, prévu, rien ne s'y fait que par l'ordre du Roi ou par sa permission. Versailles est ordonné comme Saint-Cyr; il est devenu un séjour désagréable pour tous ceux qui n'en tirent pas un profit permanent. La Palatine répète sans cesse que la vie à la Cour est ennuyeuse, et La Bruyère dit avec raison que : « La province est l'endroit d'où la Cour, comme dans son point de vue, paroît une chose admirable; si l'on s'en approche, ses agrémens diminuent, comme ceux d'une perspective que l'on voit de trop près.

La Dauphine de Bavière, qui fut censée tenir la Cour après la mort de la reine Marie-Thérèse (1683) jusqu'à sa mort arrivée en 1690, n'était pas faite pour donner à Versailles un peu d'animation et de gaieté', et pour contrecarrer la toutepuissante Mme de Maintenon, la Pantocrate, comme l'appelle si justement la Palatine. Laide, toujours malade, elle vivait très-retirée avec sa favorite, Mile Bezzola, une femme de chambre allemande, qui elle-même avait souvent la fièvre et poussait sa maîtresse à se cacher dans ses cabinets. Elle parlait allemand, avec la Bezzola, devant Monseigneur, qui n'entendait rien à leur conversation; elle s'aliéna enfin son mari, qui passa sa vie chez sa sœur la princesse de Conty, et se mit à prendre des maîtresses parmi les femmes de théâtre ou parmi les filles d'honneur de sa sœur ou de sa femme. Jamais le Roi ne put obtenir de la Dauphine qu'elle sortit de sa retraite pour tenir la Cour et remplacer la Reine. Pendant ce temps, Mme de Maintenon, sans se montrer jamais, commença à tout diriger, et, quand la Dauphine mourut, le régime établi continua.

La monotonie en est le caractère. Tous les jours, suivant les saisons, on fait la même chose, et il faut que les courtisans prennent part chaque jour à cette répétition continuelle des mêmes choses: lever et coucher du Roi, diner ou souper du Roi, promenade sur le Canal, dans le parc, à la Ménagerie ou à Trianon, chasse, jeu, collation, etc. 11 faut y être vu souvent par le maître. Tout est réglé chaque soir pour le lendemain. Ce régime ayant duré trente-trois ans, on comprend l'exaspération de Saint-Simon et de la Palatine.

Un trait caractéristique de cette Cour dévote ou hypocrite, c'est le silence. On s'abstient de parler; on a peur de se compromettre. A la table du Roi, les dames se taisent, et quelquefois, il y en a quarante au souper du Roi, toujours au moins une douzaine. Le Roi, à la fin du règne,

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Cette Dauphine avait des goûts très-sérieux; elle aimait les lettres; Racine vint lui lire, le 20 mars 1685, le discours qu'il avait fait à l'Académie, à la réception de Corneille et de Bergeret (DANGEeau).

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Le même est dévot à la Cour et athée à Paris, dit la Palatine (Lettres, édit. Rolland, p. 203.)

devenu soupçonneux à son tour, ne parle plus du tout'. En revanche, on fait des chansons, et les plus méchantes passent pour les meilleures. La duchesse de Bourbon, fille de Louis XIV et de la Montespan, avait appris de sa mère à tourner les gens en ridicule; elle était la première à faire de mordants couplets et n'épargnait personne, pas même le duc de Bourgogne.

La vie était fort incommode dans ces grandes salles de marbre et d'or. « Il fait si froid ici, dit la Palatine le 5 mars 16953, qu'à la table du Roi, le vin ainsi que l'eau gelaient dans les verres. ». Mme de Maintenon, fort délicate et trèsdésireuse de conserver sa santé et sa beauté, avait une niche ou grand fauteuil avec oreilles et toit, pour se préserver du froid et des courants d'air, quand elle paraissait quelque part.

Nous venons de parler de la beauté de Mme de Maintenon; il faut bien en dire un mot, puisque cette beauté a été un des éléments de son triomphe et qu'elle était encore très-grande dans un âge avancé. Il est curieux d'entendre la Palatine, qui déteste Mme de Maintenon, déclarer, en 1702, que Mme de Maintenon, alors âgée de soixante-dix ans, n'a pas changé depuis trente ans, et répéter en 1744, que malgré ses soixante-dixneuf ans, elle ne paraît pas du tout son âge; qu'elle a maigri un peu, il est vrai, mais qu'elle a toujours fort bonne mine. Et, en effet, quand Louis XIV épousa Mmo de Maintenon, la veuve de Scarron, quoique âgée de cinquante-deux ans, était encore une très-jolie femme, ainsi qu'on peut s'en convaincre en voyant le charmant portrait gravé par Waltner et placé en tête du Théâtre de Saint-Cyr publié par M. Taphanel.

En lisant Dangeau, on trouve que les occupations et les plaisirs de la famille royale et des courtisans changent trois fois par an; il y a trois périodes dans l'année : l'hiver et le carnaval, le carême, la belle saison. Mais dans chaque période, les divertissements se reproduisent avec une régularité constante; jamais rien de nouveau, ni d'imprévu.

Lettres de la Palatine, édit. Jaeglé, I, 263; II, 70, 143, etc.
Lettres de la Palatine, édit. Brunet, I, 101.

3 Edition Jaeglé, I, 122.

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1 vol. in-8o, 1876, chez Cerf et Baudry.

Ordinairement, il y a chasse presque tous les jours, chasse à courre ou à tir, dans les parcs de Versailles et de Marly, dans la forêt de Saint-Germain, dans les bois de Meudon et dans ceux qui entourent Versailles. Le Roi chasse le cerf; Monseigneur court surtout le loup. Il a fallu les grands froids de décembre 1689 et l'hiver de 1709 pour empêcher la chasse d'avoir lieu.

Dans la belle saison, il y a souvent promenade en gondole sur le Canal, avec concert, et collation à Trianon ou à la Ménagerie pour les dames, car les dames sont toujours nombreuses à tous les divertissements. On se promène aussi dans l'Orangerie, dans les jardins, à pied ou en calèche; on va voir à l'Ecurie d'habiles écuyers monter de nouveaux chevaux. On joue quelque part, car le jeu est le grand plaisir de la Cour et continuel.

Quand il y a une cérémonie, une grande réception d'ambassadeur, toutes les vanités s'agitent et mettent en avant leurs prétentions, chacun déclarant avoir tel droit, tel rang, et voulant avoir telle place. A des époques fixes, la Cour est occupée aux cérémonies de l'ordre du Saint-Esprit et aux réceptions des nouveaux chevaliers; alors les ambitions sont surexcitées; les déceptions éclatent dans le particulier; les plaintes, les regrets s'expriment dans le secret. La Cour est encore toute bouleversée aux promotions dans l'armée.

Au jour de l'an, le Roi donne des étrennes. On lui apporte du Trésor 35,000 pistoles, qu'il distribue à Monseigneur (3000), à Monsieur (1500), à Madame (1500), à ses bâtards, etc.

La fête des Rois est quelquefois assez gaie et moins cérémonieuse; il y a quelque détente ce jour-là dans le mécanisme. A la fête de 1688, il y a 70 dames à table au souper du Roi; 90 à celle de 1693. En 1698, Louis XIV ne voulut pas célébrer les Rois à Versailles à cause du grand nombre de dames qu'il aurait été obligé de prier. Il en avait fait une liste et en avait trouvé 407, sur lesquelles il aurait été obligé d'en convier au moins 200 '. La fête eut lieu à Marly. Celle de 1708 eut un éclat sans pareil.

1 DANGEAU, VI, 274.

Un peu avant dix heures, écrit Dangeau, le Roi entra chez Mme la duchesse de Bourgogne, où étoient le roi d'Angleterre et la princesse sa sœur, les princesses et les dames de la Cour. On entra dans la galerie, qui étoit éclairée extraordinairement, car il y avoit près de 2000 grosses bougies, et de la galerie on entra dans la pièce qui est avant la chambre du Roi1, où l'on trouva quatre tables de 18 couverts chacune: la première étoit tenue par le Roi, où étoient le roi d'Angleterre, la princesse sa sœur et Mme la duchesse de Bourgogne. La seconde table étoit tenue par Monseigneur, la troisième par Mgr le duc de Bourgogne et la quatrième par Mgr le duc de Berry. Après le souper on rentra dans la galerie, et on passa dans le grand appartement du Roi, où il y eut un bal magnifique dans la pièce où sont les tribunes, et dans ces tribunes étoient les violons et les hautbois. Les courtisans entroient par le bout de l'appartement du côté de la chapelle, hormis les grands officiers qui étoient entrés avec le Roi.... Il y avoit beaucoup de danseurs et de danseuses qui n'avoient jamais eu l'honneur de danser devant le Roi. Les dames étoient en grand habit et en grandes boucles. Le Roi demeura au bal jusqu'à une heure après minuit, et Monseigneur y demeura jusqu'à la fin.

Il faut compléter avec le Mercure Galant le récit de Dangeau. Pour que le service des quatre tables pût se faire sans confusion, on avait pris d'excellentes dispositions.

Soixante-douze Suisses de la compagnie des Cent-Suisses de S. M. avoient été choisis pour porter les plats, et comme il étoit impossible qu'il n'y eût de la confusion, si chacun ne savoit à quelle table il devoit porter les plats dont il étoit chargé, ces quatre quadrilles de Suisses avoient chacune des rubans de couleurs différentes et marquées pour chaque table, en sorte que ceux d'une quadrille ne pouvoient se mêler avec ceux de l'autre, aucun ne se séparant de ceux qui portoient des rubans d'une même couleur. On avoit nommé plusieurs contrôleurs de la Maison du Roi pour poser les viandes, de manière qu'il y en avoit deux à chaque table pour faire cette fonction....

Pendant que les reines burent, on suivit l'usage ancien et général, et les cris de la Reine boit se firent entendre; et comme il arrivoit quelquefois que deux ou trois reines buvoient dans le même temps, le bruit que faisoient ces cris étoit plus ou moins grand, mais toujours fort agréable, parce que les voix des dames l'emportoient sur celles des hommes qui étoient à ces tables; et ce qui augmentoit encore le bruit du concert formé par tant de voix diffé

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