LES ENFANTS DU BATAILLON DU BONNET- Dans les derniers jours de mai 1793, un des bataillons parisiens, amenés en Bretagne1 par Santerre,2 fouillait le redoutable bois de la Saudraie. . . . Le bois semblait désert. Le bataillon redoublait de prudence. Trente grenadiers, détachés en éclaireurs et commandés 5 par un sergent, marchaient en avant à une assez grande distance du gros de la troupe. La vivandière les accompagnait.. Tout à coup les soldats de l'avant-garde entendirent comme un souffle au centre d'un fourré. Ils se firent signe. 10 En moins d'une minute, le point où l'on avait remué fut cerné. Cependant la vivandière s'était hasardée à regarder à travers les broussailles, et au moment où le sergent allait crier: «Feu!» cette femme cria: «Halte !>> Et se tournant vers les soldats: - Ne tirez pas, camarades! Et elle se précipita dans le taillis. On l'y suivit. 15 Au plus épais du fourré, une femme était assise sur la mousse, ayant dans les bras un nourrisson et sur les genoux 20 les deux têtes blondes de deux enfants endormis. dière. Qu'est-ce que vous faites ici, vous? cria la vivan La femme, stupéfaite, effarée, pétrifiée, regardait autour d'elle, comme à travers un rêve, ces fusils, ces sabres, ces baïonnettes, ces faces farouches. Les deux enfants s'éveillèrent et crièrent. J'ai peur, dit l'autre. La mère était muette d'effroi. Le sergent lui cria: N'aie pas peur, nous sommes le bataillon du Bonnet 10 Rouge.1 La femme trembla des pieds à la tête. . . . Et le sergent continua: La femme le considérait, terrifiée. Elle était maigre, 15 jeune, pâle, en haillons. . . . Ses pieds, sans bas ni souliers, saignaient. 20 20 C'est une pauvre, dit le sergent. Et la vivandière reprit: Comment vous appelez-vous? La femme murmura: Michelle Fléchard. Cependant la vivandière caressait avec sa grosse main la petite tête du nourrisson. . . . .. La mère commençait à se rassurer. Les deux petits qui s'étaient réveillés, 25 étaient plus curieux qu'effrayés. Ils admiraient les plu mets. Ah! dit la mère, ils ont bien faim. On leur donnera à manger, cria le sergent, et à toi aussi. Mais... quelles sont tes opinions politiques? 1 Le bataillon appelé le Bonnet-Rouge. (Le «bonnet rouge», coiffure des partisans de la Révolution, était pour eux le symbole de la liberté.) La femme regarda le sergent et ne répondit pas. - Entends-tu ma question? ... Je te demande quelles sont tes opinions politiques. Je ne sais pas ça. Le sergent poursuivit. Voyons. Parle. Tu n'es pas bohémienne?1.. C'est la métairie de Siscoignard, dans la paroisse C'est de là qu'est ta famille? Oui. Que fait-elle ? Elle est toute morte. Je n'ai plus personne. Cependant le sergent insistait. Tu ne sais pas qui tu es? 30 1 Tu n'es pas vagabonde sans patrie et sans famille? 5 es-tu? Nous sommes des gens qui nous sauvons.1 De quel parti es-tu? Je ne sais pas. Es-tu des bleus?? Es-tu des blancs ?2 Avec qui Je suis avec mes enfants. Le sergent recommença. Dis-nous ce que c'était que 15 20 C'étaient les Fléchard. Voilà tout. Oui, mais quel était l'état de tes parents? Qu'est-ce qu'ils faisaient? Qu'est-ce qu'ils font? Qu'est-ce qu'il est devenu? - Il est devenu rien, puisqu'on l'a tué. Où ça? Dans la haie. Quand ça? Est-ce un bleu? Est-ce un blanc? C'est un coup de fusil. . . Et depuis que ton mari est mort, qu'est-ce que tu fais? 1 Nous sommes des gens qui fuyons, des fuyards. |